Par Lalaoui Belkacem. L'institution sportive alg�rienne, qui d�signe au sens le plus large un ensemble d'activit�s sportives r�glement�es avec des formes, des contenus et des modes organisationnels sp�cifiques, a bien des difficult�s � s�implanter au sein de la soci�t�. Simple structure sociale de surface opaque, complexe et illisible, elle ne semble r�pondre � aucune finalit� �ducative claire et distincte, qui puisse mobiliser et galvaniser les �nergies n�cessaires. Ses trois composantes, qui sont le sport-�ducation, le sport d'�lite (ou le sport-spectacle) et le sport-participatif (ou le sport de masse), n'ont pas fait l'objet d'une action suffisamment coordonn�e de la part des gouvernements successifs. - Le sport-�ducation, l� o� toute l�enfance et la jeunesse sont r�unies, est consid�r� comme un simple agent de compensation organique, un amusement ou encore un vague d�foulement, et non comme un agent cr�ateur de force morale et de force nationale. Les jeunes pratiquants des �coles, des lyc�es et des universit�s ne b�n�ficient pas d�un syst�me de comp�tition, susceptible de les initier aux r�gles de conduite et aux valeurs du sport moderne. - Le sport-participatif, destin� � lib�rer les corps et � fa�onner les esprits, est tout simplement absent du paysage sportif national. - Le sport d'�lite avec le mod�le d'intervention retenu, c�est-�-dire les fameux lyc�es sportifs, C.E.M sportifs, acad�mies sportives, etc., est inappropri�. Ce mod�le participe beaucoup plus � favoriser un �sport de l'�lite � qu�� construire un �sport d'�lite�. L'exemple cuisant, de cette imperfection dans la promotion des activit�s sportives, est le malaise qui r�gne, aujourd�hui, au sein du mouvement sportif national. Un mouvement plein de tensions et de tendances conflictuelles. C'est ainsi, par exemple, que les f�d�rations rechignent � remplir leur mission de service public. La motivation premi�re de leurs dirigeants tot�miques est uniquement centr�e sur l�exercice du pouvoir et accessoirement sur la formation des jeunes et la gestion des comp�titions. Les instituts de formation, d�connect�s de leur environnement, continuent de former � vide, dans la mesure o� le produit de la formation ne trouve aucune utilisation optimale dans des structures sportives. Quant au COA, install� ordinairement �au terme de man�uvres obscures et de majorit� bizarre�, certains observateurs le per�oivent comme une confr�rie existant pour elle-m�me, sans impact r�el sur le mouvement sportif national. Sa mission principale est de veiller, jalousement, � ce que la flamme sacr�e olympique ne s��teigne pas entre deux olympiades. Qu�est-ce que le sport ? L�analyse des effets observ�s, dans le fonctionnement et l�organisation des trois composantes de l�institution sportive, nous pousse � formuler une multitude de questions. Tout d�abord, qu�est-ce que le sport ? A-t-il concouru, en Alg�rie, � d�velopper le bien-�tre physique et moral de la population ? A-t-il contribu� � construire du lien social ? Qu�est-ce qui ne va pas � l�int�rieur du mouvement sportif national ? Une refondation du sport, en Alg�rie, est-elle possible ? Peut-on dynamiser et inscrire un peu plus l�activit� sportive dans la culture alg�rienne ? Ce questionnement, � premi�re vue anodin, est n�cessaire pour essayer de comprendre les r�els obstacles (id�ologiques, politiques, culturels, �conomiques, etc.) qui emp�chent l�enracinement de cette �activit� hautement socialis�e� et socialisante dans la vie quotidienne de la population. Aussi, quelques-unes de ces questions ne peuvent �tre �lucid�es qu�en proc�dant � une analyse de l�institution sportive classique et ce, en r�f�rence aux id�es et aux valeurs qui lui sont commun�ment