Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Entretien MILOUD CHENNOUFI, PROFESSEUR AU COLL�GE DES FORCES CANADIENNES (TORENTO) :
�Les pays arabes souffrent d�une politisation d�mesur�e des arm�es�
Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah Miloud Chennoufi, qui a d�but� sa vie active en qualit� de journaliste au Soir d�Alg�rie, est actuellement professeur au Coll�ge des Forces canadiennes � Toronto (Canada). Il vient de participer � un colloque acad�mique organis� au titre du 16e Salon international du livre d�Alger o� il a pr�sent� une communication remarqu�e. Au cours de son s�jour � Alger, il a rendu visite � ses camarades du Soir d�Alg�rie o�, non sans �motion, il a �voqu� les souvenirs qui le lient au journal. Il a bien voulu r�pondre aux questions que Mohamed Chafik Mesbah lui a pos�es. Le Soir d�Alg�rie : Pouvez-vous, bri�vement, rappeler � nos lecteurs les principales �tapes de votre trajectoire ? Miloud Chennoufi : Je suis n� en 1970 � Alger o� j�ai v�cu une enfance heureuse. J�ai grandi dans une famille chaleureuse soud�e par un amour inconditionnel autour d�une m�re courage dont les innombrables sacrifices, le don de soi et l�abn�gation ont �t� la premi�re source morale pour toute la famille. La v�n�ration que mes parents avaient pour le savoir, eux qui n�ont pas eu la chance de fr�quenter l��cole, nous a �t� transmise comme valeur essentielle. Ma m�re, qui a pris le chemin de l��cole � l��ge de 64 ans, lit et �crit, aujourd�hui. Elle prend sa juste revanche sur une �poque o� l�injustice contre les femmes commen�ait et s�achevait par le d�ni d��ducation. Le respect qu�on doit aux femmes n�est pas une notion abstraite dans mon esprit. C�est un devoir et leur �mancipation une n�cessit� absolue. J�ai fr�quent� l��cole primaire Youcef Bentechfine puis le coll�ge Colonel Othman � Hydra, enfin le lyc�e Amara Rachid de Ben Aknoun. Je garde un tendre souvenir de mes ann�es d��colier. Nous avions g�n�ralement des enseignants comp�tents qui aimaient leur m�tier. Mais par-dessus tout, l��cole �tait une institution que nous respections parce qu�elle for�ait le respect. Avec le recul, je peux dire, cependant, que les signes d�une d�gradation imminente �taient d�j� palpables tant dans le comportement de certains enseignants - tr�s peu nombreux heureusement - que dans celui des �l�ves. Mais dans l�ensemble, celui qui le voulait pouvait acc�der � un enseignement de grande qualit�. J�ai fait mes �tudes sup�rieures � l�Institut de sciences �conomiques de l�Universit� d�Alger, � Kharrouba plus exactement. Ce fut une exp�rience p�nible. C��tait le d�but des ann�es 1990. L�ins�curit� et l�incertitude r�gnaient alors. Je suis chagrin de dire que je n�ai pas eu affaire � une institution universitaire. Au sens o� l�aspect institutionnel et organisationnel propre � une universit� �tait, totalement, absent. Cela ne veut pas dire que je n�ai pas pu b�n�ficier d�un enseignement dispens� par des professeurs de qualit�. Malgr� les conditions d�sastreuses, au plan mat�riel et logistique s�entend, des professeurs comp�tents, p�dagogues et honn�tes continuaient de faire leur travail contre vents et mar�es. Je ne citerai aucun pour n�en oublier personne mais je leur suis tous reconnaissant. J�ai entam� des �tudes en post-graduation dans le m�me institut, en exer�ant, parall�lement, le m�tier de journaliste. D�abord en tant que pigiste � El-Hadeth, ensuite comme journaliste r�gulier au Soir d�Alg�rie, � El Khabar, � Libert� et enfin � La Tribune. Des ann�es initiatiques faites d�espoir et de douleur, jusqu�� mon exil forc� au Canada en 1997, un exil qui s�est transform� en immigration. A Montr�al, j�ai entrepris des �tudes de post-graduation en administration � l�Ecole des hautes �tudes commerciales (HEC) de Montr�al et des �tudes doctorales en sciences politiques � l�Universit� de Montr�al. Aujourd�hui, je suis professeur au Coll�ge des Forces canadiennes � Toronto o� j�enseigne, entre autres, les sciences politiques, les relations internationales et le leadership. A l�occasion de votre r�cent s�jour � Alger, vous avez rendu visite � vos anciens coll�gues au si�ge du journal Le Soir d�Alg�rie o� vous aviez entam� votre carri�re active. Quel sentiment avez-vous �prouv� lors de cette visite ? Forc�ment, mon rapport au Soir d�Alg�rie ne peut �tre que charg� d��motion. Retrouver des personnes qui furent mes coll�gues, en ce terrible 11 f�vrier 1996, lors de l�attentat contre la Maison de la presse, est venu r�veiller quelque chose qui �tait, profond�ment, ancr� en moi. Les images de Allaoua A�t Mebarek, Mohamed Dhorban et Djamel Derraza - paix � leur �me - n��taient plus de simples souvenirs. Les images de mes coll�gues disparus se sont incarn�es devant mes yeux au moment o� mes pieds foulaient, de nouveau, les locaux du Soir d�Alg�rie apr�s tant d�ann�es d�absence. Ces images sont venues me rappeler, encore une fois, que beaucoup trop de sang innocent a coul� sur cette terre. Je crois que le terrible �v�nement qui nous avait frapp�s au Soir d�Alg�rie a cr�� chez tous ceux et toutes celles qui l�ont v�cu un lien tr�s particulier dont je distingue les contours dans le regard embu� d�un Nacer Belhadjoudja ou d�un Fouad Boughanem. M�me lorsque nous discutons de choses cens�es �tre joyeuses, je per�ois dans leur regard cette dose indicible de tristesse que nous gardons, tous, enfouie au tr�fonds de nous-m�mes. Je suis heureux de pouvoir enfin parler � Dieu sait combien c�est difficile � de cet �pisode, car, tr�s longtemps, �voquer la m�moire des d�funts relevait dans mon esprit de l�in�narrable. Je trouvais que c��tait manquer de pudeur que d��voquer en paroles un malheur qui a boulevers� � jamais tant de vies. Je pense tout particuli�rement aux enfants de Mohamed Dhorban et Djamel Derraza. Je leur transmets mon salut fraternel, celui de fr�re de leurs p�res disparus. La charge �motionnelle qui me lie au Soir d�Alg�ries�explique aussi par le sentiment de reconnaissance � un journal qui m�a permis de me lancer dan la profession. J�ai trouv� en la personne de Nacer Belhadjoudja � chef de la rubrique nationale � l��poque � un professionnel attentionn� qui m�a fait confiance alors que je n��tais qu�un jeune dipl�m� qui n�avait pas du tout fait ses preuves. Hormis quelques articles en arabe que j�avais publi�s dans un hebdomadaire dirig� par H�mida Layachi, lequel fut � vrai dire le premier � me faire g�n�reusement confiance. Je n�avais rien de tangible � offrir pour faire valoir quelque comp�tence que ce soit. Permettez-moi de leur exprimer, � H�mida Layachi et Nacer Belhadjoudja, ma profonde reconnaissance. Certes, les temps �taient difficiles, mais ces deux a�n�s m�ont permis de vivre les ann�es les plus intenses de ma vie. Malgr� le sang et les larmes. L�exp�rience du Soir d�Alg�rie,d� El Khabar et d� El Watan repr�sente � mes yeux, par del� la profession journalistique, le prodige que peut r�aliser l�esprit entrepreneurial lorsqu�il dispose de conditions ad�quates. Quelles conditions ?! Tout juste une politique gouvernementale ing�nieuse, la bonne volont� de jeunes journalistes ambitieux et un minimum de moyens financiers et mat�riels. Voil� comment a commenc� et comment a r�ussi l�aventure de la presse ind�pendante. A ce propos, si vous continuez � lire, depuis le Canada, la presse alg�rienne, quelle �valuation en faites-vous aujourd�hui ? Je lis quotidiennement El Watan et Le Soir d�Alg�rieen fran�ais ainsi qu� El Khabar et Djazair Newsen arabe. Vous voyez d�j� que d�un point de vue pratique, la presse alg�rienne est indispensable. C�est un lieu