Par Badr Eddine Mili Dans son acception académique, la communication est tout ce qui permet d'établir une relation entre des entités, des groupes et des individus, en vue de partager une information d'intérêt commun. Elle suppose l'existence de plusieurs chaînons essentiels composant la chaîne du lien établi, à savoir un émetteur, un récepteur, un contenu, un code, un support de transmission et, naturellement, la motivation de l'acte de communiquer et la réaction qu'il est susceptible de susciter. La communication institutionnelle et l'information politique constituent deux des dérivés de cette matrice qui se définit, donc, comme une relation interactive entre producteurs et consommateurs de messages. Au sens strict du terme, tel qu'entendu par les spécialistes du marketing, la communication institutionnelle renvoie à l'action qu'une entreprise, quelle qu'elle soit, développe, pour parler d'elle-même, de sa vocation, de ses principes, de sa légitimité, de son projet, de sa stratégie, de ses objectifs et de ses performances, en résumé, de tout ce qui concourt à la représenter et à la valoriser. Une telle définition attribue à la communication institutionnelle la fonction de faire connaître un locuteur, de le positionner, de rendre lisibles son objet et son action afin d'entraîner une adhésion et de fonder une notoriété. Les outils de ce type de communication s'apparentent à ceux que la communication publicitaire utilise. Ce n'est pas de cette facette de la communication institutionnelle dont il est question, ici, pas plus que de celle de la communication sociale qui répond à des besoins et à des démarches plus proches de l'émission de valeurs, sur le mode pédagogique, que de la commercialisation d'une image ou d'une intention sous-tendue par la volonté de promouvoir une identité ou un produit. En quoi la communication institutionnelle, comprise au sens de la communication d'Etat, et l'information politique convergent ou divergent, émargent ou non à des conceptions, à des expressions et à des objectifs semblables ou diamétralement opposés, tel est l'axe de recherche qui devrait être privilégié pour en saisir la nature, le caractère et les formes d'expression. Autrement dit, d'essayer de savoir si, au temps de la polyvalence de l'acte de communiquer, communication institutionnelle et information politique sont, en théorie et dans la pratique, totalement différentes, ou si, par la force de l'évolution socio-politique et technologique des champs sur lesquels elles interviennent, elles se rejoignent, finalement, pour servir des objectifs voisins. Comme son nom l'indique, la communication institutionnelle est le fait des institutions de l'Etat qui communiquent avec les citoyens sur des sujets publics, dans des formes particulières et avec des moyens propres. Cette communication se présente comme une communication neutre, émanant de sources identifiées et habilitées. L'information politique, elle, est le fait d'entités non étatiques, en général les partis politiques et les démembrements de la société civile qui s'adressent, par ce biais, à leurs militants, à leurs adhérents et, au-delà, à l'opinion, dans des formes et avec des moyens tout aussi spécifiques pour propager une idée, un programme, une position, pas forcément partagés par tous. La communication produite par les médias demeure, quant à elle, du ressort des professionnels qui travaillent à informer le public, en recourant, comme le veut leur mission d'investigation, à toutes les sources, étatiques ou non, selon des finalités et des critères qui varient en fonction des lignes éditoriales choisies et des régimes politiques en place. A l'origine, la communication institutionnelle répond à une sujétion de service public par laquelle les principaux acteurs de l'Etat, en l'occurrence le gouvernement, le Parlement, les instances judiciaires, les corps de sécurité, etc. rendent public et, par conséquent, amplifier les politiques qu'ils préconisent et les résultats qu'ils obtiennent. Cette sujétion repose sur le souci d'entourer, en principe, l'action de l'Etat du maximum de proximité et de transparence afin que le citoyen puisse disposer d'informations, en temps réel et régulièrement, sur la gestion des affaires publiques, de nature à renseigner sur l'état