Edité en janvier dernier, Tlemcen, pigments et patrimoine est un beau livre signé Dalil Saci. L'arbre qui cache la forêt, ou la feuille de vigne qui cherche à voiler la précarité de l'artiste... L'ouvrage, en tout cas, vient mettre le doigt sur la plaie. Le livre d'art est le fruit d'un travail minutieux et de longue haleine, réalisé dans le cadre de la manifestation culturelle «Tlemcen, capitale islamique 2011». Il a été imprimé et édité par Cherif Laoussati, un spécialiste dans ce genre d'ouvrage, avec le soutien du ministère de la Culture. Celui-ci en assure la distribution, le livre n'étant pas en vente dans les librairies (une bizarrerie difficile à comprendre). Sur 180 pages, Dalil Saci présente une centaine de tableaux accompagnés d'un texte dont il est également l'auteur. Nous avons là un panorama du patrimoine historique et architectural de Tlemcen, précisément de quinze sites qui en font «la perle du Maghreb» : Sidi Boumediène, le Mechouar, Sidi Haloui, Honaine, Mansourah, Pomaria, Sidi Brahim, Djemaâ Lekbir, Mausolée Yaghmoracen, Mosquée Agadir, etc. Tout cela revisité et «pigmenté» par le peintre de la lumière qui, surtout, révèle et met en valeur la surprenante beauté d'un tel patrimoine. Grâce à une technique nouvelle et parfaitement maîtrisée qui allie la photographie numérique (le modèle), l'outil informatique (le chevalet) et ce que Dalil Saci nomme l'art digital (la palette) et dont il est le pionnier en Algérie. Pour le patrimoine tlemcénien, l'artiste a suivi la démarche qui est la sienne : repérages, prises de vue puis traitement par ordinateur. Au moyen de logiciels spécialisés, il décompose les couleurs du spectre lumineux, évidemment invisibles à l'œil nu (elles se chiffrent en centaines de milliers). Chaque photo est alors «peinte» de ces couleurs de l'arc-en-ciel, selon une gamme chromatique que Dalil Saci peut varier à loisir en alternant teintes chaudes ou froides, «pigmentant » ses tableaux d'un nombre incalculable de couleurs uniques. En plus, il a la possibilité d'opter pour n'importe quel format, sans compter l'impression des œuvres selon le nombre d'exemplaires désiré. Voilà en quoi se distingue cet artiste — novateur — des autres peintres. Revenons maintenant à ses péripéties tlemceniennes et à son aventure éditoriale. Dalil Saci commence par dresser ce constat qu''il assène comme une sentence «La bureaucratie du ministère de la Culture est mortelle pour les artistes. C'est devenu du mépris.» Pour étayer son propos, il nous raconte comment il a participé à l'événement qui s'est déroulé à Tlemcen et à quel point il s'est investi dans son travail. «A l'origine, explique-t-il, j'avais fait une exposition au Musée national de l'enluminure, de la miniature et de la calligraphie. Cela s'intitulait «Palette du palais Mustapha-Pacha». Au cours de cette exposition, qui s'est tenue du 25 mai au 9 juin 2011, des représentants du ministère de la Culture m'avaient félicité. La ministre en personne m'avait alors demandé si j'avais un projet de travail en tête et, si oui, de quoi j'avais besoin. Je répondis que j'étais prêt à faire quelque chose sur Tlemcen. On me dit que j'avais carte blanche.» Une sorte de blanc-seing qui, en réalité, se limite à une simple correspondance, précise Dalil Saci. «C'était, ajoute-t-il, une photocopie d'une correspondance écrite qu'on m'avait remise. Le texte, signé par la ministre était adressé au coordinateur de la manifestation et avait pour objet une prise en charge de quinze jours, du 19 juin au 3 juillet 2011, pour faire les repérages et les prises de vue. Cette correspondance datée du 14 juin 2011 est le seul document officiel qui prouve que j'ai participé à l'événement.» Un événement qu'il a marqué, en ce qui le concerne, par la réalisation de 350 œuvres dédiées au patrimoine tlemcénien, dont une collection de 100 tableaux exposés au Palais de la culture de la ville (du 5 au 25 avril 2012). De cette exposition est né, par la suite, l'ouvrage Tlemcen, pigments et patrimoine dans la catégorie beaux-livres. Dalil Saci n'a pas négligé non plus le support audiovisuel, ayant même réalisé un film vidéo de 40 minutes, sans parler de ce coffret de 20 œuvres qui avait été offert aux invités et délégations lors de la cérémonie de clôture. De la belle ouvrage. Tout cela a dû nécessiter beaucoup d'argent, n'est-ce pas ? Réponse de l'artiste : «Le budget qui m'a été alloué s'élève à 5 millions de dinars. Il est conséquent, raison pour laquelle je me demande encore de quelle façon il a pu être consommé. Personnellement, je n'ai eu droit à aucune compensation financière, n'ayant bénéficié que d'une prise en charge durant ma présence à Tlemcen. Mis à part les 10% de droits d'auteur escomptés sur le livre, environ 20 millions de centimes que je n'ai pas encore perçus, je peux dire que j'ai travaillé pendant une année et demie à titre gracieux.» Dalil Saci n'a donc signé ni contrat ni assurance. Aucune trace écrite que la correspondance déjà évoquée, pour prouver sa participation. Dès lors, il est totalement exclu, dans son cas, d'envisager un quelconque barème pour un cachet ou une prime. Résultat, il continue de vivoter. Pauvrement. «Avec ma modeste retraite de 15 000 DA», ironise-t-il. «Alors que l'artiste a tant besoin de se sentir proche de son ministère, avec une administration qui soit à son écoute. Malheureusement, l'artiste est isolé et marginalisé. Doit-on attendre que celui-ci décède pour en parler ? Tout cela est injuste !» constate-t-il avec amertume. Et de s'interroger sur une certaine politique de deux poids, deux mesures : «A Tlemcen, les autres artistes ont eu leur cachet. Par exemple, des chanteurs, des danseurs... Il faut tout de même faire la différence entre celui qui a travaillé pendant des mois pour laisser une trace, une œuvre patrimoniale qui reste, et quelqu'un qui se produit sur scène l'espace d'une soirée. » Dalil Saci dit ne pas comprendre non plus que l'on soit aussi peu sensible à la question du patrimoine. «La preuve, explique-t-il, c'est que le ministère de la Culture n'a toujours pas répondu à ma proposition de verser une collection de 100 œuvres au profit du fonds culturel de Tlemcen. Cette lettre date du 23 septembre 2012. Je ne cherche pas à me faire de l'argent, mais à dynamiser la création tout en étant au service de ce patrimoine que je veux aider à valoriser. » Dalil Saci a-t-il des regrets ? «Non, mais je ne voudrais pas revivre le même calvaire à Constantine, en 2015. Avec une telle administration, complètement dépassée, je préfère ne rien faire du tout. C'est une souffrance au quotidien et mon état de santé ne me permet pas ce genre de stakhanovisme.» Une satisfaction quand même, la seule qui l'encourage à continuer : «Lors de mon exposition à Tlemcen, j'ai été félicité par le public. Il y a eu environ 2 000 visiteurs, dont des enfants, des étudiants, des artistes... Mon seul baume au cœur. La ministre de la Culture est passée en coup de vent, sa visite n'a pas duré cinq minutes.»