commun, mais il faut le r�p�ter : la presse alg�rienne est, peut-�tre, le seul acquis qui a perdur� depuis l�ouverture d�mocratique qui avait fait suite aux �v�nements d�Octobre 1988. Sans exag�ration, je crois que le citoyen alg�rien est, convenablement, inform�. Je veux dire que l�information est � sa disposition, m�me si le commentaire, il est vrai, se m�le parfois � peut-�tre trop souvent � � l�information. Je ne suis pas du tout g�n� que des pr�f�rences politiques et id�ologiques soient palpables � la lecture d�articles d�information. C�est normal et c�est le cas pour presque tous les journaux dans le monde. Je dis simplement que la subtilit� est une vertu du journalisme. Je pr�cise, du journalisme hautement professionnel. Lorsque le lecteur est convaincu que son sens du bon jugement est respect�, le journaliste pourra consid�rer avoir, parfaitement, accompli sa t�che. Quitte ensuite � ce que ce m�me journaliste � mais, alors, dans un espace �ditorial � exprime, ouvertement, son opinion sur le m�me sujet. Dans ce cas, il n�y a pas tromperie, le lecteur est, d�embl�e, averti. Je dois, �galement, faire part de mon impression � propos des perspectives qui s�ouvrent � l��mergence d�une presse de meilleure qualit�, encore, en Alg�rie. J�ai souvent le sentiment que la presse alg�rienne subit des pressions et qu�il existe encore des sujets tabous qu�elle ne peut aborder. Pas simplement des sujets de nature politique, les tabous concernent aussi bien les nouveaux pouvoirs �conomiques. Ce constat recouvre, pour ainsi dire, une r�alit� plus g�n�rale qui se rapporte, comme aiment � dire les planificateurs, au �Reste � R�aliser� en termes de d�mocratisation du pays. Tant que la presse alg�rienne continue � subir ces pressions et qu�elle continue de ne pas aborder des sujets tabous, il ne sera pas possible de dire que l�Alg�rie est un pays pleinement d�mocratique. Dans quelles conditions avez-vous d�cid� de partir au Canada ? Ce n��tait pas une d�cision m�rie de longue date. Au d�part de ma vie active, mon ambition consistait, tout simplement, � continuer mes �tudes en parall�le avec l�exercice du journalisme jusqu�� l�obtention d�un doctorat en Alg�rie. J�envisageais d�enseigner et de me livrer � la recherche dans l�universit� alg�rienne. Les six premi�res ann�es d�horreur que le pays avait travers�es durant les ann�es 1990 ne m�avaient pas fait changer d�avis. Je consid�rais, na�vement sans doute, que mon modeste travail de journaliste participait � am�liorer les choses en vue d�un retour � la normale en Alg�rie. En 1995, par exemple, cet �tat d�esprit me conduisait � imaginer que le succ�s de l��lection pr�sidentielle revenait, en partie, aux journalistes. Il suffit de se souvenir du succ�s de cette �lection malgr� les appels au boycott et les menaces contre les citoyens pour s�en convaincre. Je croyais, sinc�rement, que le pouvoir alg�rien avait, enfin, compris qu�il pouvait faire confiance aux citoyens. Je crois m�me avoir �crit, alors, que le vote des Alg�riens ne devait pas �tre assimil� � �un ch�que en blanc�. Malheureusement, c�est cette grille de lecture qui s�est impos�e. J��tais d�courag� par l�immaturit� politique qui venait s�ajouter aux d�ceptions accumul�es au fil des ann�es. L�irresponsabilit� de tous les acteurs politiques du pays me paraissait �tre la cause du d�litement o� s�enfon�ait l�Alg�rie. L�amertume me gagnait alors que la mort se banalisait. C�est alors qu�en ce jour de d�cembre 1996, j�ai eu une pens�e horrible : la situation du pays avait atteint un point tel de d�gradation qu�il �tait vain de se soustraire � l��quation de la responsabilit� personnelle. En clair, il me fallait agir. Mais comment agir ? Je ne voyais pas d�issue au drame que nous traversions. Pour comprendre, il faut, naturellement, se remettre