Par Abdelmadjid Bouzidi [email protected] La rue syrienne exprime, � son tour, son rejet de l�autoritarisme, l�exclusion, la corruption et la privation de libert�. Mais, et nous avons d�j� eu l�occasion de le souligner, la r�volte est partout dans le monde arabe, les revendications sont toujours les m�mes : �despote, d�gage !�, mais les contextes dans lesquels se fomentent ces r�voltes restent particuliers � chaque pays. Nous avons, lors des derni�res chroniques, pr�sent� les cas de l�Egypte, la Tunisie, la Libye, le Y�men, le Maroc et l�Alg�rie. Dans ces deux derniers pays, la rue ne s�est pas encore exprim�e avec l�ampleur qu�elle a connue ailleurs dans le monde arabe, mais la r�volte n�est pas �teinte pour autant. Qu�en est-il de la Syrie ? Le mois de mars de cette ann�e a �t� marqu� par des contestations sans pr�c�dent en Syrie, �pays gouvern� d�une main de fer depuis 40 ans par le r�gime ba�thiste�. Il faut rappeler que la Syrie est gouvern�e depuis 1970, ann�e de l�arriv�e au pouvoir de Hafez El Assad (p�re de l�actuel pr�sident Bachar) apr�s un coup d�Etat par le parti Ba�th appuy� par l�arm�e (et notamment les services de s�curit�) et une forte bureaucratie d�Etat. C�est la branche minoritaire des Alaouites dont font partie les Assad (environ 12% des quelque 20 millions de Syriens) qui gouverne au d�triment de la majorit� sunnite qui repr�sente plus de 70% de la population. La population syrienne est compos�e de 90% de musulmans et 10% de chr�tiens. Il y a quelque 2 millions de Kurdes. L�arriv�e au pouvoir de Bachar Al Assad A la mort de Hafez Al Assad (10 juin 2000), les dirigeants du Ba�th ont choisi de jouer la carte Bachar Al Assad, son fr�re premier dauphin d�sign�, s��tant tu� dans un accident de la circulation. A son arriv�e au pouvoir, Bachar Al Assad d�cide de la mise en �uvre de r�formes �conomiques engageant, bien que timidement, l��conomie syrienne dans une ouverture contr�l�e et quelques r�formes politiques, plus institutionnelles que touchant au syst�me politique lui-m�me. Le nouveau pr�sident voulait, en fait, par ces r�formes, envoyer un message � l�ext�rieur qui lui faisait subir de fortes pressions : la Syrie, voulait-il annoncer, �tait capable de r�former non seulement l��conomie mais aussi le r�gime politique mais, moins d�un an apr�s, les puissants services de s�curit�, l�arm�e et le parti Ba�th arrivent � persuader le pr�sident d�arr�ter ce processus de r�formes, et l�arr�t est brutal. L�argumentaire pr�sent� �tait assez simple : l�ouverture politique, c�est la reconnaissance de certains droits � l�opposition ; l�opposition c�est une br�che par laquelle peuvent s�introduire les ennemis de la Syrie, et des ennemis d�clar�s : USA, Isra�l, le fr�re ennemi irakien� De plus, il y a une forte opposition r�fugi�e � l��tranger et pouvant b�n�ficier de l�aide de ces ennemis d�clar�s. Enfin, le risque islamiste est important, les religieux et leurs associations caritatives exer�ant une influence consid�rable sur de larges franges de la population. Sur le plan �conomique, un programme de privatisation est lanc� mais effectu� au profit du �capitalisme des copains� (familles proches du pouvoir). Le syst�me bancaire est r�form� et le parti Ba�th d�cr�te en juin 2005 la fin de l��tatisme au profit d�une ��conomie sociale de march�. �Mais les grands groupes qui voient le jour sont tous aux mains de proches du pouvoir.