Ils se sont rencontrés, se sont aimés dès le premier regard sans se poser trop de questions sur leurs origines, leur culture, leur religion. De nombreuses histoires d'amour ont commencé ainsi. «L'amour est un oiseau rebelle, que nul ne peut apprivoiser... Rien n'y fait, menace ou prière... L'amour est enfant de bohème. Il n'a jamais connu de loi», chante Carmen dans l'opéra de Georges Bizet. Puis est venu le temps des interrogations et des compromis. Se projeter dans le futur lorsqu'on est de culture et de religion différentes n'est pas toujours facile. Surtout qu'il y a les parents à convaincre et à rassurer. Nous nous sommes rapprochés d'Algériennes et d'Algériens qui ont contracté des mariages mixtes, ils ont bien voulu nous raconter leur expérience. Amina, 34 ans, un enfant Amina a connu son mari lors d'une soirée chez des amis. «Luke est italien. Il travaillait dans une société multinationale à Alger depuis deux années. Tout de suite, il y a eu un excellent feeling entre nous. On s'est revus quelques jours après, et on était toujours autant attirés l'un par l'autre. Plus notre histoire devenait sérieuse, plus j'angoissais à l'idée de m'attacher à quelqu'un qui venait de loin. Au bout de six mois, Luke a exprimé le vœu de rencontrer mes parents afin d'officialiser notre relation. Aïe, aïe, aïe ! Comment leur annoncer que l'homme de ma vie était étranger et non musulman ? En plus, dans ma famille, aucune fille n'a convolé avec un Européen. J'avais une cousine qui a épousé un Marocain, mais cela est passé comme une lettre à la poste, du moment qu'il était de confession musulmane. J'ai d'abord parlé à ma mère. Elle a poussé des cris hystériques en me traitant de folle. J'ai dû expliquer que mon prétendant était un type bien, et qu'en plus, il était tout à fait disposé à se convertir à l'islam pour mes beaux yeux. Plusieurs jours se sont écoulés avant que ma mère ne trouve le courage d'en piper mot à mon père. Mon paternel convoqua mes oncles, et après un conseil de famille, ils décidèrent de consulter un imam qui se dit prêt à bénir cette union à condition que le prétendant prononce la chahada et qu'il soit circoncis. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Notre mariage a été célébré il y a cinq ans avec la présence des parents de Luke qui ont effectué le voyage depuis Rome. Aujourd'hui, nous sommes parents d'une fillette de trois ans. Je dois dire qu'il n'y a pas eu de choc de culture entre nous, car nous sommes tous les deux ouverts et tolérants. A la maison, nous fêtons aussi bien l'Aïd que Noël. Nous envisageons d'avoir un autre enfant et tout se passe bien entre nous», confie Amina. De plus en plus d'Algériennes sautent le pas en épousant un étranger. Pas toujours facile toutefois de faire admettre à leurs parents que leur fille veut bâtir son foyer avec un homme d'une autre nationalité, d'une autre culture et d'une autre religion. Assia, 37 ans, et Antoine, 38 ans Nous les avons rencontrés en vacances à Alger. Eux sont mariés depuis six ans, ont deux enfants et vivent à Paris. Assia raconte. «Mes parents ont d'abord été surpris lorsque je leur ai parlé d'Antoine (il est catholique non pratiquant). Leur hantise, c'était d'affronter la famille et les «qu'en-dira-t-on ?» Et il faut dire qu'ils avaient tout à fait raison. Dès l'annonce de nos fiançailles, on a entendu des vertes et des pas mûres : c'est haram! Une hérésie ! La yadjouz! Et patati et patata. Ils en ont fait des gorges chaudes ! Certains n'ont même pas assisté à la cérémonie de mariage. Nous avons décidé de faire la sourde oreille et d'ignorer toutes ces attaques. De toute évidence, même les parents d'Antoine avaient besoin d'être rassurés de leur côté. Les clichés ont vraiment la dent dure ! Mais une fois que nos familles proches ont été présentées, ils se sont détendus. Culturellement, nous sommes très proches. Quant à nos filles, nous leur avons donné des prénoms internationaux (Lydia et Camélia), et nous leur laissons le choix de la religion lorsqu'elles seront grandes.» Kamel (51 ans) Les couples mixtes, ça passe ou ça casse. Kamel a été marié pendant 21 ans avec une Belge. «Je l'avais rencontrée lors de mes études à Bruxelles. L'amour m'a entraîné dans ses filets et la jeunesse a fait le reste. On s'est mariés, et après quelques années en Algérie, elle s'est