dans le contexte de l��poque. Le paroxysme de l�horreur atteint avec les massacres collectifs de 1997 avait fini par avoir raison de tous les doutes qui avaient pu subsister. J�avais d�cid� d�exprimer mon refus de cette situation absurde par un exil volontaire. C�est par un soir glacial de d�cembre, apr�s l�acceptation de mon dossier d�inscription en poste-graduation � HEC, que j�ai atterri � Montr�al. Cela n�a pas �t� facile de se s�parer du pays et je porte, toujours, la marque ind�l�bile de cette d�chirure. Selon quels crit�res avez-vous �t� choisi pour enseigner au prestigieux Coll�ge des Forces canadiennes ? Gr�ce au caract�re multidisciplinaire de mon parcours acad�mique et � mon multilinguisme. Le Coll�ge �tait � la recherche d�une personne capable d�enseigner la th�orie des organisations, une discipline relevant de l�administration, tout en �tant � l�aise avec les questions politiques, diplomatiques et strat�giques qui rel�vent davantage des sciences politiques et des relations internationales. Cette combinaison n�est pas toujours facile � trouver chez un seul enseignant. Le Coll�ge cherchait aussi une personne bilingue ma�trisant le fran�ais et l�anglais. J��tais, par cons�quent, en position plus favorable par rapport aux autres candidats car cela correspondait, dans les deux cas, � mon profil. Outre ma parfaite ma�trise des langues fran�aise et anglaise, mon m�moire de troisi�me cycle portait, en effet, sur la th�orie des organisations et ma th�se de doctorat sur la probl�matique de la guerre en relations internationales. J�avais, n�anmoins, un handicap puisque je n�avais pas encore soutenu ma th�se. Le Coll�ge, ayant pris acte, que je m�appr�tais � la soutenir, retint ma candidature pour un emploi temporaire d�un an. Il s�agissait de remplacer un professeur parti en cong� sabbatique. A l��poque, je ne m�imaginais pas du tout continuer ma carri�re dans un coll�ge d��tat-major et j��tais ravi de n��tre li� au coll�ge que pour une ann�e universitaire. Mon int�r�t intellectuel �tait focalis�, en effet, sur les questions conceptuelles et �pist�mologiques. Les probl�mes politiques quotidiens et les d�fis pratiques du leadership ne m�int�ressaient que de fa�on tangentielle, tout au plus comme l�amorce d�une r�flexion th�orique encore plus pouss�e. En toute honn�tet�, enseigner � des �tudiants de post-graduation o� se c�toyaient officiers sup�rieurs, diplomates et hauts fonctionnaires ne m�attirait pas et il me semblait devoir traiter de probl�mes secondaires par rapport � mes centres d�int�r�t qui �taient d�ordre th�orique. Au fil des mois, j�ai d�couvert, cependant, toute la f�condit� intellectuelle de l��tude et de l�enseignement pratiques. Une f�condit� que je ne soup�onnais pas. Le hasard ayant voulu que pendant la m�me ann�e, un poste permanent fut disponible au Coll�ge, j�ai vite postul� et ma candidature fut retenue. J�entame actuellement, avec beaucoup de bonheur, ma cinqui�me ann�e d�enseignement au Coll�ge des Forces canadiennes. Quels sont vos domaines de sp�cialit�s ? Consid�rez-vous avoir pu apposer votre empreinte sur l��volution de ces disciplines au Canada ? Comme je l�ai soulign�, le hasard m�a, fort heureusement, servi tout le long de mon parcours universitaire multidisciplinaire. De mon premier cycle en sciences �conomiques � l�Universit� d�Alger, j�ai gard� un go�t pour l��conomie politique internationale. Mes �tudes de post-graduation � HECMontr�al ont enracin� en moi un int�r�t certain pour les probl�mes li�s � l�efficacit� de l�action collective organis�e, peu importe le domaine. A HEC Montr�al, s�est cristallis�, en moi, �galement, un int�r�t aux processus et aux proc�d�s propres � la gen�se et � l�accumulation du savoir dans le champ de la pratique. De ma th�se de doctorat r�alis�e � la fronti�re