- Le vent de la révolte semble gagner l'Egypte. Comment analysez-vous cette radicalisation de la rue égyptienne ? Je dois vous dire que la situation était explosive et que toutes les conditions objectives d'une révolte aussi radicale et massive sont réunies. La confiscation de la volonté populaire lors des élections législatives de novembre dernier, avec son lot de fraudes et de violences contre les citoyens et les candidats, l'Etat d'urgence qui sévit depuis 30 ans, les velléités de l'Exécutif d'organiser le passage du pouvoir du père au fils, la gestion policière de la société égyptienne… bref, le clan Moubarak gangrené par la corruption, qui gère le pays d'une main de fer, a engendré une situation économique et sociale intenable et une fermeture totale au niveau politique ; il n'y a aucune place pour l'opposition. La société égyptienne est étouffée. Nous n'avons pas cessé d'appeler à plus d'ouverture politique, à sortir le peuple égyptien de la misère dans laquelle il est plongé, hélas, ce régime est aveuglé par la dictature. Le peuple n'en peut plus, il en assez des humiliations d'un régime qui s'est dressé contre lui. Ainsi, les images parvenues de Tunisie et la manière dont le despote de Carthage s'est enfui ont donné du courage aux Egyptiens. Le mur de la peur qui empêchait le peuple de se soulever contre le régime despotique de Moubarak s'est écroulé sous l'exaspération profonde de tout un peuple. Cette révolte sonne le glas de la dictature. - Cette colère va-t-elle s'estomper ou s'installer dans la durée ? Le scénario tunisien se produira-t-il en Egypte ? Nous n'avons jamais connu un tel soulèvement populaire depuis 1972. Les principales villes du pays sont touchées par cette révolte, ce qui donne le courage à des millions d'Egyptiens de descendre dans la rue pour exprimer pacifiquement leur rejet d'un régime dictatorial. Au Caire, les principales places sont prises d'assaut par les manifestants. Nous assistons à quelque chose de nouveau. En plus des revendications sociales, les Egyptiens demandent clairement le départ du président Moubarak à la fin de son mandat en septembre prochain, la levée de l'état d'urgence et, surtout, et ils disent de manière farouche leur refus de voir le pouvoir passer à Gamal Moubarak. Donc, les revendications sont aussi d'ordre politique et tant que le pouvoir ne répond pas de manière claire, la colère ne va pas s'estomper. Le scénario tunisien a de très fortes chances de se reproduire en Egypte. Il faut dire qu'effectivement, le pouvoir est fort du point de vue sécuritaire, mais maintenant que le peuple bouge, il pourrait facilement s'écrouler face à la détermination de la rue. - Quelle a été justement la réaction du pouvoir, à la première journée des manifestations ? C'est un pouvoir pris de court. L'ampleur des manifestations l'a sérieusement déstabilisé. Il est gagné par la panique, déjà, depuis les évènements de Tunisie. Sa seule réponse, pour le moment, est d'actionner l'appareil de la répression, mais les Egyptiens n'ont plus peur ; ils ne reculeront plus devant les camions et les chars de la police. C'est le moment ou jamais. Le pouvoir va reculer à petits pas, en annonçant des mesures en trompe-l'œil pour calmer la rue, mais cela va rester sans effet tant que les principales revendications ne seront pas satisfaites. - Quel commentaire faites-vous des déclarations du département d'Etat américain ? Il faut souligner que le peuple égyptien ne tient pas compte de ce que vont dire les Américains ou les autres capitales occidentales sur ce qui se passe en Egypte. Les Egyptiens se sont élevés justement pour se libérer de la domination du clan Moubarak et de l'hégémonie américano-israélienne. Pour répondre à votre question, il ne faut pas perdre de vue que les intérêts des USA sont dans le maintien du système de Moubarak. Tout en essayant de se montrer du côté de «la volonté du peuple» égyptien et de demander «des réformes politiques», les Américains vont apporter leur soutien actif à un régime qui, de tout temps, les a arrangés. L'Egypte de Moubarak est un allié stratégique pour les Américains et ces derniers sont pour beaucoup dans le maintien d'un régime aussi féroce.