� Un rapport de Human Rights Watch (HRW) de juillet 2010 �crit : �Apr�s dix ans d�exercice du pouvoir, le pr�sident Bachar Al Assad n�a toujours pas respect� ses promesses d�accro�tre les libert�s publiques et d�am�liorer la situation des droits humains en Syrie� Les prisons syriennes se sont vite � nouveau remplies de prisonniers politiques, de journalistes et d�activistes des droits humains.� Cette gouvernance r�pressive et autocratique est justifi�e, par le r�gime syrien, par la menace ext�rieure. La Syrie fait face � deux dangers : 1/La politique am�ricaine qui vise � isoler, voire � faire tomber le r�gime. 2/ La situation en Irak menace de d�stabiliser la Syrie : pr�sence massive d�Irakiens sur le sol syrien, progression du fanatisme religieux islamiste, revendication des Kurdes � l�autonomie. Ces dangers imposent � la Syrie une strat�gie d�fensive faite aussi de fermeture et d�autoritarisme au plan interne. Cette position strat�gique a �t� longtemps en phase avec les sentiments populaires. La r�sistance du r�gime face � Isra�l, aux USA et � leurs alli�s locaux avait le soutien de la population. L��International Crisis Group� : �Un bilan largement per�u comme positif en politique �trang�re occultait un bilan n�gatif en politique int�rieure.� La strat�gie du complot a-t-elle fait long feu ? Les mouvements populaires de contestation de mars 2011 ont r�v�l� que l�ordre des priorit�s est aujourd�hui invers�. �La confusion entre argent et pouvoir, le paternalisme des �lites, la r�pression des critiques, y compris les plus l�gitimes, l�instrumentalisation des divisions sociales�� ont fait bouger la rue qui est aujourd�hui d�cid�e � ne �plus tol�rer ce � quoi les Syriens semblaient s��tre r�sign�s � jamais� (HRW). Sur le plan social, le ch�mage des jeunes est un v�ritable fl�au et il ne fait qu�amplifier avec l�arriv�e de r�fugi�s irakiens (�valu�s � 1 million et demi). La richesse est accapar�e par une classe dirigeante insatiable sans redistribution. Heureusement pour la population syrienne, leur pays ne souffre pas de d�pendance alimentaire et n�est pas non plus affect� par la d�pendance �nerg�tique : la Syrie produisant du p�trole et de l�hydro�lectricit� gr�ce au grand barrage de Tabka sur l�Euphrate (voir publication de l�Ifri �La Syrie au carrefour des risques�. Denis Bauchard - mai 2008). Le second probl�me qui exasp�re les Syriens est la corruption devenue end�mique et �rig�e en v�ritable syst�me. Et parmi les b�n�ficiaires de cette corruption, des membres de la famille et des proches du pr�sident (tel que son cousin Rami Makhlouf). Le r�gime se refuse � changer de trajectoire et encore moins de nature Le r�gime syrien met un point d�honneur � r�sister � tous ses ennemis et � prendre ses d�cisions au moment qu�il a lui-m�me choisi. Les manifestations actuelles sont trait�es de mani�re brutale et violente et consid�r�es comme �des ph�nom�nes minoritaires ou des complots ourdis � l��tranger� (International Crisis Groupe in La Syrie doit rechercher une troisi�me voie). Jusqu�� pr�sent, le pouvoir en Syrie a pr�sent� de n�buleuses promesses de r�forme sans pr�cision de leur contenu. C�est ainsi que sont actuellement en discussion de nouvelles lois �lectorales, un programme de lutte contre la corruption et quelques projets de d�veloppement. La rue syrienne, elle, demande une transformation en profondeur des structures et pratiques du pouvoir, une participation politique v�ritable, une redistribution �conomique �quitable sur la base d�un dialogue � engager imm�diatement. Mais pour l�instant, les manifestations continuent, les incidents se multiplient, la r�pression augmente� Comment se terminera cette escalade ? Comme en Tunisie et en Egypte ? Comme en Libye ?