de la philosophie politique et des relations internationales, autour d�une r�flexion critique sur la guerre, j�ai retenu l�int�r�t de la conceptualisation et de la r�flexion th�orique sur les questions strat�giques. Evidemment, l�int�r�t que je porte � l��v�nementiel provient, sans doute, de mon exp�rience de journaliste. Je dois, enfin, mentionner que la dimension historique, celle de la contingence et du singulier, est toujours centrale dans mon approche des ph�nom�nes que j��tudie. L�universel, th�orique notamment, me para�t toujours suspect parce que c�est facile de le projeter pour le plaquer sur le r�el. Je pr�f�re le travail minutieux qui reconna�t � tout ph�nom�ne sa singularit�. Au total, je me retrouve � la confluence de plusieurs disciplines. Je ne suis ni un strict �conomiste, ni un expert exclusif des sciences de l�administration ou des sciences politiques. La r�alit� ne s�accommode pas des cloisonnements factices qui s�parent entre eux les domaines acad�miques sp�cialis�s, c'est-�-dire tout le spectre des sciences sociales. Je consid�re la multidisciplinarit� comme une planche de salut qui permet la compr�hension de la complexit� du r�el pris dans son d�veloppement historique propre. C�est une d�marche qui tient de l�herm�neutique critique. Prenez par exemple ce qui est commun�ment appel� �le printemps arabe�. Il s�agit d�un ph�nom�ne d�une complexit� extraordinaire, d�o�, d�ailleurs, tout son int�r�t. Toutes ses dimensions, politique, �conomique, culturelle, historique, sociologique sont � lire, diff�remment, des grilles de lecture classiques. Le �printemps arabe� pousse � une refondation des probl�matiques aff�rentes � cette r�gion du monde. Le mode de production du savoir sur cette r�gion du monde est � revisiter. En l�espace de quelque semaines, un savoir accumul� au fil de longues d�cennies est, subitement, devenu obsol�te. Pourquoi ? Impossible de r�pondre � cette question sans recourir � une herm�neutique proprement critique. C�est autour de cette d�marche que je tente d�articuler ma modeste contribution. Lors du colloque d�di� au monde arabe et organis� dans le cadre du 16e Salon international du livre d�Alger, vous avez pr�sent� une communication sur �le r�le des arm�es nationales dans les transitions d�mocratiques�. Tr�s bri�vement, quelle en �tait la substance ? Le point de d�part de ma contribution a consist� � dire que les pays arabes � r�gime r�publicain souffraient d�une politisation d�mesur�e des arm�es et d�une militarisation tout aussi d�mesur�e de la politique. D�un point de vue normatif, th�orique et universel, la transition d�mocratique exige, n�cessairement, une r�forme militaire. Le cas �ch�ant il pouvait suffire de s�instruire des exp�riences r�ussies en la mati�re, par exemple en Espagne, et r�duire le probl�me � une simple affaire technique. Comme je suis m�fiant de l�universel th�orique qui s��rige en r�gles normatives, il me fallait �probl�matiser� la question de la r�forme militaire dans le cas sp�cifique du monde arabe pour prendre la pleine mesure de sa dimension politique. Il me fallait revenir � l�histoire pour comprendre pourquoi il en �tait ainsi. Cet exercice de �probl�matisation � m�a conduit � consid�rer que la r�forme militaire devait s�int�grer dans un processus global de d�mocratisation touchant, �galement, la classe politique arabe. La s�paration du politique et du militaire dans le monde arabe est conditionn�e par deux autres s�parations, celle du religieux et du politique et celle du la�c et du jacobin. Aucune de ces s�parations ne peut ni ne doit se faire sans l�autre. J�ai ajout� que la condition n�cessaire de cette triple s�paration se trouve dans la distinction �tablie par Max Weber entre ��thique de conviction� et ��thique de responsabilit�. Sch�matiquement, l��quation