Par Badr�Eddine Mili Personne ne connaissait ni n�attendait, en Alg�rie ou ailleurs, en 1954 et jusqu�en 1960, ce rouquin au faci�s de Kazakh, taill� � la serpe, affichant une timidit� maladive qui cachait, � la perfection, le feu ardent qui consumait, int�rieurement, un corps ch�tif et maladroit. Aucun des chefs de la R�volution arm�e, m�me les plus chevronn�s dans l�anticipation et l��valuation des hommes n�avait vu venir ce jeune �tudiant d�El- Azhar, ancien pensionnaire du Maahad de Constantine et de la Zitouna de Tunis, fils de paysans pauvres de la r�gion de Guelma, aux doigts effil�s et au maintien rigide et polic�, recrut� par la D�l�gation ext�rieure du FLN au Caire, dans des conditions qui n�ont laiss�, dans les archives, aucune trace marquante. A part l��pisode du bateau baptis� du nom de la reine de Jordanie, charg� d�armes destin�es aux combattants de l�int�rieur, �pisode auquel il fut associ� et, � l��pilogue, du reste, malheureux, rien, dans son cursus partag� avec nombre de transfuges de l��cole traditionnelle de l�Est, ne signalait une asp�rit� qui l�annoncerait pour une ascension extraordinaire vers le firmament de l�Alg�rie. Il n�avait milit� dans aucun parti politique du Mouvement national ni �tudi� ou pratiqu�, de pr�s ou de loin, l�art militaire, ni dans une acad�mie, ni sur un champ de bataille. A quoi, donc, avait-il d� ce discret passage � travers les mailles vigilantes du syst�me de s�lection mis en place par Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobal et Krim Belkacem, le redoutable triumvirat qui contr�lait, sans partage, l�appareil militaire et l�arme du renseignement ? Comment ces derniers, sans lesquels rien ne se faisait et contre lesquels personne n�osait entreprendre quoi que ce soit, n�avaient rien d�tect� qui ait pu �veiller leur attention et, surtout, leur faire �viter que cet homme, sans charisme particulier, qui a �rig� le secret au rang de culte, leur br�le la politesse, les coiffe sur le poteau et les conduise vers le chemin du renoncement ainsi qu�il le fit avec l�habilet� d�un joueur d��checs dont firent, aussi, les frais de vieux routiers de la politique comme Mohamed Boudiaf, Hocine A�t Ahmed et Ferhat Abbas, sans parler des puissants chefs de Wilaya, oblig�s, apr�s 1962 et 1965 de s�effacer ou de rentrer dans le rang ?La seule explication plausible sur laquelle s�accord�rent les observateurs instruits des processus qui fabriquent les dirigeants alg�riens est que Houari Boumedi�ne dont rares �taient ceux qui connaissaient � ce moment-l� sa v�ritable identit� � Mohamed Boukharouba � et sa famille, originaire de la tribu des Beni Foughal, pr�s de Jijel, b�n�ficiait d�un atout ma�tre. Il �tait un homme neuf, universitaire arabophone, indemne de toute ancienne compromission politique, situ�, largement, au-dessus des coteries et des querelles du CNRA et du GPRA auxquels il r�ussit � opposer, au terme d�un long et patient travail de formation et d�organisation, une arm�e de �militants�, multir�gionale, tr�s disciplin�e et fortement �quip�e, le socle sur lequel il b�tit le plus clair de sa strat�gie de conqu�te du pouvoir, prenant de vitesse les baroudeurs des wilayas historiques, consid�r�s comme �un danger pour l�unit� et l�int�grit� du peuple et du pays�. Au-del� du caract�re fracassant et fratricide que cette prise de pouvoir, par la force, rev�t�t en juillet 1962, apr�s son entr�e triomphale � Alger, � la suite d�une bataille sanglante contre les �l�ments de la Wilaya IV et de la Wilaya II, et bien que cette arriv�e surprenante sur le devant de la sc�ne post-ind�pendance constitua un cas d��cole, par les innombrables �nigmes dont elle s�entoura, il est une v�rit� qui s�imposa, vite, aux protagonistes des �v�nements d�alors : Houari Boumedi�ne n�avait pas acc�d� au sommet par hasard. Il y avait �t� pouss� par une logique qu�il mettra, constamment, en avant, � tous