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L'Entretien du Mois � C�est la R�volution alg�rienne qui a port� les diplomates alg�riens, ce ne sont pas les diplomates alg�riens qui ont port� la R�volution alg�rienne �
(Entretien avec Lakhdar BRAHIMI, men� par Mohamed Chafik MESBA
BIO EXPRESS DE Lakhdar IBRAHIMI Lakhdar Brahimi est n� le 1er janvier 1934 � El Azizia dans le pays profond en Alg�rie. Son p�re, Salah �tait propri�taire terrien et petit fonctionnaire (l�appellation exacte est �khodja�) dans l�administration de la petite commune. Le p�re qui souffrait, de n�avoir pu acc�der � l�instruction, nourrissait, cependant, l�ambition de voir son fils Lakhdar obtenir le certificat d��tudes primaires, parchemin pris� � l��poque .Le souhait sera exauc�, mais apr�s la mort du p�re. Orphelin d�s son jeune �ge, Lakhdar BRAHIMI se rendra pour une ann�e � Ain Bessem, afin d�y pr�parer l�examen d�entr�e � la fameuse Medersa d�Alger o� �tait dispens� un enseignement bilingue. Lakhdar BRAHIMI cl�ture ses �tudes � la Medersa, en 1953, en raflant le premier prix au Concours G�n�ral d�Arabe ouvert aux lyc�ens de France et d�Afrique du Nord. Il entame, aussit�t apr�s, ses �tudes � la Facult� de Droit et l��cole des Sciences Politiques d�Alger, avant de rejoindre, en Septembre 1955, la capitale fran�aise. Apr�s avoir �t� �lu Vice-pr�sident de l�AEMAN (Association des �tudiants Musulmans d�Afrique du Nord) � Alger en 1954, il prend une part active � la cr�ation de l�UGEMA dont il est Vice- pr�sident. Il se trouve pris, comme la quasi-totalit� des �tudiants, dans le tourbillon de l�agitation qui gagnait les rangs de la communaut� universitaire. Il s�engage dans l�action politique et se d�tache de ses �tudes. Avril 1956, l�UGEMA, en concertation avec le FLN, le d�p�che en compagnie de Mohamed Seddik BENYAHIA � la Conf�rence des �tudiants d�Afrique et d�Asie qui devait se tenir � Bandoeng, ville o�, l�ann�e pr�c�dente, avait eu lieu la Conf�rence historique des pays non-align�s. La r�union termin�e, Mohamed BENYAHIA et Lakhdar BRAHIMI se mettent � la disposition de la d�l�gation du FLN � l��tranger. Lakhdar BRAHIMI reste, cependant, � Djakarta o�, pendant cinq ans, il repr�sentera le FLN, �tendant son activit� vers les autres pays de la r�gion, notamment la Malaisie, la Tha�lande, la Birmanie et Singapour. Il apprend l�indon�sien et �tablit des rapports de sympathie avec le Pr�sident SOEKARNO qui le re�oit volontiers. Ce n�est qu�en 1961, qu�il est rappel� au Caire, si�ge du Minist�re des Affaires Etrang�res du GPRA. Apr�s l�ind�pendance, il effectue un bref interm�de dans l�administration centrale au Minist�re des Affaires �trang�res avant d��tre d�p�ch� par le Pr�sident Ahmed BEN BELLA, en Mars 1963, comme premier Ambassadeur de l�Alg�rie ind�pendante au Caire. Il s�introduit dans les cercles cairotes les plus influents, se lie d�amiti� avec Hassanein HEYKAL et parvient m�me � nouer des rapports privil�gi�s avec le Pr�sident NASSER. Cette position lui permet, sans doute, de contribuer � instaurer des rapports directs entre les Pr�sidents alg�rien et �gyptien. Le Pr�sident BOUMEDIENE se prend, en effet, d�attention affectueuse pour Lakhdar BRAHIMI qu�il re�oit r�guli�rement en t�te � t�te. Cette attention lui vaut de rester en poste dans la capitale �gyptienne jusqu�en 1970. De retour � Alger, il reste au Minist�re des Affaires �trang�res une ann�e, puis de nouveau est affect� comme Ambassadeur � Londres, en Grande Bretagne. De 1988 � 1991, il accomplit de mani�re laborieuse et pers�v�rante, une mission de m�diateur au Liban en vue de la conclusion des accords de Taef, mandat� par la Ligue Arabe dont il est devenu Secr�taire G�n�ral- Adjoint. En 1991, il revient en Alg�rie pour occuper les fonctions de Ministre des Affaires �trang�res mais il d�missionne d�s 1993. Le Secr�taire G�n�ral, son ami, Boutros GHALI, fait aussit�t appel � lui et le d�signe Envoy� sp�cial de l�ONU au Za�re o� il effectue plusieurs visites en vue d�aider � remettre en marche un pays paralys�. Apr�s cet �pisode, il assume, la m�me ann�e, la fonction de repr�sentant sp�cial de l�ONU pour l�Afrique du Sud � la t�te de la Mission d�observation charg�e de superviser les �lections qui mettent fin au r�gime de l�apartheid. La m�me ann�e, il devient Envoy� sp�cial du Secr�taire G�n�ral de l�ONU au Y�men pour aider � mettre fin � la guerre civile. En 1996, Lakhdar BRAHIMI est le repr�sentant sp�cial de l�ONU en Ha�ti o� l�ONU aide le pays � se relever des suites de la dictature des Duvalier et celle des militaires qui avaient renvers� le Pr�sident Aristide. De 1997 � 1999, Lakhdar BRAHIMI est Envoy� sp�cial de l�ONU pour l�Afghanistan mais il se d�met de cette charge en septembre 1999, pour protester contre le manque d�int�r�t du Conseil de s�curit� pour la crise en Afghanistan. Toujours au sein de l�ONU, il exerce, de 1999 � 2001, les fonctions de Secr�taire G�n�ral Adjoint, charg� des missions sp�ciales de soutien au maintien de la paix. Sa notori�t� internationale le conduit � pr�sider en 2000, une commission de personnalit�s charg�e d�une r�flexion sur les op�rations de maintien de la paix qui produit un rapport � le Rapport BRAHIMI �. Apr�s la chute du r�gime des Talibans, il est de nouveau, repr�sentant sp�cial du Secr�taire G�n�ral de l�ONU pour l�Afghanistan o� il est responsable de l�action des Nations Unies pour la reconstruction de l��tat afghan. En f�vrier 2004 il accepte � contrec�ur, une mission temporaire pour le compte des Nations Unies en Irak dont il se d�charge en Mai de la m�me ann�e. De 2004 � 2005, il est le Conseiller sp�cial du Secr�taire G�n�ral de l�ONU, puis d�missionne de l�administration onusienne, le 31 d�cembre 2005. Apr�s sa retraite, Lakhdar BRAHIMI est coopt�, en Septembre 2006, comme membre de l��cole des Sciences Sociales � l�Institut des �tudes avanc�es (Institute for Advanced Study) de Princeton, prestigieux �tablissement universitaire am�ricain. Lakhdar BRAHIMI est Docteur Honoris Causa de l�Universit� am�ricaine de Beyrouth, de l�Universit� britannique d�Oxford, de l�Universit� fran�aise de Nice (Facult� de Droit) et de l�Universit� italienne de Bologne (Facult� de Droit). P�re de trois enfants, Lakhdar BRAHIMI est mari� � la fille d�un ex-officier yougoslave, ami de Ben Bella, avait particip� au transport d�armes vers les maquis alg�riens et qui a trouv� la mort � bord de l�un de ces bateaux en 1956. Paris 23 juin 2007 En 1987, alors que je pr�parais un m�moire de recherche relatif au conflit du Sahara Occidental, j�avais eu � rencontrer Nicole GRIMAUD, r�put�e experte des questions de politique �trang�re au Maghreb. Quelle ne fut ma surprise lorsqu�elle m�apostropha de mani�re intempestive : � Monsieur MESBAH, vos responsables sont-ils conscients qu�une interruption de substance va affecter le processus de renouvellement du corps diplomatique de votre pays apr�s la disparition pr�visible � terme de cette g�n�ration de �diplomates- militants�, dont les exploits ont �maill� la sc�ne internationale?. Accordant du cr�dit � cette pr�diction, je me suis rem�mor�, alors, l�image de ces � diplomates-militants �, celle de Lakhdar BRAHIMI s�imposant plus particuli�rement, � mon esprit. Comment, en effet, remplacer les figures embl�matiques de la diplomatie alg�rienne par de jeunes pr�tendants, bien loin du niveau de qualification, de la hargne au labeur et, surtout, de la force de conviction des a�n�s? T�che difficile mais non impossible, il eut fallu, sans doute, pour r�ussir le passage de flambeau, que ces cadets piaffant d�impatience, cultivent le culte des a�n�s, en commen�ant par consigner, pour l�histoire, les prouesses diplomatiques et, parfois, les �checs objectifs, que ces �diplomates-militants� ont inscrit au registre de la guerre diplomatique men�e par le FLN en faveur de l�ind�pendance de l�Alg�rie. Dieu et les historiens savent combien cette guerre n�a pas �t� accessoire dans le r�sultat final. Il eut tant �t� souhaitable, � cet �gard, que ce fut un jeune diplomate, en effet, qui se substitua � moi, dans cet entretien avec Lakhdar BRAHIMI, puisque l�objectif est, exclusivement, de laisser trace, pour la m�moire nationale, d�une exp�rience unique sous forme de pi�ce � verser � l�histoire de la diplomatie alg�rienne. Il faut rendre hommage, � cet �gard, � Lakhdar BRAHIMI d�avoir accept� d�accorder cet entretien, non pas � quelque prestigieux organe occidental, voire am�ricain, mais � deux quotidiens alg�riens, lus, d�abord, par les Alg�riens. Revenons au corps de l�entretien accord� par Lakhdar BRAHIMI pr�cis�ment. Je suis frapp� par l�application m�ticuleuse qu�il a mis pour pr�parer cet entretien, s�interrogeant, avec modestie, sur certaines omissions �particuli�rement lorsqu�il se rendit compte avoir omis de citer ses compagnons aujourd�hui disparus, M�hamed YAZID et Abdelkader TCHANDERLI - voire sur des lourdeurs jug�es p�nalisantes pour le lecteur, me confiant, en ce cas, la libert� de supprimer ce qui �tait superflu. Il �tait amusant, aussi, de relever l�empreinte de l�influence anglosaxonne dans la r�flexion de Lakhdar BRAHIMI, lequel, se livrant � un travail de conceptualisation des ph�nom�nes internationaux, laissait �chapper, parfois, des formules typiquement anglaises et, forc�ment, intraduisibles en l��tat. Lorsque Lakhdar BRAHIMI retrace son itin�raire individuel, notamment son enfance dans un environnement rural marqu�, ses ann�es � la Medersa d�Alger, les conditions de son adh�sion � l�UGEMA puis le saut dans l�action diplomatique �militante � au sein du FLN, un signe de gratitude de la part du narrateur est perceptible pour l�opportunit� qui lui est offerte de s�exprimer .A l��vidence, Lakhdar BRAHIMI voulait se retourner sur son pass�, jusqu�� l��ge de son enfance, pour en laisser trace. Son r�cit est pr�cis, clair et �maill� de faits faciles � recouper. Son souci d��voquer ses compagnons comme pour dire qu�il leur doit la notori�t� internationale dont il peut se pr�valoir est omnipr�sent tout le long du r�cit. S�agissant des d�veloppements relatifs aux relations internationales proprement dits, Lakhdar BRAHIMI ne se d�partit pas de la retenue l�gendaire qui d�termine le comportement des diplomates .Il met volontiers, cependant, � le pied dans la fourmili�re �, en adoptant, parfois, des positions qui le situent aux antipodes des id�es re�ues, notamment, � propos de la politique ext�rieure am�ricaine. Loin de moi l�impertinence de juger de la r�flexion th�orique et de l�exp�rience pratique de Lakhdar BRAHIMI .Je livre, cependant, mon sentiment d��tonnement, � propos du ton d�humilit�, si peu habituel chez nos responsables, avec lequel Lakhdar BRAHIMI, selon le cas, att�nue son r�le o� reconna�t ses torts. Press� d�expliquer les raisons des succ�s diplomatiques recueillis au cours de la guerre de lib�ration nationale par cette g�n�ration de � diplomates-militants �, il se suffira de cette seule sentence : � C�est la R�volution alg�rienne qui a port� les diplomates alg�riens, ce ne sont pas les diplomates alg�riens qui ont port� la R�volution alg�rienne �. �voquant, d�autre part, son r�le de m�diateur dans le conflit qui s�vit toujours en Irak, il assume, sans ambigu�t�s, ses torts : � En toute humilit�, je reconnais avoir commis, l�, une faute �. Laissons le lecteur d�couvrir par lui-m�me ce ton d�humilit� avec lequel r�pond Lakhdar BRAHIMI, sans rien c�der, cependant, quant � la densit� des id�es et � la richesse des pistes sugg�r�es. Cet entretien apporte un �clairage, incontestablement nouveau, sur le syst�me naissant de relations internationales. Lors des contacts pr�liminaires, � cet entretien, j�avais propos� � Lakhdar BRAHIMI de s�expliquer sur les critiques que certains milieux avaient laiss� se d�velopper � son encontre en Alg�rie alors qu�il exer�ait les fonctions de Ministre des Affaires �trang�res. Voici, �difiante, sa r�action : � Si MESBAH, vous me proposez de participer � une t�che de facture acad�mique afin de laisser trace de mon exp�rience diplomatique et voil� que vous vous affairez � m�entra�ner vers un caniveau !? �. Il m�est revenu � l�esprit, alors, cette sc�ne tout � fait singuli�re o�, courant 1993, le jour m�me de sa d�mission de ses fonctions de Ministre des Affaires �trang�res, Lakhdar BRAHIMI pr�sidant une s�ance de travail sur la limitation des armements chimiques, � laquelle j�assistais au titre de l�Institut National des �tudes de Strat�gie Globale, affichait un s�rieux exemplaire, une s�r�nit� ostensible et, peut-�tre m�me, un flegme discret. Ayant eu connaissance, auparavant, de la d�mission accept�e du Ministre des Affaires �trang�res, je fus intrigu� par cette attitude de s�r�nit� car, combien d�autres responsables, en situation similaire, auraient manifest�, � travers leur mine, exasp�ration, courroux et ranc�ur. Je compris, ult�rieurement, que Lakhdar BRAHIMI, ne faisait pas de l�exercice des responsabilit�s officielles une fin en soi. Il accordait autant d�importance � l�autre vie, faite de plaisirs intellectuels et de joies familiales. Plaisirs intellectuels ? Le voil�, justement, invit� d�honneur, vaquant � des occupations de l�esprit, au sein de la prestigieuse Universit� am�ricaine de Princeton. Joies familiales ? Le voil�, pr�cis�ment, qui pr�pare un voyage presque rituel, en Indon�sie, pour visiter en famille, les familles de ses anciens compagnons indon�siens du temps o� il repr�sentait le FLN � Djakarta. Voil�, sous forme de symbole, l�inspiration d�un projet ou, du moins, l�empreinte d�une vie� Mohamed Chafik MESBAH [email protected]
I. L�itin�raire personnel : Mohamed Chafik MESBAH : C�est un plaisir et un honneur que de vous rencontrer, M. Lakhdar BRAHIMI, puisque votre notori�t� internationale, en ces moments o� l�Alg�rie peine � retrouver son rayonnement d�antan, a d�j� inscrit votre nom au fronton de l�histoire contemporaine, gr�ce au r�le appr�ciable que vous avez jou� dans un nombre important de crises actuelles ou pass�es. Commen�ons par une question qui peut para�tre d�sinvolte mais dont vous comprendrez sans doute, le symbole, l�action diplomatique vous manque-t-elle ? Lakhdar BRAHIMI : L�action diplomatique ne me manque pas vraiment. Tout d�abord parce que l�exp�rience que je tente depuis bient�t une ann�e est fascinante. Pour la premi�re fois depuis que j�ai abandonn� mes �tudes en 1956, je me trouve dans un milieu universitaire. Les s�minaires auxquels je participe depuis Septembre de l�an dernier portent justement sur �Le Tiers Monde aujourd�hui�. Il est int�ressant et instructif de d�battre de ce sujet, dont j�ai une connaissance pratique, avec des professeurs qui en ont une connaissance acad�mique. Surtout que ces professeurs viennent de pays et d�horizons diff�rents. Il y a naturellement une majorit� d�am�ricains, mais il y a aussi des chercheurs d�autres nationalit�s : un jama�cain, une pakistanaise, un fran�ais et deux chinois. Celui-ci travaille depuis 30 ans sur l�Afrique dont il parle plusieurs langues, celle-ci parle arabe et connait � fond la Syrie et le Y�men. Cet autre fait un travail impressionnant sur Bandoeng, le non-alignement et la question de la souverainet�. Cette autre �crit un livre sur l�Islam en Bulgarie et une autre enfin publie un ouvrage sur � la question du foulard � en France. Ceci dit, on ne tourne pas le dos d�finitivement � une carri�re qui s�est prolong�e sans discontinuer toute