Dans le cadre d�une �tude qu�il consacre au Br�sil, Sma�l Hadj Ali s�est entretenu avec l�architecte br�silien Oscar Niemeyer � Rio de Janeiro, � la fin du mois d�ao�t 2005. En 1962, l�ind�pendance acquise, l�Alg�rie devint une terre d�accueil et d�asile, et Alger plut�t que la �Mecque des r�volutionnaires�, formule consacr�e de l��poque, la New York des r�volutionnaires. Cit� cosmopolite, ouverte sur le monde, elle h�bergeait alors des femmes et des hommes, qui de l�Angola au Br�sil, de l�Afrique du Sud au Portugal, de la Palestine aux Black Panthers et au Mozambique combattaient le colonialisme, l�apartheid, le salazarisme, le racisme et les dictatures golpistes d�Am�rique du Sud. Cette solidarit�, la premi�re Constitution, n�e de l�ind�pendance et r�dig�e en 1963, la rendait ainsi : �La R�publique alg�rienne garantit le droit d�asile � tous ceux qui luttent pour la libert�.� (1) C�est dans ce contexte de r�sistance, de �tiersmondisme � et de lutte anticolonialiste que cristallisera, par les arts, la musique, les chants et les danses, le Festival panafricain en 1969, alors que les pays du �Tiers-Monde� �taient des acteurs de l�histoire, qu�Oscar Niemeyer est sollicit� par l�Alg�rie. En 1967, trois ann�es apr�s le coup d�Etat militaire contre le pr�sident Jo�o Goulart, pers�cut� et emp�ch� de travailler par la dictature militaire, il s�exile. R�sidant � Paris, il re�oit un coup de main d�Andr� Malraux, alors ministre des Affaires culturelles de Charles de Gaulle, qui lui obtient un d�cret l�autorisant � exercer son m�tier en France. �Mais, nous dit-il, je n�ai jamais travaill� pour l�Etat fran�ais.� Fid�le � lui-m�me et � ses amis, parmi lesquels Castro, l�inventeur de Brasilia(2), et d�une esth�tique des courbes, n�a jamais reni� son engagement politique ni son id�al r�volutionnaire. Cette constance, dans et de l�id�al r�volutionnaire, n�alt�re et ne limite en rien son immense largesse d�esprit et sa cr�ativit� artistique hors du commun, contrairement � ce que des esprits �troits et chagrins peuvent penser. �Une douceur particuli�re� Ici, l�oc�an, les collines et le ciel se combattent et s��pousent, s�affrontent et s�enlacent dans une perp�tuelle d�bauche de lumi�res et de luxuriance v�g�tale. Rares sont les villes si profuses en plages, en baies et en flore prodigieuses. G�n�sique, la nature guette la moindre n�gligence pour r�occuper ses espaces perdus. Douce comme une m�lodie de Cartola ou de Jobim, envo�tante et vibrante comme sa samba, excessive comme les chansons de Bezzera, telle est cette cit� d�boussol�e et endurcie par une violence urbaine qui empoisonne d�abord la vie de ceux qui vivotent de leurs maigres salaires. Incapable de combattre la pauvret�, la ville de la bossa nova, du carnaval, de la cr�ativit� artistique la plus foisonnante, et des favelas avec vue inexpugnable sur mer, sorte de pieds de nez des pauvres faits aux puissants, r�ve encore � sa splendeur pass�e de capitale d�chue. La gaiet� et la joie demeurent malgr� tout chez les Cariocas, alors qu�ici et l� surgissent des condominiums, sortes de r�sidences m�di�vales new-look pour nouveaux riches apeur�s que prot�gent, simulacres de ponts-levis, portes �lectroniques, murs surmont�s de vid�os-surveillance et de miradors. Pour autant, on ne se sent pas �tranger � Rio, et d�une mani�re g�n�rale au Br�sil. Probablement � cause de son m�tissage, mais aussi en raison de l�absence de tous pr�jug�s � l��gard de l�Autre, de l��tranger. C�est dans cette m�gapole, qui le ch�rit et qui porte en elle, tranquillement, nombre de ses ouvrages, tels le sambodrome d�di� au carnaval, la gare maritime qui relie Rio � la ville de Niteroi o� se trouve le Mus�e d�art contemporain, �ovni� survolant la baie, ou encore le si�ge de sa Fondation, que naquit en 1907 Oscar Ribeiro de Almeida de Niemeyer Soares. �C�est un nom m�tiss�, me dira-t-il : Ribeiro le Portugais, Almeida l�Arabe, Niemeyer l�Allemand. Il y a aussi de l�Indien et de l�Africain en moi. J�en tire une tranquille fiert�. C�est aussi cela qui me fait aimer le Br�sil, son m�tissage, notre m�tissage. C�est ce m�lange qui donne � ce pays cette douceur si particuli�re. � �Tortura nunca mais� Il est 9 heures du matin, je me trouve face � l�un des plus vieux immeubles, de petite taille, situ� sur l�interminable et c�l�bre Avenida Atlantica, gagn�e sur l�oc�an, comme d�autres parties de Rio. C�est l�, au dernier �tage, que se trouve le lieu de travail de l�un des plus grands architectes du si�cle pass� et de celui qui commence. Etre au bord de la plage de Copacabana ne donne pas forc�ment droit au soleil, � l�azur du ciel et aux belles na�ades cariocas nageant dans les eaux de l�oc�an. Attention st�r�otypes !!! Le temps est au gris et le ciel est bas, si bas qu��il fait l�humilit�. Un crachin, la fameuse garoa, tenace et ti�de, ajoute � la brume oc�ane qui enveloppe la baie. Au loin, spectrales, les petites montagnes sensuelles, les morros, dont les formes sont si pr�sentes dans l�architecture de courbes libres, celles des vagues et des femmes, gr�ce auxquelles le ma�tre a su po�tiser le b�ton. Dans un moment, le temps d�un �cafezinho�, l��quivalent d�un �fendjel qahoua � d�Alger, je serai face � ce lutteur infatigable, presque centenaire, dont l�architecture est non seulement rupture avec l�h�g�monie de l�angle droit, mais aussi songe et fantaisie. C�est dans une modeste pi�ce, qui est aussi son espace de travail, que cet arpenteur de courbes me re�oit. Les rendez-vous officiels, nombreux, li�s � ses projets architecturaux se d�roulent dans une grande pi�ce circulaire, spacieuse, lumineuse, ouverte sur la baie. Sur les murs blancs, un environnement de croquis, d�esquisses de corps f�minins et d�inscriptions, dont l�une condamne la torture, �Tortura nunca mais� : plus jamais la torture. Je lui offre le livre L�Arbitraire, t�moignage sur la torture, du po�te communiste alg�rien Bachir Hadj Ali, dans les prisons de l�Alg�rie ind�pendante. Poign�e de mains chaleureuse. Tr�s vite, l�entretien en portugais du Br�sil, rendu dans toute sa saveur et ses couleurs, par Flavia Nascimento, et quelquefois en fran�ais, devient conversation amicale, fraternelle, ponctu�e par une blague d�capante ou une vive protestation contre l��tat du monde. J�ai conscience de vivre des moments pr�cieux, rares et privil�gi�s. L�Alg�rie, son peuple, le colonialisme, l�exil, le Br�sil, la r�volution. Ce mot est inalt�rable pour cet homme, pour qui celle-ci est mouvement et novation. Bien entendu, il sera aussi question de son art, de ses r�alisations architecturales et de ses projets, dont celui de la Mosqu�e d�Alger. La rencontre avec l�Alg�rie �Je suis arriv� en Alg�rie au bon moment, quelques ann�es apr�s la victoire contre la colonisation. Il y avait encore beaucoup de bonheur, de joie, et une certaine gravit�, face aux besoins �normes du peuple alg�rien que les colonialistes avaient m�pris�. Je pense qu�on oublie cela. J�y ai trouv� la meilleure des solidarit�s. J�ai aim� ce pays, j�ai gard� de l�affection pour lui. J�ai ador� la ville d�Alger si lumineuse et accueillante, avec sa baie, ses criques, ses plages de galets et de sables blonds, la M�diterran�e si riche de cultures, d�histoire, et de myst�res. Et puis il y a sa Casbah, construite au XVIe si�cle, je crois. C�est un tr�s beau patrimoine, avec ses petites mosqu�es, ses mausol�es, ses maisons blanches presque aveugles pour se prot�ger du vent. Je m�y suis souvent promen�, montant et descendant ses escaliers, ses ruelles qui donnent sur la mer. Ce fut aussi un lieu de luttes pour la lib�ration. La victoire des Alg�riens contre le colonialisme fran�ais a �t� un moment inoubliable pour moi. Cette victoire fut celle de l�humanisme contre