sentie mal et a souhaité retourner dans son pays. C'est ce que nous avons fait. La vie s'égrenait paisiblement. Les problèmes ont commencé à surgir après la naissance de nos enfants, une fille et un garçon. D'abord, elle m'a imposée de leur donner des prénoms européens puis s'est mise à me reprendre chaque fois que je prononçais un mot en arabe. En effet, je ne voulais pas que mes enfants soient déracinés mais elle ne l'entendait pas de cette oreille. J'essayais de discuter, de trouver un compromis, un juste milieu mais elle s'entêtait à vouloir imprimer sa culture et son mode de vie dans l'esprit des enfants. Les années ont filé et l'amour s'est étiolé. Avec ma femme, je ne partageais plus grand-chose. Elle refusait même de m'accompagner en vacances en Algérie. Les enfants étaient devenus des adolescents mais n'avaient aucune attache du côté de leur famille paternelle. Complètement occidentalisés. Pas un mot d'arabe, aucun concept de l'islam. Notre mariage battait de l'aile. De disputes en conflits, on a fini par divorcer. Aujourd'hui, je me retrouve seul sans l'amour de mes enfants qu'elle a dressés contre moi. Ils sont pourtant grands mais ont subi un véritable lavage de cerveau. Je me dis que si c'était à refaire, je ne commettrai jamais la même erreur. Il y a trop de choses qui nous séparaient dès le début mais l'insouciance de ma jeunesse m'avait rendu aveugle», regrette ce quinquagénaire désabusé. Khaled, 45 ans Khaled, après avoir fait des études brillantes et son diplôme de mathématiques en poche, espérait trouver du travail. Ce fut la galère pour ce diplômé frais émoulu. Déçu, il décide de quitter le pays pour l'Angleterre. Beaucoup de copains ont tenté leur chance, et après quelques années de misère, ils ont fini par réussir. Khaled en a fait de même. Sauf que lui a rencontré très vite l'oiseau rare : une Anglaise, fille unique, et de surcroît issue d'une famille aisée. Le contact a été très facile d'autant que Khaled, ce rouquin aux yeux bleus, se confondait avec les Anglais. Il rencontra Elisabeth dans une bibliothèque à Londres, et ce fut le coup de foudre. Il rencontra ses parents qui furent ravis, et la date de mariage fut arrêtée. Khaled, musulman pratiquant, émit la condition que le mariage religieux soit célébré, tout en souhaitant qu'Elisabeth se convertisse à l'islam. «Après la naissance de ma fille, Elisabeth de son propre chef a décidé d'embrasser l'islam. Cela a renforcé notre amour ; nous vivions heureux, grâce aux connaissances de mes beaux-parents, j'ai pu avoir un poste de professeur de mathématiques dans un lycée après avoir suivi une année de langues à l'université. Nous habitions un pavillon que mes beaux-parents ont légué à leur fille, j'avais ma voiture et Aicha, ma femme, élevait notre fille Asma. Aicha, en bonne musulmane convertie, portait le hijab, faisait ses cinq prières et se rendait à la mosquée durant les fêtes religieuses. Bref, on coulait des jours heureux. Après Asma, Youssef est venu couronner le bonheur dans lequel nous baignions. Un bonheur qui a duré 10 années. Un beau matin, alors que je me préparais à me rendre au lycée, c'était la veille des vacances scolaires, Aicha m'annonce qu'elle prendrait les enfants pour passer quelques jours de vacances chez ses parents. Je n'ai manifesté aucun refus. On s'est dit au revoir, mais à mon retour, en voulant rentrer chez moi, la clé ne tournait plus dans la serrure. C'est comme si le ciel me tombait sur la tête. Quelques jours après, j'ai reçu une lettre signée par ma femme dans laquelle elle demandait le divorce. On a fait cela à l'amiable, je ne voulais pas avoir de problèmes, son père avait le bras long. Quand j'ai revu pour la dernière fois ma femme, elle ne portait plus le hijab. Là, j'ai compris que c'était du cinéma. Elle a eu deux enfants, qui sont devenus autonomes, elle n'avait plus besoin de moi. Elle a réussi à avoir la garde des enfants. Elle a quitté Londres. Et cela fait cinq ans que je ne les ai plus revus», nous confie amèrement Khaled. Les mariages mixtes comme les mariages tout court sont une vraie loterie. Ça passe ou ça casse. Mais lorsque règne un esprit de tolérance, toutes les différences s'effacent laissant place au meilleur. S'enrichir de la culture de l'autre et en faire une force, c'est peut-être le début du bonheur à deux !