une vie durant. Je reste donc en contact assez �troit avec les Nations Unies, avec mes anciens coll�gues de l�ONU ainsi que des journalistes, des enseignants et des diplomates qui s�adressent � moi de temps � autre pour discuter des probl�mes que je connais un peu. On me demande aussi de participer � des s�minaires ou de donner des conf�rences se rapportant aux m�mes sujets. MCM : Vous appartenez � cette g�n�ration d��tudiants qui se sont retrouv�s happ�s par le cours de la guerre de lib�ration nationale, une v�ritable r�vo- lution politique, �conomique et sociale en fait, sans prendre le temps, parfois, de � r�fl�chir leur engagement � .Mais, avant d�en arriver � cet �pisode, �voquons votre enfance que d�aucuns parmi vos proches qualifient de difficile mais de studieuse � LB : Vous avez raison de dire que l�engagement dans la lutte pour la lib�ration s�est fait pour nous � sans r�flexion � : il n�y avait pas lieu de r�fl�chir. Le pays �tait pr�t pour cette grande aventure et il me semble que chacun, la o� il se trouvait, a rejoint les rangs de mani�re spontan�e. Je suppose que nous y reviendrons au cours de l�entretien. Quant � l�enfance, elle fut celle d�un enfant n� � la campagne, loin de la route goudronn�e, donc de la voiture, de l��lectricit� et des Fran�ais. Nous vivions dans la ferme ancestrale, en �conomie ferm�e. Nous mangions ce que la terre produisait et que nos m�res ou nos s�urs pr�paraient � la maison. Nous n��tions pas riches au sens de la richesse que l�on voit aujourd�hui. Mais pour l��poque et dans le milieu environnant, nous �tions certainement dans l�aisance. Personne dans ma famille proche n�a �t� atteint, mortellement, par l��pid�mie de typhus qui a ravag� une bonne partie de l�Alg�rie et dont Lakhdar Ha- mina a reproduit des images poignantes dans � les ann�es de braise �. Personne n�a eu faim, non plus autour de moi alors qu�il y a eu une quasi-famine dans la r�gion pendant ces ann�es de la deuxi�me guerre mondiale. Nous n�avions pas froid non plus. Mais notre table �tait frugale, nos v�tements � tra- ditionnels, bien sur � modestes et notre vie simple. Dans son dernier ouvrage, � Des Mots et des Lieux, souvenirs d�une Alg�rie oubli�e �, Mostefa LACHE- RAF, en parlant de sa propre enfance, a d�crit un monde qui �tait le mien, il l�a d�crit mieux que je ne saurai le faire. A cette diff�rence pr�s que dans son village, Sidi Aissa, l��cole publique (fran�aise) et l��cole coranique �taient toute deux sur place. Pour moi, l��cole publique se trouvait � quelques kilom�tres de la maison au bord de la route goudronn�e, justement - et nous nous y rendions � dos d��ne et quelquefois � pied. Quant � l�instruction coranique, elle �tait dispens�e chez nous, � la ferme, par un � Cheikh � qui vivait � demeure et qui nous enseignait le coran le matin, � l�aube, et en fin de journ�e, avant et apr�s l��cole publique. Je ne me souviens pas avoir vu un m�decin durant les douze premi�res ann�es de ma vie. Sauf le Dr. KEST qui suivait la tuberculose de mon p�re et qui venait d�Alger au printemps pour chasser aux alentours. Je ne me souviens pas avoir vu avoir vu d�autres Fran�ais jusqu� l��ge de 10 ans. Sauf une fois, lorsque mon p�re m�amena avec lui � Alger - probablement en 1944- pour se faire examiner, juste- ment, par le Dr. KEST. Se rendre � Alger � l��poque, en autocar, bien sur, �tait toute une exp�dition que l�on pr�parait soigneusement pendant plusieurs jours et dont on parlera longtemps autour de soi. Qu�il n�y ait pas eu de m�decin dans notre vie, � l��poque, n�est sans doute pas �tranger au fait que ma m�re a perdu quatre de ses neuf enfants en bas �ge et que ma s�ur a�n�e soit morte � vingt ans. MCM : A propos de cette enfance, juste- ment, quels sont les souvenirs qui vous re- viennent, le plus fortement, � l�esprit ? LB : Vous avez raison de dire le plus fortement. Les souvenirs d�enfance renvoient, en effet, � la vie tr�s dure des femmes dans les milieux campa- gnards de l��poque. Il faut absolument en parler. Elles �taient les premi�res lev�es, les derni�res � manger et les derni�res � se coucher. Une femme, pauvre ou riche, n�arr�te jamais de travailler : ranger les matelas et les couvertures au matin puis, la journ�e durant, balayer, essuyer, p�trir le pain et le faire cuire au four ou sur le � tajine �, rouler le cous- cous, faire la cuisine, faire manger tout le monde, faire la vaisselle et laver le linge. En saison, les femmes faisaient s�cher les tomates ou la viande, faisaient provision de tout ce qui peut se pr�server, occasionnellement elles n�h�sitaient pas � faire des confitures. En saison, elles avaient la charge de laver la laine, la filer, la teindre, de monter le m�tier � tisser pour faire tapis et couvertures pour toute la famille. Avec tout cela il leur fallait, en plus, trouver le temps de choyer les enfants et de leur raconter des histoires durant les longues soir�es d�hiver. Je sais que beaucoup a �t� �crit sur le su- jet. Mais il me semble que l�hommage qu�elles m�ritent n�a pas �t� rendu � nos m�res et � nos s�urs. A la mort de mon p�re, nous avons d�m�nag� � Bir-Rabalou (�pel� Biraghbalou maintenant) dans une autre ferme de la famille, o� vivait, entre autres, mon oncle Kaddour. C��tait l�hiver 1945.Je conserve le souvenir persistant de notre instituteur, Cheikh Ali ARBAOUI, un ami de mon p�re qui me disait, le printemps de cette ann�e l�, que l�on venait de d�couvrir � un m�dicament qui est arriv� quelques mois trop tard pour ton pauvre p�re �.Je com- prendrai plus tard qu�il s�agissait de la p�nicilline. MCM : La mort pr�matur�e de votre p�re semble vous avoir beaucoup affect� pour le reste de votre vie�. LB : Mon p�re avait tout juste quarante ans quand la maladie l�emporta. On dirait aujourd�hui qu�il est parti beaucoup trop jeune. Pas � l��poque, pas dans notre r�gion en tous les cas, o� la moyenne d��ge �tait inf�rieure � quarante ans. Je me souviens tr�s bien de mon p�re ; au plan physique s�entend. On disait � on dit encore � autour de moi que c��tait � un homme g�n�reux �. Il �tait respect� dans la famille ; craint aussi parce que, disait-on, il �tait s�v�re et peut-�tre aussi col�reux. Il �tait certainement s�v�re avec nous autres enfants, pas seulement les siens, mais ceux de toute la famille. On racontait avec le sourire que son fr�re a�n�, Ah- med, pas du tout s�v�re quant � lui, mena�ait ses propres enfants en leur disant : � je vais dire � votre oncle Salah� �. Il n�y avait pas de familiarit� entre mon p�re et nous. Je ne me souviens pas d�un bai- ser, d�une caresse, d�un mot gentil de sa part. La plus grande manifestation d�affection dont j�ai sou- venir, c�est une fin de journ�e d�hiver o� il attendait mon retour de l��cole, dehors, sous une pluie bat- tante. Il y a deux oueds entre notre ferme et l��cole. Les traverser sous la pluie n��tait pas chose facile, m�me � dos d��ne. M�me du haut de mes huit ans, j�ai vu combien il �tait soulag� de me voir arriver� C�est � deux mois de sa mort, peut-�tre un peu plus, que mon p�re s�est rapproch� de moi. C��tait la fin de l�ann�e 1944 et en un hiver particuli�rement ri- goureux, des mots capt�s lors de conversations entre grandes personnes m�avaient appris que mon p�re n�allait pas bien du tout... Je pense que je sa- vais qu�il n�en avait plus pour longtemps. C�est l� qu�il a commenc� � m�appeler pour rester avec lui, le soir, apr�s un d�ner que nous ne prenions natu- rellement pas avec lui. Il �tait assis devant sa che- min�e et je m�asseyais un peu en retrait, presque derri�re lui, en l��coutant parler. Il ne me serait pas venu � l�id�e de lui poser des questions. J��coutais donc ces longs monologues, soir apr�s soir. Il me parla de sa