politique arabe se pr�sente sous la forme d�un cloisonnement �tanche entre groupes d�acteurs - militaires, la�cs et islamistes - anim�s par des convictions id�ologiques si profondes qu�elles conduisent syst�matiquement � l�exclusion des autres. L�exp�rience alg�rienne a montr� que cette d�marche conduit directement au d�sastre. L�alternative pragmatique � avant d��tre morale � se trouve dans �l��thique de responsabilit� celle o� chacun mesure les cons�quences de ses actes. Il me semble qu�il est dans l�int�r�t des pays et des arm�es arabes que la responsabilit� du gouvernement incombe � une autorit� civile responsable jouissant d�une l�gitimit� d�mocratique incontestable. Il est dans l�int�r�t des pays arabes et des islamistes de comprendre que la la�cit� n�est pas, n�cessairement, oppos�e � la religion et qu�il est, parfaitement, concevable qu�il puisse exister un acteur politique islamiste responsable dans un r�gime o� la religion est s�par�e du politique. Enfin, il est dans l�int�r�t des pays arabes et des la�cs de comprendre qu�il existe bel et bien des mouvements islamistes qui sont �clair�s et motiv�s par le d�sir r�el d��difier des Etats modernes, d�mocratiques et prosp�res. Ce n�est pas du tout de l�id�alisme na�f. L�exp�rience turque est l� pour le prouver. En somme la r�forme militaire ne peut s�effectuer qu�� la faveur d�un renversement de l��quation politique arabe qui passerait des lignes de d�marcation fond�es sur les antagonismes id�ologiques � des lignes de d�marcation reposant sur l�esprit de responsabilit� politique lequel transcende les id�ologies et exclut l�irresponsabilit� porteuse de tous les p�rils y compris celui de l�intervention �trang�re. Envisagez-vous de contribuer au rayonnement en Alg�rie des disciplines que vous enseignez au Canada ? Je le souhaite de tout c�ur. Voyez-vous, j�ai �tudi� en Alg�rie de l��ge de six ans � l��ge de vingt-sept ans au frais du contribuable. Je repr�sente avec tous les universitaires et les cadres alg�riens vivant � l��tranger une perte s�che pour l�Alg�rie qui a fait de nous ce que nous sommes, c�est-�-dire la part op�rationnelle sur laquelle s��difie l�avenir d�un pays. Essayez d�en chiffrer le co�t et vous aboutirez sans doute � des sommes astronomiques. Je vis, quotidiennement, dans la hantise de cette situation d�solante. Mais je ne dois pas me limiter au constat. Des solutions existent, du moins en ce qui concerne les universitaires. Un premier pas consisterait en une r�habilitation s�rieuse de l�institution universitaire car c�est bien ce facteur qui repr�sentera le principal attrait aux yeux des universitaires alg�riens exer�ant � l��tranger. Il est ensuite n�cessaire de se d�barrasser de la mentalit� centralisatrice qui �touffe l�initiative et freine le d�veloppement. Je n�entends pas �tre moralisateur et donneur de le�ons � partir de l��tranger. Mes coll�gues alg�riens sont bien mieux plac�s que moi pour juger. Mais l�exp�rience accumul�e me permet d�avancer, sans grand risque de me tromper, que confier la mission de nouer des liens avec les universitaires de l��tranger � la machine bureaucratique d�un minist�re c�est l��chec assur�. Tout au plus y aura-t-il des rencontres grandioses et tr�s on�reuses. Il y en a eu qui sont rest�es sans lendemain. Il faut passer � une mentalit� de r�seaux � tisser au niveau le plus local. De professeur � professeur, sur des th�mes bien pr�cis, engageant des projets tout aussi pr�cis. Cela peut aller de la simple communication devant des �tudiants de second cycle � des publications communes, jusqu�au colloque acad�mique de plus grande ampleur. C�est plus �conome et bien plus efficace. C�est de la sorte d�ailleurs qu�agissent les pays qui ont su tirer le meilleur profit de leurs diasporas. Vous �tes le neveu du