l�oppression coloniale. Un tel combat m�rite le respect. Mais il y a aussi celui des Alg�riennes. Leur combat armes � la main, leur r�sistance, leur courage face aux oppresseurs. J�ai eu le grand plaisir de passer de tr�s bons moments avec une ancienne r�sistante alg�rienne ici, � Rio. Elle avait �t� condamn�e � mort par les autorit�s fran�aises(3). De telles choses sont des faits rares dans l�Histoire des luttes pour la libert�, la dignit�. Elles honorent non seulement le peuple alg�rien, mais aussi le monde entier. Les personnes que j�ai pu rencontrer en Alg�rie voulaient faire de belles et grandes choses pour leur pays. Il fallait r�pondre aux attentes, aux aspirations, aux manques, aux frustrations engendr�es par la domination coloniale, dans un pays o� ce qui avait �t� construit ne profitait pas aux Alg�riens.� L�universit� de Constantine : �Un d�fi architectural� �Le chef d�Etat alg�rien, Boumedi�ne, souhaitait me rencontrer. Il avait pris connaissance de mon travail. Nous avons eu d�excellentes relations. Je peux dire, aujourd�hui, qu�il m�a offert la protection de l�Alg�rie pendant toute la p�riode o� j�ai v�cu exil� en Europe, � cause de la dictature dans mon pays. Un jour en me recevant dans son bureau il m�a dit : �J�aimerais tant que tu deviennes mon conseiller pour les questions architecturales.� Je garde aussi un excellent souvenir du ministre de l�Enseignement sup�rieur, Benyahia, un homme remarquable. Il m�a beaucoup aid� et soutenu dans le cadre du projet de l�universit� de Constantine. Nous avons beaucoup sympathis� et sommes devenus amis. Nous nous voyons avec beaucoup de plaisir, � chaque fois que l�occasion s�y pr�tait. Malheureusement, il est d�c�d� trop t�t dans un accident d�avion(4). J�ai rencontr� de nombreuses fois le chef de l�Etat. Nous discutions de tout, et bien s�r des projets en cours, parmi lesquels l�Universit� des sciences et technologies d�Alger, de l�Ecole polytechnique d�architecture et d�urbanisme d�Alger et bien s�r de l�Universit� de la ville de Constantine � l�est du pays. Il y �tait aussi question d�autres projets, telles qu�une salle omnisport au sein du complexe olympique d�Alger, d�un centre civique d�Alger, et du plan de r�am�nagement d�Alger, appel� aussi �plan du nouvel Alger�. En ce qui concerne l�Universit� des sciences et technologies d�Alger, j�ai eu quelques d�saccords avec les autorit�s, car mon id�e n�a pas �t� accept�e et je ne m�y suis donc pas impliqu�. Parmi tous les projets r�alis�s, celui de l�Universit� de Constantine tient une place particuli�re, pour plusieurs raisons. D�abord c��tait un d�fi architectural. Je voulais que le b�ton ob�isse � mon esth�tique dans le cadre du relief dramatique et accident� de Constantine, une ville accroch�e � un rocher, et comme suspendue dans le vide. Au Br�sil, ce fut le cas, entre autres, pour Brasilia, j�incite, j�encourage pour mes projets, les ing�nieurs br�siliens � surmonter leurs limites et celles de la mati�re. C�est comme cela que les choses avancent. Lorsque le projet de l�universit� de Constantine fut con�u et rendu public, des architectes fran�ais le critiqu�rent en d�clarant qu�il �tait techniquement irr�alisable. Ils se sont tromp�s, parce qu�ils ont tout simplement manqu� d�audace. Lorsqu�il m�arrive en priv� ou en public de parler de mon travail, des choses que j�ai r�alis�es, je dis toujours que l�Universit� de Constantine fait partie de mes r�alisations les plus accomplies. Je dois dire aussi que les Alg�riens m�ont accord� toute leur confiance. La deuxi�me raison tient au fait que ce projet architectural s�appuyait fortement sur les r�flexions du penseur progressiste et humaniste br�silien Darcy Ribeiro(5), et de son id�e �d�Universit� ouverte�, articulant architecture et connaissances. Avec Darcy, nous avons travaill� sur cette id�e pour la ville de Brasilia, en associant