les moments d�terminants de la vie de la nation, celle du redressement. Se consid�rant comme violent� dans son sentiment anticolonialiste par la teneur des accords d�Evian auxquels il s�opposa au congr�s de Tripoli, il outrepassa les fronti�res de la l�gitimit� et de la l�galit� des institutions de la R�volution dans le but, selon sa conviction, de remettre celle-ci sur les rails qu�elle n�aurait, jamais, d� quitter, � savoir ceux de l�intransigeance sur les revendications l�gitimes du peuple. Houari Boumedi�ne �tait, aux yeux de son entourage, un incorruptible. Il y avait, en lui, du Bismarck, la poigne de fer, le patriotisme � fleur de peau, l�argument incisif. Il poss�dait ses classiques politiques o� il apprit comment Pierre le Grand et, plus tard, Catherine II, la despote �clair�e conduisirent la Russie vers un Etat moderne, au prix d�impitoyables oppressions. Il entrait � Alger, � l�ombre de Ben Bella, prenant garde de ne pas se montrer sous les feux de la rampe, mais d�tenant les leviers essentiels, le minist�re de la D�fense et le poste de premier vice-pr�sident du Conseil des ministres, un observatoire privil�gi� de la sc�ne, � partir duquel il pouvait, le moment venu, mettre � ex�cution le projet qui l�habitait depuis toujours : construire, dans la filiation de celui de l�Emir Abdelkader, matrice r�g�n�r�e apr�s 132 ans d��clipse, un �Etat qui survive aux �v�nements et aux hommes�, une �uvre et un r�le auxquels il pensait avoir �t� pr�destin� par une alchimie de circonstances dont il avait su, quand l�heure du destin sonna, saisir, avec une rare intelligence de la chose politique, le sens et le caract�re historiques. Entour� de compagnons qui n�avaient fray� avec aucun des hauts niveaux de la direction de la R�volution arm�e et qu�il avait r�ussi � placer, facilement, en raison de leur profil ordinaire, aux postes-clefs, jusqu�� atterrir � l�Etat � major g�n�ral de l�ALN et � sa p�riph�rie, il forma dans un esprit de corps inoxydable, avec, entre autres, les hommes du groupe dit d�Oujda qui lui facilit�rent l�adh�sion de Ben Bella � ses plans, le futur noyau du �pouvoir r�volutionnaire�, pr�t � l�usage, apr�s l�interm�de benbelliste de 1962-1965. Le 19 Juin, intervenu, encore une fois, pour �remettre�, dans le bon sens, le cours de la R�volution �perverti� par les �pieds rouges�, avec la promesse de publier un Livre Blanc, personne ne crut, �videmment, � la fa�ade coll�giale du nouveau pouvoir figur� par le Conseil de la R�volution, organe ex�cutif et l�gislatif, la v�ritable �me id�ologique, politique et militaire, demeurant ce chef incontest� et incontestable qui battit le rappel de tous ceux qui pouvaient l�aider dans sa t�che, y compris les officiers d�serteurs de l�arm�e fran�aise (les DAF), anciens de Co�tquidam et de Saint- Maixent, auxquels il confia d�importantes missions d�encadrement et de commandement, au d�triment de ceux de l�ALN des origines, imitant, en cela, le mar�chal Tito qui, en 1949, apr�s la proclamation de la RFSY, donna aux �Partisans � � choisir entre regagner la maison avec une retraite honorable ou repartir � z�ro et aller �tudier dans les acad�mies militaires pour acc�der � la direction de l�Etat. La comp�tence, voil� le maitre-mot qu�il ajouta � l�int�grit� et � l�engagement, le tryptique de son slogan f�tiche. Non ! voulait-il ass�ner � ses contradicteurs, pour se laver de ce p�ch� originel que repr�sentait, aux yeux de beaucoup, le double coup d�Etat de 1962 et de 1965, �je ne suis pas un vulgaire putschiste, ni un condottiere !