associ�es et qu�elle est cens�e v�hiculer. Les exp�riences phares dans le monde C�est en Angleterre, au d�but du XIXe si�cle, que T. Arnold va se saisir des �jeux de balles populaires� pour cr�er un nouveau moyen d��ducation et de formation de la personnalit� : le sport. L�id�e de ce p�dagogue est simple : comment le sport organis�, charg� d�un sens social profond, peut-il cr�er, outre la �force physique�, de la �force morale � et de la �force sociale� ? Pour r�pondre � cette question, il s�empresse de cr�er la premi�re p�dagogie sportive en �tablissant des r�gles et des formes pr�cises d�organisation pour les clubs universitaires. En effet, pour ce p�dagogue, l��ducation traditionnelle ne convient pas, elle est source de mollesse des m�urs, d�effritement des valeurs, d�affaissement des caract�res, de nonchalance et de laisser-aller. Il faut une �ducation �m�le� et �virile�, qui puisse insuffler l�esprit patriotique et substituer un corps � un autre corps. Il faut une nouvelle �ducation appropri�e, qui pr�ne l�autodiscipline (le self government) pour former le citoyen britannique avec le sentiment chevaleresque de l�honneur, qui deviendra le fair-play (le franc jeu) du gentleman sportif. Les Etats-Unis d�Am�rique vont vite s�inspirer de cette p�dagogie sportive pour former l�homme d�action, celui qui ne doit sa r�ussite qu�� lui-m�me (le self-made man). Les grandes universit�s comme Yale, Harvard et Princeton s�empress�rent d�inventer leur propre variante du football et du rugby sous le nom de football am�ricain. Les comp�titions sportives, entre divers clubs universitaires, sont alors fortement encourag�es. Elles vont forger une large �lite soud�e par des valeurs communes. Dans l�organisation du sport am�ricain, l��cole contr�le tous les aspects de la vie de l�adolescent, si bien que l�essentiel des activit�s sportives (baseball, athl�tisme, basket-ball, football am�ricain, boxe, hockey sur glace, etc.) sera inscrit dans le sport scolaire et universitaire, qui poss�de un quasi-monopole d�organisation. Avec cette forme d�organisation, le sport s��tablit, finalement, sous le contr�le des �p�dagogues� et non sous les auspices des �f�d�rations�. Jouer pour son �cole �tait le plus grand des honneurs. Cette p�dagogique, puissante et r�ussie, a jou� un r�le fondamental dans le d�veloppement et le progr�s du sport aux Etats-unis. Elle a permis � l��cole et � l�universit� de transmettre les valeurs d�une �ducation corporelle virile, ce qui permet, aujourd�hui, de mieux comprendre la place qu�occupe le sport dans la vie am�ricaine. En France, c�est le baron P. de Coubertin, fortement influenc� par le mod�le d�velopp� par T. Arnold, qui va reconna�tre, � son tour, la valeur �ducative de l�activit� sportive en multipliant ses efforts pour g�n�raliser cette pratique et l�internationaliser. C�est dans cette perspective qu�il propose la r�novation des Jeux olympiques en 1894, comme premi�re grande manifestation sportive. Par cette id�e audacieuse, Coubertin a voulu restaurer les �jeux sportifs� dans leur �esprit hell�nique�. Il s�agissait pour lui d�unir � nouveau : le muscle et l�esprit. Pour Coubertin, l�olympisme est une �p�dagogie� de l�effort individuel, de l�esprit d�initiative, de l�audace, capable de fournir une �armature morale� � la jeunesse. En Allemagne, patrie du Turnen (un mouvement gymnique d�instruction physique de masse donn� collectivement, dans la discipline, pour mobiliser la jeunesse), les sports anglais furent adopt�s par les classes moyennes qui r�vaient d�incarner le peuple dans un �corps puissant et vigoureux�. Avec une application bien germanique, il s�agissait de cr�er de nouvelles associations (en remplacement des soci�t�s