propre enfance, du fait que son demifr�re Kaddour et lui-m�me �taient les plus jeunes des sept fils de � Hadj Brahim�. Il me pr�cisera que son demi-fr�re et lui-m�me �taient tr�s jeunes lorsque leur p�re mourut alors que les autres fr�res � �taient d�j� des hommes, mari�s ou en �ge de l��tre �. A l��vidence il voulait me dire ainsi qu�il fut orphelin � un �ge encore plus tendre que le mien. Il me dit aussi comment mon oncle Kaddour et lui avaient �t� plac�s dans la Zaou�a de � Cheikh Ham- mami � encore plus loin � l�int�rieur du pays, vers Palestro, Lakhdaria aujourd�hui, o� leur vie n�avait pas �t� facile du tout. Mais il me parla surtout de la n�cessit� de faire des �tudes. � N�arr�te pas ; va aussi loin que tu peux ; je sais que tu pourrais h�siter pour ne pas laisser ta m�re et tes s�urs. Mais tu verras, ta m�re t�encouragera elle-m�me �.Je me souviens aussi du soir � un jeudi il me semble � o� mon p�re ne m�appela pas aupr�s de lui. Le lendemain, il nous quitta. Ces conversations � ou plut�t ces monologues � de mon p�re aux tous derniers jours de sa vie, sont rest�s grav�s dans ma m�moire. Je le revois encore devant le feu de bois dans la chemin�e et sa voix r�sonne souvent dans ma t�te. Je n�en ai pas parl� depuis fort longtemps. MCM : Il semble, � ce propos, que votre p�re se d�solait que vous n�obteniez pas de son vivant le fameux certificat d��tudes. N�est-ce pas cette dette morale vis � vis du p�re qui vous pousse, aujourd�hui encore, � cultiver l�amour de l�effort intellectuel ? LB :Sans doute. En fait, j�ai longtemps regrett� de n�avoir pas repris mes �tudes apr�s l�ind�pendance. En souvenir, pr�cis�ment, de cette recommandation paternelle. J�ai en quelque sorte report� cette dette sur mon fr�re Miloud que j�ai encourag� � reprendre ses �tudes. De toute mani�re il �tait nettement plus dou� que moi. Lui a repris et termin� ses �tudes� MCM : Revenons � votre progres- sion scolaire, si vous le voulez bien. LB :J�allais donc effectuer une ann�e de scolarit� � Bir-Rabalou pour pr�parer ce fameux certificat d��tudes qu�il fallait aller passer � Sour-El-Gho- zlane, vingt kilom�tres plus au sud .Puis apr�s je passais une ann�e � Ain Bessem pour pr�parer le concours d�entr�e � la Medersa. Cet �tablisse- ment assez particulier que j��voquerai plus en d�tail dans ce r�cit. Pourquoi Ain Bessem ? Parce que c��tait l� qu�il y avait ce que l�on appelait � l��po- que un � Mouderes �, c�est-�-dire quelqu�un qui enseignait l�arabe � l��cole publique. Il y avait aussi une �cole libre tout r�cemment ouverte par l�Asso- ciation des Oul�mas. Ce furent donc le Mouderes, Cheikh Nadhir ZMIRLI, de Boussa�da et Cheikh Mohammed OUMEZIANE, Directeur et enseignant unique de l��cole libre, venu de Kabylie, qui vont me pr�parer � ce concours. Il n�y avait qu�une vingtaine de places de disponibles pour chaque promotion et j�ai d� �tre admis parmi les derniers car je n��tais en r�alit� fort ni en arabe, ni en fran- �ais. J��tais aussi le plus jeune de ma promotion. MCM : Quel �tait le panorama politique qui se pro- filait derri�re cette vie studieuse ? Perceviez-vous, alors, la mue du mouvement national, apr�s les �v�- nements du 08 mai 1945, notamment, et le puissant �veil de la conscience nationale qui en a r�sult� ? LB : Nous sommes en 1947. M�me dans nos mech- tas recul�es, nous avions entendu parler � d��v�ne- ments terribles � survenus le 8 Mai 1945 dans des contr�es lointaines, mais tout de m�me proches. Mon grand oncle, le Bachagha Lakhdar, que nous appelions tous � Grand P�re �, patriarche de la famille et son fils Ali, dont nous allions nous rappro-- cher, mon fr�re Miloud et moi-m�me, apr�s la mort de notre p�re, en parlait parfois. Le Bachagha �tait de ceux que l�on appelait alors �les administratifs �. Il �tait une cible favorite d� �Alger R�publicain � qui publia de lui, je me souviens, de belles caricatures. Ce qui n�emp�chait nullement le � Grand P�re � de me demander de lui faire lecture assidue du quotidien communiste. � Administratif � ou pas, cela ne l�emp�chait nullement de commenter s�v�rement les actes r�pressifs de S�tif et de Guelma. Il parlera en termes �galement r�probateurs des �v�nements du Maroc et notamment de l�exil du Roi Mohammed V. Peu de temps avant sa mort, en Septembre 1954, il envoya un projet d�article au quotidien fran�ais �Le Figaro� plaidant pour le retour de Mohammed V et demandant des r�formes � hardies � (je me souviens de ce mot) en Alg�rie, faute de quoi, di- sait-il, � notre pays connaitrait des d�veloppements similaires � ceux de Maroc et de la Tunisie �. � Le Figaro � ne publia pas cet article et, a ma connais- sance, ne r�pondit m�me pas au grand-p�re. Mais c�est � Ain Bessem, autour de l��cole libre et du Cheikh Mohammed OUMEZIANE que le vocabulaire nationaliste nous devint peu � peu familier. C�est l� que nous appr�mes les premiers chants patriotiques. C�est l� aussi que nous v�mes � je ne dis pas nous lisions � la revue anim�e par Cheikh Bachir IBRAHIMI dont je n�appr�cierai que plus tard la tr�s belle langue arabe, son style sim- ple, limpide, �l�gant et vraiment enchanteur, dans le fond comme dans la forme. C�est l� aussi que nous entend�mes, de plus en plus souvent, les noms de Ferhat ABBAS, du Dr. BENJELLOUN, du Dr SAADANE, de MESSALI. C�est l� aussi que nous v�mes, de temps en temps, les journaux Li- bert� et �galit�. Ce n�est pas encore l�engagement. Mais c�est comme le dit LACHERAF, le d�but de la prise de conscience qui va s�aiguiser � la Medersa au contact de camarades venus de partout ailleurs, mais aussi au contact des habitants de la Casbah o� la Medersa �tait alors situ�e : nous vivions au milieu de ce quartier � nul autre pareil et beaucoup de ses habitants nous avaient un peu adopt�s. MCM : Attardons-nous pr�cis�ment, sur la Medersa, avec cet enseignement, o� �taient dispens�s, presque � �galit�, cours de civili- sation musulmane et cours de la culture fran- �aise. Quels souvenirs en conservez-vous ? LB : Vos jeunes lecteurs ne savent peut-�tre pas que l�Administration coloniale avait en effet � in- vent� � cet �tablissement tr�s original. Il y avait donc trois Medersa, situ�es � Alger, Constantine et Tlemcen. A l�origine, les �tudes duraient quatre ans seulement et les �l�ves y arrivaient � un �ge relati- vement avanc�, rarement moins de 18 ans, parfois beaucoup plus. Ainsi, LACHERAF raconte qu�il ar- riva � la Medersa apr�s quatre ann�es pleines de coll�ge. Dans ma promotion, tenez-vous bien, un de mes camarades avait vingt ans en premi�re ann�e ! Apr�s la deuxi�me guerre mondiale, fut instaur� ce qui a �t� appel� alors, � le nouveau r�gime �, avec une scolarit� de six ans. Mais � l�ancien comme au nouveau r�gime, la Medersa pr�parait, essentielle- ment, des enseignants de langue arabe, des inter- pr�tes judicaires et des agents de la magistrature musulmane. C�est � partir de 1953 qu�une nouvelle r�forme affubla les Medersas du nom de � Lyc�es d�enseignement franco musulman � un nom bizarre et pas tr�s sympathique. On b�tira aussi un nouvel �difice pour la M�dersa d�Alger � Ben Aknoun qui porte aujourd�hui le nom de �Lyc�e Amara Rachid�. L�ancien b�timent, � c�t� de la Mosqu�e de Sidi Abderrahmane, au haut de la Casbah, fut r�serv� aux filles. Il y avait aussi, � l��poque, l�Institut des Hautes �tudes Islamiques o� les dipl�m�s de la Medersa allaient poursuivre leur formation, s�ils n�optaient pas pour une carri�re imm�diate dans la fonction publique. Les �tudiants du � nouveau r�gime �, encourag�s, notamment, par un profes- seur de math�matiques qui eut une tr�s grosse influence sur nous tous, Abdelaziz OUABDESS-- LAM, commen�aient � tenter de passer le bacca- laur�at fran�ais en candidats