�. Ayant pour lui de n�avoir �t� ni coopt� ni parrain� par personne, m�me pas, laissait-il entendre, par Boussouf, une qualit� qui en fit le seul leader dans l�histoire du pouvoir alg�rien, � n�avoir d� quoi que ce soit � qui que ce soit et � disposer d�une grande marge de man�uvre, il eut fallu, forc�ment, qu�il ait quelque chose de plus, pour expliquer le fait que cet homme se soit, au bout de quelques ann�es seulement, transform� en v�ritable artisan de l��dification de l�Etat national moderne. Tr�s m�thodique, usant d�une symbolique et d�une langue accessibles au commun des Alg�riens, bon connaisseur des fibres populaires sur lesquelles il savait jouer, avec une grande dext�rit� et une science av�r�e du dosage, il entra rapidement en osmose avec l�Alg�rie profonde, � laquelle il finit par s�identifier au point qu�il se confondit avec son essence m�me, parce que le message qu�il lui avait, d�s le d�part, fait parvenir, avait �t� re�u comme s�il s�agissait du sien propre. Les Alg�riens, tr�s jaloux de leur jeune souverainet� nationale et profond�ment travaill�s par un tr�s fort sentiment de justice et de progr�s avaient trouv� dans le programme et dans l�action de cet homme, ce vers quoi ils avaient toujours tendu, et dans lequel ils se reconnaissaient enti�rement. Houari Boumedi�ne leur disait : parachevons l�ind�pendance de notre pays, corrigeons et effa�ons les effets pervers des accords d�Evian en r�cup�rant, plus rapidement, Mers-El-Kebir et Reggane ; tra�ons et s�curisons nos fronti�res, ch�rement acquises ; rendons aux paysans pauvres et aux khamm�s, les terres qui leur furent vol�es par les colons ; nationalisons nos mines ; r�habilitons notre langue ; �difions un Etat capable de r�aliser l�ind�pendance �conomique, par l�industrialisation et la r�alisation de grands travaux, barrage vert, transsaharienne, ports, a�roports, routes ; sortons nos populations de l�isolement et d�veloppons leurs territoires, au moyen de plans r�gionaux justes et �quitables ; gommons les disparit�s entre le Nord et le Sud� Tout le monde en oublia, du coup, le premier pr�sident de la RADP, Ahmed Ben Bella, �le fr�re militant� qui d��ut, malgr�, son volontarisme, parfois sinc�re, avec les erreurs qu�il accumula, au cours de son bref exercice, et qui transform�rent la noblesse du projet ��galitariste� du socialisme autogestionnaire en autant d�illusions, d�errements et d�aventures qui �chou�rent dans le cul-de-sac du culte de la personnalit�. Houari Boumedi�ne avait beau jeu � et ce fut son premier succ�s politique � de disqualifier ce projet en le d�clarant produit id�ologique d�importation � c-�-d marxiste � une tare dont la d�nonciation, pour inad�quation avec les valeurs fondamentales de la personnalit� alg�rienne lui valut, chez ses laudateurs, les lauriers du nationaliste pur et dur qui sauva le pays des griffes d�un syst�me �ath�e�. Il le fit, non pas, en adepte de l�islamisme, du nass�risme ou du ba�thisme dont il se gaussait et avec les �g�ries desquels il avait pris de prudentes distances, son passage � la Zitouna et � El-Azhar n�ayant pas format� sa pens�e et il le prouva par la suite, en soutenant, en r�formiste ul�miste des origines qu�il �tait rest�, une vision progressiste de l�Islam, en d�clarant � Lahore que les musulmans ne sauraient entrer au paradis le ventre vide et � Alger que le peuple alg�rien n��tait pas de ceux qui baisent les mains, fussent-elles celles du Commandeur des croyants. Il eut cette attitude n�gatrice vis-�-vis du communisme parce qu�il �tait convaincu � avec d�autres � que la R�volution alg�rienne avait sa sp�cificit� et qu�elle ne pouvait exposer son �me � la perte, en reproduisant les sch�mas de l�Union sovi�tique, de la RFSY ou de Cuba avec les dirigeants desquels il traitait, en chef d�Etat ind�pendant, m�me s�il se retrouvait sur la m�me ligne de combat, dans l�ar�ne internationale face � l�Occident. Un credo qui ne l�emp�cha pas, en effet, de prendre position en faveur de la voie de d�veloppement non capitaliste, plus proche de l�orientation des pays de l�Est que de celle du monde dit libre, une option qui r�sultait, objectivement, soit dit en passant, de la situation faite aux pays du tiers monde par les politiques d�exploitation et de