des professeurs br�siliens de litt�rature, de biologie, des sciences sociales ou de physique nucl�aire. Malheureusement, il y a eu ce coup d�Etat militaire qui a g�ch� tous nos espoirs et ceux du Br�sil. Darcy Ribeiro consid�rait que les �tudiants devaient, sur les lieux de leur formation, dans les b�timents et les espaces, avoir des contacts qui d�passent les clivages disciplinaires et pouvoir �changer les connaissances. Cette conception devait permettre � et elle devrait pouvoir le faire encore aujourd�hui � � chaque �tudiant, quelle que soit sa discipline principale, de s�ouvrir pleinement � d�autres disciplines comme la philosophie, l�histoire, les sciences sociales, mais aussi la litt�rature, les sciences, la physique, les math�matiques. Oui, l�id�e �tait de casser les clivages, les divisions, les dichotomies disciplinaires insens�s et de cr�er des passerelles entre les disciplines afin que les �tudiants b�n�ficient de connaissances plus articul�es entre elles et qui leur donnent les capacit�s, la facult� de mieux comprendre et penser la complexit� de notre univers. Seule une telle conception, pensions-nous, pouvait permettre d�acqu�rir ainsi une formation intellectuelle et politique, au sens le plus noble de ce terme, afin de mieux affronter le monde impitoyable, injuste et complexe qui nous entoure et de le changer. Pour en revenir � l�Universit� de Constantine, je pense qu�il n�en existe aucune dans le monde qui soit comparable. C�est pour cette raison que nous avons d�cid� d��crire un livre, avec les contributions de tous ceux qui ont particip� � sa r�alisation. J�aimerais dire que la repr�sentation diplomatique alg�rienne au Br�sil, � travers son ambassadeur(6), nous a beaucoup aid�s pour ce projet de publication. Des photographes br�siliens se sont d�plac�s � Constantine pour constituer le mat�riau photographique du livre. Malheureusement, en regardant ces photos, j�ai constat� que des arbres avaient �t� plant�s mais dans un lieu impropre. J�ai demand� � l�ambassadeur du Br�sil en Alg�rie de voir, avec les autorit�s alg�riennes, s�il �tait possible d�enlever ces arbres qui ne sont pas � leur place. Le lieu choisi a �t� le pire qui soit. Ces arbres ont d�figur� le site et lui ont �t� toute sa force architecturale. Prot�ger et entretenir ce site architectural est de toute importance. Je le souhaite vivement. Je ne savais pas que cette universit� avait �t� l�objet en 1992 d�un attentat � la bombe commis par les terroristes fondamentalistes(7). C�est une bombe contre la connaissance dans un pays qui a combattu l�obscurantisme colonial. L�Alg�rie ne m�rite pas �a pas plus que l�isolement dans lequel elle s�est retrouv�e dans sa lutte contre les terroristes. �Une mosqu�e r�volutionnaire� J�ai �t� tr�s touch� que le projet de la Grande Mosqu�e d�Alger soit accept� par Boumedi�ne. Comme souvent, les id�es peuvent surgir de mani�re inopin�e et inattendue. Une nuit � Alger, en 1968, alors que je m�appr�tais � m�endormir, me vint l�id�e de dessiner une mosqu�e. J�ai travaill�, un peu comme dans un �tat second, une partie de la nuit, dans ma chambre de l�h�tel Aletti, donnant directement sur le port et la belle baie d�Alger. Au final, au petit matin : une mosqu�e suspendue au-dessus de la mer et reli�e � la terre ferme par une superstructure, � c�t� d�une plage, � proximit� du Port d�Alger. J�ai effectivement d�clar� dans le film Un architecte engag� dans le si�cle, que Boumedi�ne, en voyant les plans de la mosqu�e, s��tait exclam� : �Mais c�est une mosqu�e r�volutionnaire.� Je lui ai alors r�pondu, en riant : �Pr�sident, la r�volution ne doit jamais s�arr�ter, elle doit �tre partout.