libres. C�est ce que fit, par exemple, Smail HAMDANI. Je fis la m�me chose moi-m�me et bien d�autres camarades aussi. La Medersa donnait une solide formation en arabe, en plus d�une formation en fran�ais � peu pr�s similaire � celle que dispensaient les autres �tablissements secondaires fran�ais. Je pense que l�autre avantage des Medersas �tait � du moins avant la p�riode du � franco musulman � - le nombre restreint d��l�ves par promotion et l��ge relativement plus m�r parmi ces �l�ves. Mais la qualit� de la formation dans les Medersas �tait due surtout � celle des enseignants et � la nature des relations qui existaient entre eux. Voici tout d�abord une petite anecdote : � mon arriv�e � la Medersa, nos a�n�s �taient intrigu�s et amus�s de voir qu�un medersien pouvait d�barquer de Bir- Rabalou. Pourquoi ? Parce qu�un professeur de math�matiques qui r�pondait au nom de Nicola� avait coutume de dire pour r�primander ses �l�- ves : � Attention, vous autres, je ne suis pas pro- fesseur � Bir-Rabalou !). Pourquoi Bir-Rabalou ? Personne n�a pos� la question � ce brave profes- seur. Je peux seulement sp�culer que c��tait parce que c��tait un tout petit village obscur, dans une r�gion recul�e du pays. Le fait est que le profes- seur Nicola� n�a jamais fait usage le cette expres- sion en ma pr�sence. A ma connaissance, il cessa �galement de l�utiliser dans les autres classes. Le professeur fran�ais le plus remarquable �tait sans doute un enseignant de Fran�ais, M. SHE- RER, un tr�s jeune normalien qui n�est pas rest� longtemps parmi nous et qui avait �tabli des rela- tions d�amiti� avec certains des � grands � �l�ves, pour certains, � peine plus jeunes que lui ! C�est lui, notamment, qui encouragea le regrett� Hachemi BOUNEDJAR � pr�parer le concours d�entr�e � l��cole Normale Sup�rieure. SHERER �tait un homme de gauche, curieux de conna�tre l�Alg�rie et ses probl�mes. Il �tait pr�visible qu�un profes- seur aussi potentiellement subversif n�allait pas pouvoir rester longtemps en Alg�rie. Il fut transf�r� en France, apr�s seulement deux ann�es, je crois. MCM : �voquez, si vous le permettez, le souvenir des autres enseignants alg�- riens de la m�dersa dont certains ont mar- qu�, pour toujours, l�esprit de leurs �l�ves� LB : En effet, ce sont nos professeurs alg�riens qui ont marqu� nos esprits de mani�re durable. J�ai d�j� parl� du Professeur de Math�matiques, Abde- laziz OUABDESSLAM. Apr�s l�ind�pendance, il ira diriger l��cole Polytechnique � El-Harrach .Il en fit un �tablissement de qualit�, malgr� les difficult�s �normes de l��poque. Je le revois de temps � autre, avec un plaisir �gal, et je l��coute avec le m�me respect et la m�me admiration. Un autre professeur que j�ai revu souvent, jusqu� sa mort, il y a quel- ques ann�es, c�est Cheikh Mechri AOUISSI, de La- ghouat. Un �minent sp�cialiste de droit musulman qui nous fit aimer cette mati�re aride. Il �tait �gale-- ment un excellent professeur de langue arabe qui nous fit aimer les g�ants de la litt�rature arabe, des po�mes incomparables d�Al Mutanabbi, des � Ma- qamate � d�Al-Hariri, des ouvrages d�Al-Jahedh, jusqu�aux po�tes de la p�riode andalouse, sans oublier l��mir Abdelkader, Bran Khalil Bran, Al-Manfalouti et les �crivains de la � Nahdha ��C�est au Minist�re de la Justice que Cheikh MECHRI, comme nous l�appelions, servira apr�s l�ind�pendance. Il y fut un conseiller respect� et Si Abdelmalek BENHABYLES notamment a appr�ci� sa contribution. Cheikh Ab- delkader NOUREDDINE �tait, par ailleurs, le type m�me de l��rudit ; la grammaire n�avait pas de se- cret pour lui. Petit, modeste, il ne quittait ses �l�ves que pour aller � la biblioth�que ou � �Radio Alger� o� il donnait des cours de vulgarisation. Cheikh Amor BENDALI �tait un excellent professeur de traduction. Il avait un accent typiquement alg�rois et beaucoup d�humour. Cheikh Boualem OULD ROUIS, de Blida, d�o� il venait chaque jour par train, �tait un excellent Professeur de langue arabe, peut �tre s�v�re mais juste. Il est venu me voir � Lon- dres alors que j�y �tais Ambassadeur et nous avons pass� une longue soir�e � parler des anciens de la Medersa d�Alger, professeurs et �l�ves, mais aussi des difficult�s de l�enseignement dans l�Alg�rie in-- d�pendante. Cheikh MEZIANE, de Tlemcen, cette fois-ci, �tait toujours impeccable dans un costume traditionnel tr�s typique, sous une barbe fournie mais tout aussi impeccablement soign�e. Il avait l�air plus s�v�re qu�il ne l��tait en r�alit�. Il ne tardera pas � retourner � Tlemcen comme directeur de la Medersa. Cheikh AGHA de Miliana �tait le plus jeune des professeurs alg�riens. Comme le Cheikh OULD ROUIS, il portait costume et cravate et un �l�gant � Fez � rouge. Un mot tout de m�me au sujet de Si Ahmed FOUILA, qui faisait office d�in-- tendant et de r�ceptionniste de l��tablissement. Il vivait � demeure et �tait toujours accessible. J�ai laiss� pour la fin notre Directeur, Cheikh BEN ZEKRI, un grand homme, �l�gant dans son costu- me traditionnel alg�rois et sa belle moustache blan- che. On le dit excellent p�dagogue, mais, h�las, il ne m�a pas enseign�. Il donnait des cours � l�Institut des �tudes Islamiques et les �tudiants parlaient de lui avec une v�ritable v�n�ration. On le disait aussi fin po�te et grand m�lomane. Il avait un air extr�mement s�v�re et ne supportait pas qu�on lui r�ponde dans une langue autre que celle qu�il a uti- lis� lui-m�me pour vous parler. S�il a parl� en arabe, il �tait indispensable de lui r�pondre en arabe ; si c��tait le fran�ais qui avait �t� utilis�, vous deviez en faire de m�me. Inutile de dire que le franc-arabe� qu�on parle trop souvent aujourd�hui �tait tout sim- plement impensable avec notre Cheikh�Mais la s�v�rit� d�apparence cachait un c�ur d�or. T�moin cette petite histoire. C��tait peut-�tre en 1950 ou en 1951, au printemps en tous les cas. J�avais � fait le mur � un soir pour aller voir une pi�ce de th��tre jou�e par les grands acteurs �gyptiens, Youssouf WAHBI et Amina RIZK, en tourn�e dans notre pays. Apr�s le spectacle, je me suis retrouv� nez � nez avec le Cheikh BEN ZEKRI dans le trolley qui me ramenait � l��cole Normale de Bouzar�ah o� nous logions. Lui-m�me avait �t� probablement au m�me spectacle et rentrait chez lui � El Biar. Inutile de dire que je n�avais pas pass� une bonne nuit car j�allais s�rement �tre convoqu� dans le bureau du Directeur � la premi�re heure et y passer un tr�s mauvais moment. Mais je ne fus jamais convoqu� ; le Directeur de m�a jamais parl� de cette affaire. Nos professeurs nous connaissaient donc intime- ment et s�int�ressaient � chacun d�entre nous. Ils �taient s�v�res mais justes. Nous les respections et nous les admirions. Envers certains d�entre eux, nous ressentions une r�elle affection, peut �tre m�me de la v�n�ration. Ils �taient d�sireux de partager leur savoir avec nous et nous �tions tout aussi d�sireux d�apprendre � leur �cole. En est-il de m�me aujourd�hui ? Je n�ai pas l�impression. Je ne pense pas faire preuve d�une quelconque � nos- talgie r�trograde � en disant que ce serait tout de m�me bien de retrouver un peu de cette ambiance qui existait � la Medersa entre professeurs et �l�ves. C�est � la Medersa aussi que la prise de conscience politique va s�aiguiser : certains de nos camarades �taient d�j� des militants structur�s, g�n�ralement au MTLD, peut-�tre pour quelques-uns � l�UDMA, mais j�en doute. C�est � l�Universit� que l�on trou- vera des � Udmistes � et des communistes. Je n�ai adh�r� � aucun parti moi-m�me � cette �poque. MESSALI �tait alors en r�sidence surveill�e dans une villa � Bouzar�ah. Nous logions alors dans l�internat de l��cole Normale de Bouzar�ah et la villa de Messali �tait presque en face