domination men�es par l�imp�rialisme am�ricain. Parti d�une analyse r�aliste des clivages de la soci�t� alg�rienne, min�e par les survivances du tribalisme, du r�gionalisme et du charlatanisme religieux des zaou�as, il avait conclu que seul un Etat fort, p�renne, pouvait mobiliser cette soci�t�, segment�e et atomis�e, autour d�un grand projet social f�d�rateur et lui inculquer les principes qui lui feraient faire, au moyen de l�apprentissage de la d�mocratie �conomique, � travers la GSE et la gestion collective induite par la r�volution agraire, le bond en avant, capable de la propulser parmi celles des pays avanc�s. Cet Etat avait un nom : l�Etat national, h�ritier de l�Etat de l�Emir dont il fit rapatrier les cendres de Damas pour les inhumer dans la terre sacr�e qu�il d�fendit, un symbole qui immortalisera la r�sistance du peuple alg�rien � la conqu�te coloniale. On comprend, alors, pourquoi il ravala le parti unique � un simple appendice et m�me � un appareil �loign� des centres de d�cision et pourquoi il substitua, tr�s vite, aux pouvoirs des chefferies traditionnelles f�odales, tribalistes, r�gionalistes et religieuses, visc�ralement conservatrices et anti-centralistes, diss�min�es un peu partout dans le pays, un pouvoir monolithique dont les ramifications d�concentr�es � la wilaya et la commune � re�urent pour mission de recenser les besoins de la soci�t� et de les r�percuter au niveau sup�rieur, � travers les navettes d�une planification adopt�e comme principal moyen de conception et d�action socio�conomique, avec, pour objectif, de hisser le pays au niveau de l�Espagne de Franco ou de la Bulgarie de Jivkov, les �dragons� �mergents de l�ouest et de l�est europ�ens. L�id�e que Houari Boumedi�ne avait de l�Etat � construire, �tait, dans ses grands traits, d�j� arr�t�e et exprim�e dans la proclamation du 19 Juin. Cependant, une id�e, quelle que soit sa validit�, est toujours confront�e � des facteurs et � des dynamiques qui peuvent, � l�int�rieur et � l�ext�rieur, soit en favoriser l�accomplissement soit en freiner ou en entraver le cours. Sur ce point pr�cis, le pr�sident du Conseil de la r�volution, tr�s r�aliste et finalement, plus ouvert qu�il ne le donnait � penser, se r�solut � �voluer, rapidement et m�me de mani�re surprenante, accompagnant l�avanc�e des luttes des classes sociales d�favoris�es � les forces vives succ�dant, dans la s�mantique du nouveau pouvoir, aux forces d�avant-garde d�antan � au sujet desquelles il n�avait d�autre alternative, afin de ne pas �tre d�pass�, que de se les approprier comme base sociale centrale. De 1965 � 1971-72, dates des nationalisations des hydrocarbures et du lancement de la r�volution agraire, l�Etat qui devait �tre, dans la doctrine officielle, au minimum, un Etat national �repr�sentatif� de l�ensemble des composantes du peuple, prolongement historique de celui de l�Emir, catalyseur de la r�sistance de plus d�un si�cle, s�est transform�, au bout d�un processus de d�cantation houleuse qui a laiss� sur le bord de la route beaucoup de compagnons, oppos�s aux nouvelles orientations, un Etat populaire qui rappelait par certains de ses c�t�s, les d�mocraties de l�Est, hier vilipend�es. Ce nouvel Etat, fonctionnant sur le mode de la gouvernance unique, sans �lections, hormis celles qui concernaient les strates inf�rieures de l��difice � wilaya et commune � reposait, comme en Irak, en Syrie et au Y�men du Sud, sur une large alliance regroupant paysans, travailleurs, femmes et jeunes, scell�e en 1976, par une Charte nationale, un corpus de d�finitions et de projections de l��tre national et social alg�rien, corrigeant et r�visant la Charte d�Alger de 1964, dans une volont�, express�ment affirm�e, d�aller plus loin qu�un texte analogue, d�inspiration nass�rienne, adopt� plus t�t en Egypte par le pouvoir des officiers libres. Houari Boumedi�ne qui rec�lait, en lui, quelques