� Le pr�sident Boumedi�ne n�avait jamais vu une telle mosqu�e. Il a �t� surpris. Mon architecture fonctionne � la surprise, � l��tonnement. J�aime pousser les lois de la physique et de la mati�re dans leurs derni�res limites et cr�er ainsi de l�inattendu. Par exemple, tu peux aller � Brasilia et aimer ou ne pas aimer, mais tu ne peux pas dire que tu as d�j� vu quelque chose de pareil. Tu peux avoir vu des choses plus belles mais tu ne peux pas rester insensible. Pour moi, l�id�e de surprise est le point le plus �lev� de l�architecture. M�me les gens les plus modestes, ceux qui n�ont pas �t� sensibilis�s � l�architecture, sont surpris quand ils voient la cath�drale de Brasilia, con�ue, comme le projet de la Mosqu�e d�Alger, par un communiste !!! Ils se demandent pourquoi et comment une telle construction ? Ils sont dans l��tonnement, la d�couverte, la surprise. Pour moi, c�est cela qui est essentiel, c�est ce genre de rencontre entre mon travail et les gens. Boumedi�ne avait �t� surpris, �tonn�, par le projet de la Mosqu�e d�Alger que je lui avais pr�sent� et avait donn� son accord pour sa r�alisation. La maladie qui l�a tr�s brutalement arrach� � la vie(8) est pour moi la seule explication de l�abandon de ce projet et d�autres. A ce moment de l�entretien, je lui fais part de la mordante phrase de l�enfant terrible de la litt�rature alg�rienne, l�auteur du roman culte Nedjma, Kateb Yacine, sur les mosqu�es : �Une mosqu�e c�est comme une fus�e qui ne d�colle jamais.� En mon for int�rieur, je me dis que si le projet de Niemeyer avait vu le jour, Kateb aurait pu dire : �Ah enfin, en voil� une, au moins, qui d�colle.� Changer le monde �Je vais te raconter une anecdote. Pendant mon exil en Europe, qui a �t� pour moi un moment de ma vie o� je n�ai jamais �t� heureux, j�ai d�cid�, parce que j�en avais assez de cette errance, de rentrer au Br�sil. D�s que je suis descendu de l�avion, la DOPS, la police politique, est venue m�arr�ter. On m�a mis dans une salle d�interrogatoire compl�tement insonoris�e. L�officier de police, qui m�interrogeait, �tait assist� par un policier subalterne qui r�digeait le proc�s-verbal de mon arrestation. A un moment donn�, l�officier m�a demand� : ��Mais qu�est-ce que vous voulez ? �� Je lui ai r�pondu : ��Je veux changer la soci�t� .�� Puis j�ai ajout� : ��Ecrivez cela : changer la soci�t钒. Alors, le policier subalterne s�est tourn� vers moi, un peu �berlu� et m�a demand� : ��Vous �tes s�rieux ? Vous voulez changer la soci�t� ? Attendez, Monsieur Niemeyer, mais �a, �a va �tre tr�s difficile.��� C�est vrai que c�est tr�s difficile, mais on a besoin de changer la soci�t�, de la transformer, car ce monde est une vraie merde !!! Par rapport � cette exigence, � ce combat, il est vrai que j�ai d�clar� que mon architecture �tait secondaire. Pour moi, l�architecture n�est pas la chose la plus importante. Ce qui est essentiel, c�est de lutter pour un monde meilleur o� il est possible de vivre comme des gens bien, comme des gens dignes, et pour cela, il faut si peu. En m�me temps, je serai heureux si mon architecture y contribue. Pas plus que je n�arr�te de travailler, je n�arr�te de protester, d�agir, de prendre position contre l�exploitation, l�injustice sociale, le capitalisme. Je peux dire que mon travail d�architecte se nourrit aussi de tous mes combats. Lorsque le pr�sident Lula(9) a �t� candidat, j�ai d�clar� � des journaux que son projet �tait d�am�liorer le capitalisme au Br�sil. Or, l�histoire et l�exp�rience de la vie montrent que cela est impossible. Le capitalisme n�accepte pas d��tre am�lior�. Mais je suis peut-�tre trop exigeant. Regarde la situation du Br�sil, un pays si riche avec tellement d�injustice, une vie tellement mauvaise et tellement dure pour la majorit� des gens. Il y a une trop grande mis�re, de grandes in�galit�s, de la violence, de la souffrance humaine. On ne peut pas se sentir bien ni heureux dans un monde qui fonctionne comme �a. Il y a aussi d�autres inqui�tudes. Ainsi, mon pays n�est pas � l�abri d�ing�rences �trang�res. Les militaires br�siliens