de cet �ta- blissement. Nous passions souvent devant sa de- meure, dans l�espoir de l�apercevoir. Mais je crois que nous n�avons jamais eu la chance de le voir. MCM : Cela veut dire qu�il existait un proces- sus de m�rissement politique chez les jeunes medersiens, pr�lude � l�engagement militant � LB : Oui, sans doute. Le Professeur OUABDESS- LAM, notre professeur de math�matiques, me dira beaucoup plus tard, que durant ces ann�es qui avaient pr�c�d� le 1er Novembre, � nous avions l�impression, en vous regardant tous � la Medersa, que des �v�nements importants, porteurs de chan- gement, allaient se passer incessamment �. Je ne sais pas si nous avions tous un pressentiment similaire, mais il est certain que les �v�nements de Tunisie et du Maroc, les nouvelles d�Indochine, l�agitation sporadique en Alg�rie m�me, l�insou- ciance heureuse, arrogante et provocante des Fran�ais d�Alg�rie, nous faisaient sentir confus�- ment que les choses ne pouvaient tout simplement pas continuer ainsi. Je me souviens par exemple de la victoire des nationalistes vietnamiens � Dien Bien Phu, en 1953. C��tait le 8 Mai 1945, l�anniver- saire, pour les Alg�riens, des massacres de S�tif et de Guelma. Cette victoire humiliante pour le pou- voir colonial, remport�e par des colonis�s comme nous, avait valeur de symbole et de pr�sage. Le nom de GIAP, le g�n�ral vietnamien qui remporta cette victoire, va rester dans nos m�moires. Je suis s�r que toute cette g�n�ration d�Alg�riens a ressenti un immense plaisir lorsque le G�n�ral GIAP visita notre pays apr�s l�ind�pendance. Avant de terminer avec cette p�riode pass�e � la Medersa, il faut juste peut �tre ajouter un mot au sujet de quelques �tu- diants africains qui avaient fait des stages avec nous, pour quelques mois, peut �tre une ann�e scolaire. MCM : Des �tudiants autres que les Alg�riens ? LB : Oui, absolument, ils venaient du S�n�gal et de ce qui est aujourd�hui le Mali et le Niger. Nous �tions particuli�rement impressionn�s par leur connais- sance de la langue arabe. Une quinzaine d�ann�es plus tard je rencontrerai l�un d�entre eux au Caire : il accompagnait en visite officielle en �gypte, le Pr�-- sident de son Pays, le Niger. J��tais moi-m�me am- bassadeur au Caire. Aussi bien le Pr�sident Hamani DIORI que le Pr�sident NASSER �taient intrigu�s de nous voir accourir l�un vers l�autre au cours du d�ner officiel donn� par le Pr�sident �gyptien en l�honneur de son h�te dans les jardins du Palais Al-Kobba. MCM : Apr�s la Medersa, donc, vous rejoignez l�Universit� d�Alger .Quelle �tait, alors, la priorit� politique pour vous autres, �tudiants alg�riens ? LB : Durant l�ann�e universitaire 1954-1955 � Alger, les efforts des �tudiants �taient tous tendus vers la cr�ation de l�UGEMA. Nous avions, certes, l�AEMAN (Association des �tudiants Musulmans d�Afrique du Nord et l�AEMNA (Association des �tudiants Musul- mans Nord Africains), l�une a Alger, l�autre � Paris. Mais les �tudiants Tunisiens et Marocains avaient, deux ou trois ann�es auparavant cr�� l�UGET (Union G�n�rale des �tudiants Tunisiens) pour les uns et l�UGEM (Union G�n�rale des �tudiants Marocains) pour les autres. Les conditions de la lutte dans cha- cun des pays, avec leurs caract�ristiques sp�cifiques respectives justifiaient parfaitement ces d�veloppe-- ments. La lutte arm�e ayant commenc� en Alg�rie, il �tait normal que nous suivions le m�me chemin. MCM : Vous voulez �voquer, sans doute, �la bataille�, en quelque sorte, qui est intervenue � propos de l�adjectif � Musulmans � que vous vouliez adjoin- dre � la d�nomination de la nouvelle Association ? LB : Absolument. Contrairement � ce qui s�est pass� pour nos fr�res du Maroc et de la Tunisie, les choses �taient plus compliqu�es chez nous. Qui �tait alg�rien, en effet ? Nos camarades communis- tes et d�autres avec eux, pensaient que m�me s�il n�y avait qu�une infime minorit� d��tudiants non musulmans qui se consid�raient comme alg�riens, il fallait leur laisser le loisir de se joindre � nous. Pour la plupart des nationalistes, par contre, il s�agissait d�une p�riode exceptionnelle de lutte, dans laquelle se consid�rer � Alg�rien � demandait un engagement plus pr�cis et plus contraignant. Les premiers voulaient donc la cr�ation d�une UGEA (Union G�n�rale des �tudiants Alg�riens), les autres �taient favorables � la cr�ation de l�UGEMA (Union G�n�rale des �tudiants Musulmans Alg�- riens). Cette querelle au sujet du � M � n��tait pas sans relation avec la controverse qui opposait le PPA-MTLD aux communistes longtemps soutenus par l�UDMA et m�me par les Oul�mas au sujet de l�existence de la Nation alg�rienne d�fendue par les uns et la th�orie de � l�Alg�rie, nation en forma- tion � soutenue par les autres. A l�Universit� d�Al- ger, le soutien � l�id�e de l�UGEA �tait tr�s faible, il n�y avait pratiquement pas eu d�bat. Il en �tait de m�me dans les Universit�s et �tablissements assimil�s dans les pays arabes. En France cepen- dant les divisions �taient nettement plus marqu�es. C�est Belaid ABDESSLAM qui, de Paris, menait la campagne en faveur de l�UGEMA. Deux ou trois ann�es auparavant, il avait �t� le Pr�sident de l�AE- MAN � Alger et il avait men� des actions culturelles, sociales et politiques sans pr�c�dent. C�est � partir de l�, gr�ce � son d�vouement sans rel�che � la cause des �tudiants, que ABDESSLAM devient � et restera jusqu� l�ind�pendance � le leader reconnu et respect� de la cause estudiantine. Abdesselam et Abdelmalek BENHABYLES, avaient occup� des positions de direction au sein du MTLD. Lamine KHENE, Mohammed BENYAHIA, d�autres encore, �taient �galement des militants de vieille date. BENYAHIA avait d�ailleurs termin� ses �tudes de droit et commen�ait son stage d�avocat dans un ca- binet o� travaillait Abderrazzak CHENTOUF, un a�n� pour nous tous, qui formait avec son �pouse Ma- mia, un couple tr�s connu et tr�s respect� � Alger. Bref, � la bataille du M � que vous �voquez fut rude, mais � l�approche de la fin de l�ann�e sco-- laire, la quasi-totalit� de ceux qui accordaient leur faveur � l�UGEA, se sont ralli�s � la majorit�. L�UGEMA naqu�t dans l�unit� en Juillet 1955. Je n�ai pas particip� au congr�s constitutif. Mais je fus, n�anmoins, �lu au Comit� Directeur puis au Co- mit� Ex�cutif. On me confia la responsabilit� des relations ext�rieures. ABDESSLAM refusa toute position officielle au sein de l�Union. Je crois qu�il �tait tout de m�me membre du Comit� Directeur. Ahmed TALEB IBRAHIMI fut le premier Pr�sident de l�organisation et Mouloud BELAHOUANE, son Secr�taire G�n�ral. BELAHOUANE, KHEMISTI, puis Messoud AIT CHALAL se succ�deront � la t�te de l�UGEMA pendant les ann�es de combat. MCM : Revenons aux conditions de votre d�part sur Paris et des �tudes que vous y avez suivi� LB : C�est seulement en Septembre 1955, � l�issue d�une longue promenade, au centre d�Alger, le soir avec BENYAHIA, que je d�cidais, avec l�accord de mon oncle Ali, de demander mon transfert � Paris. Je dois dire que je ne fus pas un �tudiant tr�s assidu � Paris. A Sciences Po, il �tait indispensable d�assiste aux travaux pratiques et m�me � la plupart des cours. A la Facult� de Droit, par contre, il n�y avait pratique- ment pas de contr�le et je ne crois pas avoir assist� � plus que quelques cours. Les pr�occupations po- litiques l�emportaient de plus en plus sur les exigen- ces universitaires. Je n��tais naturellement pas seul dans ce cas. Je crois qu�il en �tait de m�me pour un tr�s grand nombre de nos camarades alg�riens. Des groupes d��tudiants et des cercles politiques fran�ais commen�aient � se poser des questions. Que se passait-il donc en Alg�rie ? Certains d�en- tre eux allaient vers les �tudiants alg�riens pour se