vertus de Mehmet Ali, le p�re du capitalisme d�Etat �gyptien et aussi quelques autres du pr�sident populiste argentin, Juan Per�n, qui ont fait les beaux jours du c�sarisme nationalitaire, �tait press�, parce que le temps lui �tait compt�, d��riger un secteur public capitalistique, omnipr�sent et omnipotent, � l�exclusion de toute activit� priv�e strat�gique qu�il jugeait, par d�finition, exploiteuse. L��conomie nationale, dot�e de moyens de financement pharaoniques, sollicit�s, pour la plupart d�entre eux, aupr�s des places de Paris et de Londres, en raison d�un p�trole c�d� � bas prix, d�clar� �rouge� par les Fran�ais, avait �t� con�ue, dans le cadre des premiers plans quadriennaux, comme une �conomie � fort coefficient d�int�gration et dont il �tait attendu une croissance auto-centr�e et auto-entretenue, b�n�ficiant, en priorit�, aux couches les plus d�munies de la population. Elle devait, par ce biais, favoriser la valorisation des ressources en hydrocarbures par la p�trochimie, le d�veloppement de l�agriculture �r�form�e� et le d�collage d�une industrie lourde calqu�e sur le mod�le sovi�tique, sur les conseils du lobby industrialiste conduit par Bela�d Abdessalem et son conseiller Destanne de Bernis, l��conomiste fran�ais marxiste, p�re du concept des industries industrialisantes. Le pari �tait audacieux : outre que l�Etat n��tait pas, encore, bien implant�, car contest� par les forces qui ne l�avaient pas accept� ; outre que les sources de financement, mises � la disposition par les clubs bancaires �trangers, n��taient pas innocentes d�arri�re-pens�es politiques ; outre que la machine, pouss�e � bout, risquait la surchauffe et que les r�sultats n��taient pas garantis du fait de la faiblesse de la culture d�entreprise et de la raret�, au sein de la population, d�origine essentiellement paysanne, des qualifications n�cessit�es par la nature et le gigantisme des projets, la politique �conomique de l�Alg�rie faisait peur � ses voisins. La France et le Maroc, de connivence sur la question du Sahara occidental, ne voyaient pas d�un bon �il cette puissance en train d��merger � leurs portes et de montrer l�exemple � un monde aupr�s duquel elle plaidait en faveur d�un nouvel ordre �conomique et d�un nouvel ordre de l�information. Houari Boumedi�ne pouvait, enfin, savourer son triomphe port� sur les fonts baptismaux de la gloire, applaudi � l�Assembl�e g�n�rale de l�ONU, pr�sid�e par Abdelaziz Bouteflika. Entra�nant, derri�re elle, 120 pays non align�s, r�unis � Alger en 1973, d�livrant avis et conseils aux chefs les plus charismatiques de la plan�te, Castro, Indira Gandhi, Tito, Allende, le N�gus, Makarios, Pham Van Dong� L�Alg�rie avait son mot � dire sur toutes les questions litigieuses � l�Opep et � l�Opaep, entre l�Irak et l�Iran, � propos des affaires d�Afrique, du Maghreb et du Machrek, notamment de la Palestine avec laquelle Houari Boumedi�ne se disait, inconditionnellement, solidaire, �qu�elle eut raison ou tort�, affaires sur lesquelles Henry Kissinger �tait venu le consulter, une fois � Alger, racontant dans un des tomes de ses m�moires, �les ann�es orageuses�, qu�il mesurait l�int�r�t que portait l�homme � la cape noire, � sa conversation, au nombre de havanes qu�il �crasait dans le cendrier. L�Alg�rie de cette �poque �tait de toutes les concertations, et de tous les fronts de r�sistance panarabe et tricontinentale, recevant Yasser Arafat, Hafez El Assad, Ma�mar El Kadhafi, Georges Habbache, Nayef Hawatmeh, Mehdi Ben Barka, N�Guyen Thi Binh, Le Duc Tho, Isma�l Abdelfattah, Abdelkhalek Mahjoub, Khaled Baghdache, Carvalho, Carlos, Curiel, Eldridge Cleaver et Timothy Leary, les journalistes Paul Balta, Jean Lacouture, Roland Delcour et Eric Rouleau, les po�tes et artistes Mahmoud Darwich, Cheikh Imam, Fouad Nejm, Angela Davis, Myriam Makeba, Jane Fonda, Nina Simone, Archie Shepp, les stars du premier Festival culturel