patriotes sont inquiets car ils n�ont ni la possibilit� ni les moyens de d�fendre l�Amazonie, comme ils aimeraient le faire contre des ing�rences possibles. C�est un vrai probl�me pour la souverainet� nationale. Nous vivons aujourd�hui dans un monde terrible avec des gens inqui�tants et en m�me temps si ridicules, comme Bush. Mais son pays a la puissance et la force. Il peut inqui�ter ou attaquer qui il veut et quand il veut, et surtout les plus faibles. Mais nous ne devons pas d�sesp�rer et envisager toujours de changer le monde, de transformer la soci�t�. Il faut garder en nous l�espoir du changement. Nous pouvons �tre fr�res. Mais je dis tout cela, alors que je deviens de plus en plus pessimiste. Souvent, les choses sont tellement d�grad�es, la mis�re est telle, le d�sespoir est si pr�sent, l�injustice si g�n�ralis�e que j�ai l�impression qu�il n�y a rien � faire. Les hommes seraient-il aussi mauvais ? Face � tout cela, il faut rester modeste et savoir que nous ne valons pas grand-chose. Nous ne sommes que des poussi�res d��toiles. Alors, tout en luttant, il faut continuer � vivre, avoir une femme aim�e � ses c�t�s, si possible, des amis et voir les gens avec un certain optimisme, en retenant surtout les aspects positifs, les meilleurs aspects des gens, je suis un pessimiste na�f. L�nine disait : �Avoir dix pour cent de qualit� c�est d�j� suffisant. � Quelques mots pour un futur architecte �Je n�ai pas l�habitude de donner des conseils ; juste quelques mots. Je pense que les �coles d�architecture doivent proposer des cours parall�les � cette sp�cialit� : de la philosophie, de l�histoire, de l�anthropologie, de la litt�rature, de la po�sie. Il ne suffit pas pour un architecte de sortir d�une facult� pour qu�il le devienne. Il doit apprendre � bien conna�tre sa soci�t�, comprendre et s�ouvrir au monde afin de construire des choses qui rendent les gens heureux, qui leur donnent de la joie. A un jeune Alg�rien, qui �tudie l�architecture, je dirai une ou deux choses : il faut conna�tre son pays, apprendre � l�aimer et il faut, c�est essentiel, lire, lire des romans, de la po�sie, pour nourrir son imaginaire. C�est cela qui fera de lui un architecte qui vit avec son �poque, avec son temps. C�est comme cela qu�il pourra participer � la transformation de la soci�t� dans laquelle il vit et qu�il sera un homme libre.� S. H. A. 1- Miguel Arraes, homme politique br�silien, un des leaders de la lutte contre la dictature, ancien gouverneur de l�Etat de Pernambouco, aimait citer cet article de la Constitution alg�rienne. Exil� en Alg�rie avec sa famille pendant quinze ann�es et ses enfants y sont n�s. Il est d�c�d� en ao�t 2005 � Recife. 2- Avec l�urbaniste Lucio Costa. 3- Il s�agit d�Annie Steiner, emprisonn�e durant la guerre d�Alg�rie et condamn�e � mort. 4- Alors qu�il entreprenait une m�diation de paix entre l�Iran et l�Irak en guerre (1980-1988), son avion fut d�truit par un missile au-dessus de la fronti�re irano-turque. C�est A. Benyahia qui organisa le Festival panafricain en 1968. 5- Darcy Ribeiro, homme politique, anthropologue et �crivain br�silien, ami de Niemeyer. Il fut chef de cabinet de Joao Goulart, destitu� par un coup d�Etat militaire qui annon�ait l�av�nement de dictatures sanglantes dans toute l�Am�rique du Sud. Darcy Ribeiro est d�c�d� en 1997. 6- Il s�agit de l�ex-ambassadeur d�Alg�rie Lahc�ne Moussaoui. 7- Le 6 mai 1992, une bombe explosait � l�universit� de Constantine faisant trois morts. L�attentat fut revendiqu� par les fondamentalistes islamistes. 8- Le pr�sident Boumedi�ne est mort, assez brutalement, en 1978 � l��ge de 46 ans. Les conditions de son d�c�s ont �t� tr�s peu abord�es. Selon un Hamed El Djabouri, ancien ministre des Affaires �trang�res de Saddam Hussein, Boumedi�ne aurait �t� empoisonn� par les services secrets irakiens. 9- Ann�e de sa premi�re �lection.