de la Nation et à formuler un avis ou un jugement et, partant, à agir. Les contenus de cette communication élaborés par des structures spécialisées obéissent à des standards convenus et leur diffusion s'effectue à travers des canaux publics, propriété de l'Etat comme l'agence de presse, la radio, la télévision, les journaux, les médias électroniques, etc. La transmission de ces messages revient, en règle générale, à des porte- parole officiels et donne lieu, souvent, à des conférences de presse ordonnées selon un ensemble de rituels. Les causeries radiophoniques du président Roosevelt ou du président Bourguiba, comme les conférences du Général de Gaulle, du siècle dernier, sont, de ce point de vue-là, restées dans les annales, comme des événements marquants et des modèles d'éducation civique et politique, autant par le discours véhiculé que par le style utilisé. Mais on s'imagine bien, qu'en ce début du 21e siècle on n'en est plus là. On n'en est plus resté à ce modèle de communication institutionnelle classique, dite «du coin du feu», unilatérale, incontestable et incontestée. La révolution technologique est passée par là et les pouvoirs publics, surtout, dans les pays avancés, n'en sont plus à communiquer de cette façon. La communication institutionnelle n'est plus neutre, ponctuelle ou rituelle. Elle est de tous les instants, continue, multiforme, illustration et défense de politiques qui ne font pas, forcément, l'unanimité. Elle emprunte ses méthodes à la publicité et au marketing. Les Présidents, les ministres et les porte-parole investissent tous les champs de l'expression, les chaînes d'information, les réseaux sociaux, tweetent et envoient des SMS aux médias et aux citoyens, alimentant le débat contradictoire public par d'incessants commentaires, controverses et polémiques. Cette évolution est contemporaine des guerres du Golfe et d'Afghanistan qui ont transformé la communication d'Etat en communication de stratégie politique, orientée, conçue et mise en œuvre selon de nouveaux canons. Avec les «Printemps» dits arabes, cette évolution est plus nette. La communication d'Etat apparaît, même, comme un produit fabriqué par des cercles d'initiés composés de politiciens, de professeurs d'université, de professionnels de networks et d'agents des services de renseignement, spécialisés dans la désinformation et la manipulation, via les réseaux sociaux. Vue sous cet angle, cette communication n'a plus rien à voir avec les valeurs de vérité et de transparence dont elle se réclamait par le passé, au nom d'un devoir d'informer éthique. La multiplication des lobbies et autres pouvoirs occultes générés, à l'échelle internationale, par la dérégulation et la financiarisation du capitalisme, conjuguée à la crise économique mondiale, aux confrontations militaires et au terrorisme, lui ont fait changer de nature et de cap. Conséquence directe : elle est entrée dans une crise d'identité et de contenu. Interpellée par des problématiques sociopolitiques et économiques nouvelles, de dimension mondiale, elle est, souvent, piégée par les événements imprévisibles qu'elle ne maîtrise pas. Il lui arrive, de plus, d'être prise en défaut par la communication d'investigation qui la décrédibilise en apportant des démentis, manifestes, à ses déclarations. Les réponses qu'elle tente d'apporter à l'opinion sur des scandales financiers, des maladies de chefs d'Etat en exercice, des échecs économiques ou des revers militaires suscitent scepticisme et méfiance. L'affaire Monica Lewinsky, la crise grecque, le scandale Cahuzac, la maladie du Président Bouteflika, les actes de corruption qui ont éclaboussé une entreprise comme Sonatrach ont donné à voir comment la communication d'Etat cède à une approximation et à une confusion préjudiciables au renom des institutions en charge des affaires publiques d'un pays. Dans ces cas-là, c'est la rumeur qui prend le relais avec tout ce que cela représente comme risques pour la souveraineté, la sécurité et le crédit d'un Etat et d'une société dont l'image se retrouve dépréciée, au sortir de telles mésaventures. L'information politique n'est pas mieux lotie. Soumise à la logique des appareils et de l'électoralisme, elle instille la culture du désespoir et plonge dans l'extrémisme, la