gymniques), dans lesquelles les id�aux de �fair-play� et de �comp�tition� seraient compl�t�s par un sentiment d�identit� nationale ; c�est-�-dire le c�l�bre id�al de l���ducation de soi-m�me� (la �Bildung�), qui est une formation goeth�enne du corps et de l�esprit : la ma�trise de soi-m�me. Wilhelm von Humbolt, le p�re de la r�forme de l�enseignement, d�signait la �Bildung� ou l���ducation de soim�me � comme une formation favorisant les vertus individuelles de l�effort et de l�expression de soi. Mouvement de d�passement incessant de soi, la �Bildung� va trouver, dans le sport, un mode de r�alisation de la personne dans sa totalit�, son unit� et sa singularit�. Cette br�ve analyse historique nous montre que le sport, une fois �tabli en Angleterre, va constituer pour plusieurs pays un mod�le d��ducation pour la �r�g�n�ration des peuples par l�effort et la comp�tition�, la �r�forme des m�urs�, l��unit� morale des nations�. Ph�nom�ne social int�gr� au fonctionnement de la soci�t�, cultivant �galit� et m�rite, le sport, comme source d��mulation sociale, va alors trouver une place importante dans l��ducation de la jeunesse (sport�ducation), les passe-temps (sport-participatif) et le spectacle (sport d��lite). Son apprentissage et sa pratique caract�risent, aujourd�hui, toutes les soci�t�s et toutes les cultures. Simple activit� physique comp�titive, pratiqu�e en vue d�un enjeu selon des r�gles �crites et un esprit particulier, le sport va devenir une v�ritable institution universelle et transhistorique, c�est-�-dire un �id�al universel partout acceptable ou transposable �. Le sport : une institution �ducative, d�abord Le sport va, donc, devenir une institution �ducative � part enti�re, une r�alit� sociale avec un socle l�gislatif, un encadrement, une organisation, un ensemble de r�gles, de normes et de valeurs � respecter. Des forces sociales, id�ologiques, politiques et �conomiques le traversent et lui donnent sa dimension historique. Comprise ainsi, la notion d'institution sportive permet de d�signer l'ensemble d'un secteur de la soci�t�. Afin d�analyser ses rapports avec la soci�t� et l'Etat, de nombreux auteurs se sont attach�s � l��tudier en trois grandes composantes : le sport-�ducation, le sport-participatif (ou le sport de masse) et le sport d��lite (ou le sport-spectacle). Le sport�ducation d�signe la place du sport dans le syst�me �ducatif, qui se d�finit par son caract�re obligatoire et son cadre organisationnel. C�est une activit� d��ducation et de formation, qui a comme finalit� d�initier la jeunesse � optimiser ses capacit�s physiques, mentales et morales par la comp�tition. Le sport-participatif se caract�rise par les notions de sant� et de divertissement. Cette forme de pratique doit r�pondre, de fa�on satisfaisante, aux aspirations et aux besoins du plus grand nombre. Quant au sport d��lite (le sport- professionnel), il semble �tre, aujourd�hui, la pr�occupation essentielle de l�Etat. Orient� vers la recherche du �meilleur� athl�te et de la �meilleure� �quipe, il d�signe une forme de pratique sportive caract�ris�e par ceux qui ma�trisent le mieux la pratique d�un sport. Dans la plupart des pays, c'est toujours � une logique essentiellement politique que r�pond l'Etat en intervenant dans le sport d'�lite. Il s'agit, en effet, d'obtenir des succ�s sportifs, source de prestige politique. L�athl�te d��lite est propos� comme l��manation d�un �inn� collectif�, que l�on souhaite faire appara�tre. Eveillant des �nergies assoupies, indiquant une direction pleine de sens et de valeurs, l�athl�te d��lite permet � la collectivit� �d��tre soi� plus intens�ment, plus authentiquement, qu�elle ne l�est d�ordinaire ; lui procurant ainsi une ind�finissable