panafricain, Joan Baez, Marcel Khalifa, les cin�astes italiens, fran�ais, indiens, �gyptiens, anglais, am�ricains, les �conomistes Samir Amin, Gunder Franck, Dowidar, les chercheurs Anwar Abdelmalek, Jacques Berque, Maxime Rodinson, Boutros Boutros- Ghali�. C�est du reste, sous le gouvernement de Houari Boumedi�ne que fleurirent les grandes �coles picturales d�Issiakhem, Khadda et Martinez, que le cin�ma �El Djedid� de Laskri, Merbah, Rachdi, Haddad, Iftic�ne, Tolbi, Bouamari, Beloufa et Hachemi Cherif moissonnait les prix aux festivals internationaux aux c�t�s de Chroniques des ann�es de braise de Lakhdar Hamina, que Kateb Yacine, Tahar Ouatar, Benhadouga et Boudjedra publiaient leurs �uvres th��trales et litt�raires iconoclastes. L�Alg�rie montrait � ses visiteurs les fleurons de son industrie : Arzew, El Hadjar, Dra� Benkhada, Tizi- Ouzou, Baba Ali, Mostaganem, A�n Smara, Skikda, les deus ex machina sortis des �tuves du laboratoire du plan d�Abdallah Khodja. Elle leur faisait voir Tamezguida, Tessala El Merdja, El Kennar, les villages socialistes aux noms vol�s au temps fig�. Houari Boumedi�ne, attentif � tout, portait un int�r�t cardinal aux m�dias en qui il voyait les porte-voix de son message � l�opinion nationale pour la mobiliser autour des �t�ches d��dification nationale� et aussi � l�opinion internationale, notamment, africaine et arabe, d�o� l�action de d�veloppement de la RTA dont il fit une institution-phare. Il lui fit accueillir, dans le m�me but, les voix des mouvements de lib�ration de la Palestine, du Polisario, de la r�sistance chilienne, du MPAIC qui diffusaient leurs programmes, � partir du boulevard des Martyrs. L�Alg�rie avait le vent en poupe jusqu�� ce qu�elle rencontra les vents contraires, la conjonction entre les forces internes et externes, hostiles au �pouvoir r�volutionnaire�, grandies dans le ressac et les �checs de la r�volution mondiale. Houari Boumedi�ne fut surpris par la contre- productivit� de certains de ses choix et par la faiblesse de r�activit� de certaines forces sur lesquelles il comptait, syndicats ouvriers et �tudiants, brid�es, normalis�es et d�mon�tis�es par l�article 121 et son syst�me de gouvernement autocratique, ferm� � la d�mocratie politique. Il souffrit, d�abord, de voir la r�volution agraire sabot�e par l�administration noyaut�e par les fils des grandes tentes. Il se rendit compte, ensuite, que l�industrialisation n�a pas cumul� les effets escompt�s et qu�elle n�a pas d�bouch� sur la prise en charge des besoins de consommation courante de la population soumise � la raret�, au rationnement, ajout�s � l�enfermement, puisque interdite de voyage et d��migration. Il constata enfin que la r�forme de l�universit� a �t� d�vi�e de son sens par les conservateurs qui avaient obtenu la dissolution de l�Unea phagocyt�e par la JFLN. La r�volution culturelle qui devait accoucher de l�homme alg�rien nouveau sacrifia le bilinguisme sur l�autel de l�authenticit�, sans pour autant reconna�tre la langue tamazight, un �chec qui ouvrit la porte � l�islamisme, un courant id�ologique �loign� des valeurs du peuple alg�rien. Finalement, Houari Boumedi�ne se retrouva isol�, face � la mont�e de la bourgeoisie d�Etat qui refusa de le suivre dans la �gauchisation� du pouvoir qu�il comptait faire avaliser par le 4e congr�s du FLN, fort du soutien critique du Pags et des intellectuels marxistes et tiers mondistes revenus sur la sc�ne politique. L�ch� par certains membres du groupe d�Oujda, comme Ka�d Ahmed et Ch�rif Belkacem, tous deux �loign�s pour des raisons diff�rentes, apr�s la disparition d�Ahmed Medeghri, critiqu� pour les exc�s du �Big Brother�, la s�curit� militaire, et harcel� par les affaires cumul�es de Cha�bani, Krim, Khider, le chef n��tait plus incontest� et incontestable. Il chancelait sur un pi�destal en argile. Il ne tapait plus du doigt sur le micro pour assener les �on a