surenchère, la diversion et la dissimulation. La communication médiatique subit les contre-coups des déviances de l'une comme de l'autre. Résultat final : une désaffection manifeste à l'endroit de la chose politique et un abstentionnisme électoral qui gagne une majorité silencieuse terrassée par le chômage et la précarité, mettant en danger le fonctionnement normal des institutions. Ce qui fait dire à certains philosophes, comme Régis Debray, que la démocratie s'est désincarnée et s'est transformée en fétiche sans encrage dans la réalité sociale, quand d'autres constatent, impuissants, que les citoyens ne parlent plus qu'à des machines ou à des pouvoirs sans visage. L'Algérie qui n'échappe pas à ce phénomène est questionnée sur la capacité de ses institutions à communiquer avec la société avec moins d'approximation et plus de transparence. Bien qu'elle ait réussi, au cours de la Révolution armée et, plus tard, dans les périodes difficiles traversées par le pays, à mobiliser l'opinion autour de tâches vitales, on pense, ici, à la lutte contre le terrorisme, la communication institutionnelle connaît, aujourd'hui, dans notre pays, une crise de structuration, d'orientation, d'encadrement, de contenu, d'adaptation et de moyens qui la mettent dans une position inconfortable alors que l'Etat, secoué par des scandales à répétition, a besoin de rassembler autour de lui des consensus nécessaires pour relever les défis que lui imposent une situation géostratégique et un développement par trop incertains. Face à cette exigence marquée par l'urgence, la communication institutionnelle demeure un parent pauvre, reléguée au dernier rang des priorités, insuffisamment dotée en moyens et confiée, en guise de sanction, à des cadres marginalisés. Sans stratégie, sans vision d'ensemble, intermittente, elle pâtit des vieux réflexes du secret et de la culture de la clandestinité. Ses produits, ses statistiques, les contenus de ses sites électroniques, souvent non actualisés, sont frappés de suspicion et n'arrivent pas à se frayer un chemin vers les cibles visées. Paradoxalement, ce sont les services de sécurité – ANP, Darak El Watani, DGSN – qui arrivent à jeter des passerelles vers la société. L'effet d'entraînement de telles initiatives n'est pas encore mesuré mais il peut constituer le déclic de l'indispensable refonte que la communication institutionnelle attend. C'est à cette condition et à d'autres comme l'évaluation des expériences passées, la formulation d'une stratégie de prévention et de gestion des événements, modulés en fonction des niveaux de préhension, intellectuelle et culturelle des composantes de la société, qu'elle peut faire pièce à ses concurrentes directes, l'information politique et la communication des médias qui ont pris le dessus sur elle en bousculant les tabous et en faisant reculer les limites fixées à l'investigation et à la liberté d'expression. Dans un Etat de droit, il est, cependant, nécessaire et salutaire que puisse exister un équilibre entre communication institutionnelle de service public, communication gouvernementale, information politique et communication des médias, un équilibre apte à assurer le fonctionnement normal de tous les paliers de la vie politique et sociale dans un esprit de responsabilité et de liberté, consenti et reconnu, à même d'entretenir un débat public serein nourri par des informations crédibles et partagées, ainsi que la directive présidentielle N° 17 du Président Liamine Zeroual l'avait laissé entendre à la fin des années 90, lorsqu'il était question de procéder à la refondation totale du secteur. L'Etat, la société politique, les médias parviendront, ainsi, à instaurer de nouveaux fondements et de nouvelles pratiques qui feront avancer la société et faire disparaître de l'horizon politique du pays l'autoritarisme et l'opacité qui hypothèquent son avenir. Grâce aussi à la formation de ressources humaines ouvertes sur le monde et les préoccupations du peuple, dans une interactivité à même d'établir les climats de confiance voulus et de réaliser une économie des conflits inutiles. L'Etat y gagnerait en crédibilité et se mettrait en phase avec les exigences d'une démocratie authentique, transparente qui sortirait le pays du ghetto de la clandestinité et de l'opacité.