sensation d�exister. En effet, lors des comp�titions internationales, c'est un pays qui est mis en valeur, et �ventuellement c'est la fibre de l�identit� collective de la communaut�, de la collectivit�, de la nation, qu'on veut faire vibrer. Par le ph�nom�ne d'identification, le sport d'�lite constitue, ainsi, un puissant moyen de coh�sion sociale : il participe � la construction d�une identit� nationale. L�institution sportive alg�rienne : une institution �ducative embrouill�e On aura compris, ici, qu�en nous attachant � pr�senter l�institution sportive comme un lieu d�tach� et neutre d��ducation et de formation, nous avons tent� de mettre en �vidence le mode d�organisation et de fonctionnement du sport en Alg�rie. En effet, con�ue comme un ensemble de pratiques sportives culturellement ancr�es, l�institution sportive alg�rienne, avec son histoire et ses racines, laisse para�tre que les fonctions d��ducation (sport-�ducation), de sant� (sport-participatif) et de progr�s (sport d��lite), qui lui sont allou�es et dont elle se pr�vaut, ne sont pas totalement remplies (ou mal). Cet �tat de fait peut �tre illustr� � plusieurs niveaux. Tout d�abord, bien qu�elle soit affich�e et prescrite, dans les textes et les discours officiels, comme �tant une �institution d��ducation et de formation�, qui a en charge les grands id�aux de la soci�t� moderne ; l�institution sportive alg�rienne, par manque d�unit� dans la construction de son organisation, n�a pas r�ussi � promouvoir une culture sportive globale et r�guli�re au sein de la population. C�est ainsi, par exemple, que les fondamentaux de la morale sportive (les r�gles du jeu) et de l��thique sportive (les valeurs), visant � limiter les instincts et � pacifier les relations interpersonnelles, n�ont pas fait l�objet d�un apprentissage dans le syst�me �ducatif. Si bien que l�id�e commun�ment admise, aujourd�hui, est que le sport, en Alg�rie, produit des �d�linquants d�Etat�. Ensuite, faute de ne pas avoir dot� ses trois grandes composantes d�un plan de d�veloppement rationnel et d�une forme d�organisation pr�cise, l�institution sportive alg�rienne s�est livr�e � l�improvisation, au bricolage et � l�ind�cision, amenant du coup � la perte de sa �l�gitimit� �. Enfin, ne pouvant mettre de �l�ordre� et de l��organisation� dans la composante sport d��lite (le sport-spectacle), elle a montr� une certaine impuissance � g�rer et � contr�ler les �jeux du stade� source de chauvinisme, d�affairisme, de tricherie, de corruption et de violence. Perdant de son efficacit� p�dagogique, parce que d�tourn�e de sa fonction �ducative premi�re, elle peine, aujourd�hui, � �difier une culture sportive �mancipatrice. Par manque de conception dans sa finalit�, sa strat�gie, ses objectifs et ses m�thodes, elle a manqu� son insertion heureuse dans la cit�. Passant � c�t� de son objectif d�clar�, l�institution sportive alg�rienne est per�ue comme une structure sociale improductive et inefficace. Improductive, parce qu�elle ne m�ne pas aux fins pour lesquelles elle a �t� cr��e � l�origine et qu�elle s�est donn�es � elle-m�me (dispenser une �ducation et une formation sportive aux diff�rentes couches de la population). Inefficace dans ses �structures �, parce qu�elle ne contribue pas � mettre en branle les m�canismes sociaux, par l�interm�diaire desquels les fonctions du sport peuvent �tre remplies. Ainsi, cette �mani�re� de dispenser les pratiques sportives � la population alg�rienne, loin de transformer les mentalit�s, les repr�sentations et les conceptions � l��gard du sport et du corps, a abouti, en fin de compte, � maintenir cette derni�re dans un sous-d�veloppement sportif persistant, avec des �corps exigus� et des ��mes cruelles�.