prestigieux diplomate Lakhdar Brahimi. Vous �voquez, non sans fiert�, l�influence qu�il a exerc�e sur votre carri�re acad�mique. De quelle mani�re s�est exerc�e sur vous cette influence ? Une influence cardinale consid�rable, et c�est peu dire. Mais votre question me met quelque peu dans l�embarras parce que je ne veux pas heurter la modestie l�gendaire de mon oncle ni violer son go�t, pas moins l�gendaire, pour la discr�tion. Vous comprendrez ma g�ne de devoir parler d�un homme qui m�a toujours fait l�effet d�un asc�te. D�un autre c�t�, je ne peux me d�rober face au devoir de reconnaissance surtout que j�ai ce rare privil�ge de l�exprimer, pour la premi�re fois, en public. Une anecdote pour mesurer l�ampleur de ce que je dois � Lakhdar Brahimi. A son retour de Londres o� il �tait ambassadeur pendant les ann�es 1970, il portait dans ses bagages un nombre consid�rable de livres, si consid�rable que sa biblioth�que dans son appartement d�Alger ne pouvait tous les contenir. Il en confia une partie non n�gligeable � ma m�re en lui disant : �Un jour, les enfants en auront besoin.� Je n��tais qu�un enfant, mais je savais que les objets pr�cieusement envelopp�s dans des draps et soigneusement rang�s dans les placards � nous n�avions pas de biblioth�que � n��taient rien d�autre que ce que ma famille appelait avec r�v�rence �Ktabet khali Lakhdar � (Les livres de l�oncle Lakhdar). Quelques ann�es plus tard, fascin� par la po�sie arabe ancienne, notamment par Zoheir Ibn Abi Salma et Djarir, mais ne trouvant nulle part leurs recueils, je me suis, discr�tement, mis � fouiller dans �ktabet khali Lakhdar�. Ce fut une r�v�lation, pas seulement pour Ibn Abi Salma, mais pour bien d�autres po�tes anciens, voire d�autres, �tonnamment, po�tes modernes. Bayatti et Sayyab, notamment. Des livres d�histoire, de politique, de philosophie, en arabe, en fran�ais et en anglais �taient � ma port�e. L�univers de la lecture s�offrait � moi au sens litt�ral du terme. Vous comprendrez sans difficult� � quel point je peux �tre reconnaissant � l��gard de cet homme qui m�a offert cette voie d�acc�s vers la civilisation universelle. Un tel pr�sent est un don pour la vie. Et c�est dans la g�n�rosit� de ce don que se nourrit mon go�t pour la multidisciplinarit� apparu en moi tr�s jeune gr�ce � l�extraordinaire vari�t� de livres que fut ma premi�re biblioth�que personnelle. Mon go�t pour les langues et mon rejet des querelles linguistiques st�riles proc�dent du simple constat fait par un enfant face � un tas de livres �crits dans diff�rentes langues qui s�offraient � lui sans s�exclure au nom de la langue. Mais cette biblioth�que en dit long sur Lakhdar Brahimi lui-m�me. Tout le monde reconna�t en lui, � juste titre, le grand diplomate, le n�gociateur chevronn�, l�homme qui a c�toy� les grands de ce monde, de Nehru � Mandela. Mais pour moi, il demeurera � jamais un fin lettr�, un fin lettr� g�n�reux. Le don de ses livres n�est pas la seule expression de sa g�n�rosit�. La pudeur m�emp�che de relater toutes les fois qu�il a apport� une aide gracieuse � de modestes petites gens. Mais � bien y r�fl�chir, l�influence exerc�e sur ma vie par Lakhdar Brahimi est encore plus profonde avec une part ancr�e dans l�inconscient. Elle touche mes tentatives de r�flexion conceptuelle. Prenez, par exemple, ma communication au colloque d�Alger que vous venez d��voquer. A travers la d�finition nouvelle que je propose entre les diff�rents acteurs politiques � notamment les militaires, les la�cs et les islamistes � qui se voient comme des ennemis existentiels � une situation o� ils se voient comme des adversaires, mais des adversaires capables d��tre des partenaires. N�est-ce pas la conceptualisation de ce que Lakhdar Brahimi a tent� de faire dans chaque mission de paix qu�on lui a confi�e ?