renseigner. Le restaurant universitaire des �tudiants maghr�bins dans le modeste local sis au 115 Bou- levard Saint Michel devint ainsi un haut lieu de la vie estudiantine � Paris. (Je ne suis pas certain, � cet �gard, si � le 115 � comme tout le monde l�appelait affectueusement appartient toujours aux maghr�bins ou a l�Alg�rie toute seule .L�immeuble est clos et dans un triste �tat. Il ne faudrait pour- tant pas grand-chose pour le remettre en �tat et en faire quelque chose d�utile. Voila un dossier sur lequel notre ambassade ou notre Consulat G�n�ral � Paris pourrait utilement se pencher.). C�est l�, d�ailleurs, que nous avions fait la connais- sance des regrett�s Robert BARAT et de son �pou- se Denise, de Claude BOURDET et de beaucoup d�autres. Le Dr. TALEB IBRAHIMI rencontrera un peu plus tard Jean DANIEL et, � travers lui, Albert CAMUS et Mend�s FRANCE. D�autres milieux fran�ais, de droite, n�avaient pas de doute, quant � eux : l�Alg�rie �tait fran�aise et le restera. Cette poign�e de � rebelles � � on dirait aujourd�hui de � terroristes � � n�y changera rien. Ce sont des gens de cette esp�ce qui s�attaqueront, par exem- ple, � nos �tudiants � Montpellier en Janvier 1956. C�est dans ce contexte qu�intervient la r�union du Comit� Directeur de l�UGEMA, en Mars 1956. BENYAHIA et Lamine KHENE, entre autres, �taient venus d�Alger, sp�cialement, pour cette r�union. L�UGEMA avait re�u une invitation pour participer � une conf�rence des �tudiants d�Afrique et d�Asie qui devait avoir lieu � Bandoeng, en Avril 1956. L�id�e �tait de faire co�ncider la r�union avec le premier anniversaire de la Conf�rence au sommet qui s��tait tenue un an auparavant � Bandoeng m�me. (Je voudrais insister, � cet �gard, sur l�importance du Sommet de Bandoeng, un �v�nement de port�e historique pour l�Alg�rie. Le Pr�sident BOUTEFLI- KA a trouv� une formule heureuse pour en souli- gner le caract�re hautement significatif : � Ban-- doeng a �t� le 1er Novembre international pour la lutte du peuple alg�rien pour son ind�pendance �.). Il s�est pos�e, alors, la question de la repr�sentation de l�UGEMA � cette r�union. Qui ira donc � Ban- doeng ? BENYAHIA �tait arriv� avec la recomman- dation de la direction clandestine du FLN � Alger. C�est lui-m�me qui partirait avec Belaid ABDESS- LAM. Apr�s la conf�rence, ils ne devaient revenir ni en France ni en Alg�rie mais se mettre � la disposi- tion de la D�l�gation Ext�rieure du FLN qui deman- dait des renforts pour �largir son action internationa- le. ABDESSLAM n��tait pas chaud pour partir. Apr�s de longues tractations et des consultations avec la Direction du FLN, il fut sugg�r� que je le remplace. Ce n��tait pas une d�cision facile, mais je n�ai pas h�sit� longtemps. L� encore j�avais consult� mon oncle Ali qui, lui non plus, n�h�sita pas longtemps avant de m�encourager � accepter. Il �tait alors D�- put� � l�Assembl�e Nationale Fran�aise. Quelques mois plus tard, il d�missionnera et sera enferm� dans un camp d�internement � Larzac, avec beau- coup d�autres. La collaboration avec le colonialisme fran�ais �tait devenue impossible et la r�pression n�allait �pargner personne. Moins d�une ann�e plus tard, mon oncle Ahmed, Bachagha lui-m�me, et un autre parent, Bentayba MAHMOUDI, Ca�d, seront froidement abattus par des paras fran�ais. Le colo- nel OUAMRANE et les Commandants Azzeddine et Omar OUSSEDIK me diront plus tard combien cet oncle Ahmed - et beaucoup d�autres membres de la famille - les avaient aid� � implanter la Wilaya IV dans notre r�gion. C�est un peu plus tard, cependant, qu�une autre figure alg�rienne parmi les � adminis-- tratifs �, Abdelkader SAYAH, d�l�gu� � l�Assembl�e Alg�rienne, allait d�missionner de toutes les fonc- tions officielles dans le syst�me fran�ais, en faisant cette d�claration de tr�s grande simplicit� et de tr�s grande dignit� : � Aujourd�hui, je rejoins les miens �. MCM : D�s lors, vous renon- cez totalement � vos �tudes ? LB : Oui, �videmment. BENYAHIA et moi-m�me part�mes au Caire o� nous f�mes tr�s fraternelle- ment accueillis par Mohammed KHIDER. C��tait la p�riode du ramadhan et le jour de l�A�d, il nous emmena rendre visite � l��mir Abdelkader KHAT- TABI, le leader l�gendaire de l�insurrection du Rif Marocain. C�est l� que nous e�mes le plaisir de rencontrer Jean LACOUTURE, le grand journaliste et �crivain fran�ais qui est rest� un ami. Ferhat ABBAS, le Dr. Ahmed FRANCIS, Ahmed BOU- MENDJEL et Cheikh Tewfik AL MADANI �taient arriv�s au Caire � peu pr�s en m�me temps que nous .C��tait le ralliement officiel de l�UDMA et de l�Association des Ul�mas Alg�riens au FLN. Il n�y avait plus que le MNA qui continuait � faire cava- lier seul. C�est �galement au Caire que je fais la connaissance de Si Abdelhamid MEHRI qui fut le premier � m�introduire aux subtilit�s � � combien d�routantes parfois ! � de la politique au Machrek. Pour r�pondre � votre question, de mani�re plus directe, oui, pour BENYAHIA et moim�me, bient�t pour la plupart de nos camara- des �tudiants, la vie universitaire avait pris fin. MCM : Permettez-moi d�insister plus particuli�rement sur le processus psychologique par lequel un �tudiant, un intellectuel en somme, d�cide de franchir le Ru- bicon en s�engageant dans l�action r�volutionnaire�. LB : C�est la le genre de questions qui se posent apr�s, pas pendant. Je l�ai d�j� soulign�, la cr�ation de l�UGEMA s��tait faite dans une perspective de lutte. De mani�re naturelle presque, insensiblement, mais rapidement, l�UGEMA devient l�expression de l�effort national dans le milieu estudiantin. Tr�s vite les lyc�ens formeront � Alger leur propre organisa- tion au sein de laquelle Amara Rachid et d�autres medersiens allaient briller avant de consentir le sacrifice supr�me au maquis. La gr�ve des cours et des examens d�cid�e � Alger par la direction clandestine du FLN, en coordination avec les �tu- diants et les lyc�ens, est annonc�e le 19 Mai 1956. Les �tudiants vont alors s�int�grer publiquement au sein du FLN et � l�ALN. L�UGEMA devient, sur le plan international, le visage de la communaut� combattante estudiantine. Les �tudiants, malgr� leur nombre limit�, sont pr�sents dans tous les or- ganes de la lutte. Aux Conseils de Wilaya m�me, puisqu�il y aura m�me deux chefs de Wilaya �tu- diants : LOTFI � la Wilaya V et Youssef KHATIB � la Wilaya IV. Lamine KHENE sera membre du GPRA. Les �tudiants sont pr�sents aussi dans la direction clandestine du FLN � Alger, la Zone autonome d�Al- ger, l�UGTA, la F�d�ration de France et, plus tard, le GPRA et ses diff�rentes administrations. C�est dans le cadre de l�action internationale du FLN puis du GPRA que j�ai servi, pour ma part, sans discontinuer. Depuis notre d�part, BENYAHIA et moi-m�me, de Paris vers le Caire, puis vers Jakarta et Bandoeng. MCM : Commence alors pour vous une nou- velle vie avec votre immersion forc�e dans la vie diplomatique au service de la R�volution al- g�rienne. Vous appartenez, en effet, � ce qu�il est convenu d�appeler la g�n�ration des � di- plomates militants �. Comment s�est effectu�e cette immersion qui a commenc� en Indon�sie ? LB : Il faut peut �tre commencer par dire quelques mots au sujet de la conf�rence des �tudiants d�Asie et d�Afrique qui eut lieu � Bandoeng au printemps 1956 .Apr�s tout, c�est pour y prendre part que BENYAHIA et moi-m�me avions �t� d�p�ch�s. Les divergences entre les �tudiants asiatiques �taient alors profondes. N�oublions pas que nous sommes en plein dans la guerre froide. Si, pour beaucoup d��tudiants la voie non- align�e (le mot n��tait pas encore d�usage courant mais commen�ait � �tre utilis�) �tait la seule qui soit conforme aux int�r�ts des pays d�Afrique et d�Asie, une forte proportion d��tudiants �tait, cependant, tr�s engag�e dans l�un ou l�autre des deux camps, communiste et occiden- tal. Je me souviens, par exemple, que le Pr�sident de la d�l�gation des Philippines �tait violemment anti-communiste. Chinois, Vietnamiens �taient plus discrets, ce qui ne veut pas dire qu�ils manquaient de fermet� ou d��loquence. La d�l�gation indienne �tait compos�e de plusieurs groupes, parfois tota- lement oppos�s les uns aux autres. La Conf�rence ne s��tait ouverte que vers la fin de la premi�re semaine de mai et s��tait prolong�e jusque vers le 22 Mai. De ce fait, nous p�mes annoncer, en s�ance pl�ni�re, la nouvelle de la gr�ve d�clench�e par nos camarades le 19 Mai. Sit�t la conf�rence des �tudiants termin�e, nous avons ouvert � Dja- karta le premier bureau du FLN en Asie. En Ao�t, BENYAHIA rentre au Caire et je reste seul dans la capitale indon�sienne. Mon s�jour allait s�y prolon- ger cinq ann�es durant, jusqu�en Novembre 1961. MCM : Vous avez, alors, vraiment pris racine, sans jeu de mots, dans la soci�t� indon�sienne � LB : Vous parliez tout � l�heure d�� immersion for- c�e dans la vie diplomatique �. Soyons pr�cis : je ne sais pas si, � l��poque quiconque nous avait affubl� du titre de � diplomate �. Je ne me suis ja- mais consid�r� comme tel et je pense que c��tait le cas pour tous les autres fr�res. Nous �tions des militants que le hasard, la chance, les circonstan- ces ont plac�s dans cette situation et nous avons fait de notre mieux pour servir notre pays. M�me apr�s la proclamation du Gouvernement provisoire de la R�publique Alg�rienne (GPRA), nous n�avons jamais pens� � donner � nos missions le nom d�am- bassade ni � affubler nos chefs de mission du ti- tre d�ambassadeur. GPRA ou pas, l�Alg�rie n��tait pas ind�pendante ; elle �tait toujours occup�e et la guerre y faisait rage. Parler de diplomate, d�ambas- sade, aurait �t� ind�cent. A Jakarta, je fr�quentais tous les milieux, � tous les niveaux, le Gouverne- ment, � commencer par le Pr�sident de la R�pu- blique SOEKARNO, tous les partis politiques, les organisations de masse, les m�dias et m�me les milieux artistiques. Un Comit� de Soutien � l�Alg�rie avait �t� institu�, pr�sid� par le chef du plus grand parti musulman de l��poque, Mohammed NATSIR. Le Secr�taire g�n�ral en �tait Hamid ALGADRI, du parti socialiste. Le chef d�un parti chr�tien protestant en �tait le Vice-pr�sident et le Pr�sident du Parti ca- tholique le Tr�sorier. Vous voyez que l��ventail �tait large. Avec l�aide d�un �tudiant, Hamid ALHADDAD qui, dans les ann�es 1990, deviendra Ambassadeur d�Indon�sie � Alger, nous publi�mes un bulletin en anglais et en indon�sien. Avec le r�dacteur en chef de l�un des principaux quotidiens du pays, Rosi- han Anwar, un ami avec lequel je garde encore le contact, nous avions exploit� la notori�t� de Djamila Bouhired pour �crire une s�rie d�articles au sujet de l�ensemble de la question alg�rienne. Ces articles seront repris dans un petit livre intitul� � Jamila, Srikandi Aljazair �. (Jamila, une H�ro�ne d�Alg�rie) MCM : L�Indon�sie accordait, alors, un soutien re- marqu� � la guerre de lib�ration du peuple alg�rien ? LB : Oui ! En Janvier 1961, Ferhat ABBAS fait une visite officielle � Jakarta o� il est tr�s chaleureuse-- ment accueilli par le Pr�sident SOEKARNO. ABBAS demande que l�Indon�sie prenne l�initiative de r�unir une conf�rence des pays afro-asiatiques au sujet de l�Alg�rie. Les Indon�siens prennent les contacts n�cessaires puis nous informent qu�ils n�ont pas trouv�, h�las, un �cho favorable � notre proposi- tion. Nous parlons aussi d�une id�e que l�Indon�sie, l�Inde, l��gypte et la Yougoslavie commen�aient � discuter, celle d�un grand sommet des pays nonalign�s. Nous demandons � l�Indon�sie d�agir en vue d�y faire inviter l�Alg�rie en tant que participant � part enti�re. C�est au Caire et � Alexandrie, en juillet, qu�auront lieu les travaux pr�paratoires pour ce qui allait �tre la premi�re Conf�rence au Sommet des Pays Non Align�s, qui se tiendra � Belgrade, en Septembre 1961. Ce sera la premi�re Conf�rence internationale au Sommet � laquelle l�Alg�rie sera repr�sent�e � �galit� avec les autres pays. C�est aussi � l�issue cette visite que les Indon�siens d�- p�cheront en Tunisie et au Maroc une d�l�gation militaire pour discuter de questions d�armement avec les responsables militaires alg�riens. Cette d�l�gation fut dirig�e par le Colonel SUMARMO, �galement un ami. Quelques ann�es plus tard, alors que j��tais ambassadeur au Caire, le Colonel SU- MARMO et son �pouse sont venus passer quelques jours chez moi .Il retournait d�Allemagne o� il avait �t� pour soigner un cancer foudroyant. Moins d�une ann�e plus tard il fut emport� par cette maladie terri- ble. Depuis lors, chaque fois que je visite l�Indon�sie avec ma famille`nous essayons de faire le d�tour par Bandoeng, sp�cialement pour rendre visite � la veuve du Colonel SUMARMO et � ses enfants. C�est le lieu, ici, � l��vidence, de rendre aussi l�hom- mage particulier qu�il m�rite � Hamid ALGADRI. Je l�ai dit, il y a un moment, il fut le Secr�taire G�n�ral du Comit� de soutien pour l�Alg�rie. Hamid ALGA- DRI fut, en r�alit�, plus que cela. Membre du Pre- mier parlement Indon�sien apr�s l�ind�pendance de son pays, il sera en 1953, le premier � plaider, dans une ar�ne officielle de la n�cessit� d�une so-- lidarit� agissante avec les peuples maghr�bins en lutte contre le colonialisme fran�ais. Depuis lors, sa maison a �t� une sorte de � Maison du Maghreb � : BOURGUIBA, Allal AL FASSI, Salah BENYOUS- SEF, Ferhat ABBAS ont mang� � sa table. Jusqu� sa mort en 1998, tous les Ambassadeurs d�Alg�rie qui se sont succ�d�s � Jakarta ont b�n�fici� de ses conseils avis�s et de l�hospitalit� de sa famille. Encore maintenant, sa veuve Zena et ses enfants Mahir, Atika, Adila, Sadek, continuent de garder des liens tr�s �troits avec l�Ambassade d�Alg�rie. Pour ce qui me concerne, les enfants et les pe- tits enfants de Hamid et de Zena ALGADRI sont, comme disent mes propres enfants, � notre famille indon�sienne �.Je suis particuli�rement heureux que l�Alg�rie, � l�exemple de la Tunisie, ait accord� une d�coration � Hamid Algadri, � l�occasion de sa troisi�me et derni�re visite dans notre pays. MCM : �voquons, bri�vement, l�essor de l�acti- vit� diplomatique du FLN � travers le monde�. LB : L�activit� internationale de l�Alg�rie s��tend rapidement � travers le monde. Partout s�ouvrent de nouveaux bureaux qui comptent parmi leurs cadres des membres de l�UGEMA. Souvent ces �tudiants dirigent eux-m�mes ces bureaux ou y occupent des positions clef : Ch�rif GUELLAL � New Delhi, Abdelmalek BENHABYLES � Tokyo, Mohamed KELLOU � Londres puis � Karachi, Ha- fidh KERAMANE et Mouloud KASSEM � Bonn, Ali LAKHDARI � Rome, Raouf BOUDJAKDJI � New York et plus tard Messoud AIT CHAALAL � Bey- routh, Mohamed HARBI � Conakry, Layachi YAKER � New Delhi, Jamal HOUHOU � Tunis, Mabrouk BELHOCINE, Abdelkader BENKACI, Abdelaziz ZERDANI, Ahmed ZMIRLI et Brahim GHAFA au Caire. La direction de l�UGEMA � r�fugi�e � en Suisse et � Tunis continue, �galement, � faire en- tendre la voix des �tudiants � travers le monde. Un lieu particuli�rement important de notre action ext�rieure �tait, New York, bien �videmment. Les regrettes M�hamed YAZID et Abdelkader CHAN- DERLI y faisaient des merveilles. Ce n�est qu�en Septembre 1955 que nos d�marches pour faire inscrire la Question alg�rienne � l�ordre du jour de l�Assembl�e G�n�rale des Nations Unies ont abouti : la d�cision fut emport�e par seulement une voix de majorit�. Les deux �v�nements qui ont contribu� de mani�re d�cisive � cette victoire furent les attaques du 20 Ao�t dans la Wilaya II et la Conf�rence de Bandoeng. De nombreux