d�cr�t�, en se lissant la moustache, le sourire pudique et entendu. Son dernier baroud fut celui dont Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhada, Hocine Lahouel et Cheikh Kheirredine essuy�rent les flammes accus�s �de fomenter une contre- r�volution bourgeoise�, et plac�s en r�sidence surveill�e. Celui qui disait que la r�volution �tait une ogresse qui mangeait ses enfants, que le peuple �tait comparable � �hbel ediss�, qu�il fallait choisir entre �ettaoura � et �ettaroua �, la fortune ou la r�volution, avait le profil bas en r�pondant au colonel Nacer qui l�exhortait, au cours d�un congr�s de l�ONM, de lancer l�assaut, imm�diatement, contre �la bourgeoisie� : �Je n�ai pas peur de le faire, mais je crains qu�en me retournant je ne trouverai personne derri�re moi�� Malade, contemplant le grand chantier en jach�re, ob�r� par les dettes et attaqu� de toutes parts, il accomplissait ainsi son destin, lui qui avait coutume de dire qu�il y avait �deux cat�gories d�hommes, ceux qui sont dans l�histoire et ceux qui forgent l�histoire�. Il ne se doutait pas que le cheval de Troie �tait, d�j�, dans la cit� et qu�un autre monde �tait en train de poindre � l�horizon. La Yougoslavie, Cuba, l�Irak, le Sud-Y�men, la Libye, l�Union sovi�tique elle-m�me et son empire allaient dispara�tre de la surface politique de la terre. Ce n��tait plus qu�une question de temps. Accompagn� � sa derni�re demeure par le gotha des grands, au rythme d�une oraison fun�bre lue sur le tempo d�un gospel, Houari Boumedi�ne laissera le souvenir d�un fils du peuple disparu pr�matur�ment. Le rideau tombait sur 13 ans d�un r�gne sans partage. Le pr�sident b�ninois, Mathieu K�r�kou dira, le visage en larmes, que le �grand fr�re nous a appris la strat�gie de la tactique et la tactique de la strat�gie�, des propos, un peu surr�alistes, qui se perdirent dans le bruit assourdissant des r�acteurs d�avions atterris sur le tarmac de Dar-El-Be�da qui deviendra, quelques jours plus tard, �l�a�roport Houari-Boumedi�ne�� Sous la forte pr�gnance de la nostalgie nourrie par toute une g�n�ration d�Alg�riens, l�homme de la m�decine gratuite, du dinar fort, de la p�pini�re de cadres issus de l�ENA et du volontariat �tudiant, du ch�que �tal� sur le bureau de L�onid Brejnev pour desserrer l��tau isra�lien autour du d�versoir du g�n�ral Chazly, restera dans l�imaginaire de celle-ci comme le p�re de l�ANP, le b�tisseur de l�Etat national moderne, celui qui hissa l�Alg�rie au plus haut niveau du concert des nations. Certes, au prix d�un lourd d�ficit en libert�s et en droits humains, promis pourtant par Novembre et la Soummam, les v�ritables matrices f�condatrices de la R�publique alg�rienne d�mocratique et sociale� Un rappel � ceux qui sont tent�s de l�oublier� PS 1 : Entre autres �prouesses� accomplies par Fran�ois Hollande, les observateurs ont not� celle par laquelle il r�ussit � faire applaudir par le Parlement alg�rien le nom du g�n�ral de Gaulle, pr�sent� comme le chef de la r�sistance anti-allemande qui si�gea � �Alger, capitale de la France libre� ce qui a d�, certainement, faire se retourner dans leur tombe les martyrs, victimes des op�rations Jumelles et Pierres pr�cieuses et des affres de la pacification ordonn�es par un militaire d�termin� � casser le peuple alg�rien au moyen d�une guerre d�extermination. PS 2 : A cette �prouesse� s�en ajouta une autre qui fit imputer � L�opold S�dar Senghor la fameuse formule de �la langue fran�aise butin de guerre� g�n�ralement attribu�e � Kateb Yacine, une mani�re de �corriger� les intellectuels alg�riens francophones. Une pr�cision qui nous conforte dans notre appr�ciation du contenu n�o-colonialiste de la francophonie, vu que celle-ci fut la colonne vert�brale de la n�gritude, une doctrine forg�e par le premier pr�sident s�n�galais et d�fendue par son successeur Abdou Diouf, l�actuel secr�taire g�n�ral de l�Organisation.