La situation égyptienne a totalement éclipsé la visite de François Hollande à Tunis. Des jeunes ont créé Tamarod Tunisie, version tunisienne de Tamarod Egypte, qui a fait tomber Mohamed Morsi. De Tunis, Hassane Zerrouky A l'instar des jeunes Egyptiens, des jeunes Tunisiens ont créé une version tunisienne de Tamarod (rébellion) dénommée «Tamarod Tunisie». «C'est un mouvement indépendant qui a été créé suite au manque de visibilité politique et parce que la révolution a été volée et instrumentalisée par des parties qui n'ont rien à voir avec la révolution», expliquait mercredi le porte-parole du mouvement Mohamed Bennour lors d'un point de presse à l'espace El Téatro de Tunis. «L'objectif de ce mouvement est de mettre fin aux travaux de l'Assemblée Constituante et de la Constitution qui a été falsifiée pour fonder une nouvelle dictature», ajoute-t-il. Il ne vise rien de moins que la fin du processus de transition politique actuel qui, selon M. Bennour, coûte cher aux contribuables sans produire de résultats concrets ! D'autant, estime-t-il, qu'il s'agit d'un projet de Constitution miné fait par et pour un parti, en l'occurrence Ennahda, accusé de vouloir modifier le mode de vie des citoyens et le caractère civil de l'Etat ! Bien plus, il argue que les choix sociopolitiques du pouvoir de transition tunisien, dont les accords signés avec le FMI et l'Union européenne, ont aggravé la situation du pays et hypothéqué l'avenir des futures générations. Aussi, soutient Tamarod Tunisie, la période de grâce dont ont bénéficié Ennahda et ses alliés au pouvoir le Congrès pour la république (CPR) a-t-elle vécu. Quant à la légitimité électorale dont ces partis se prévalent, Tamarod Tunisie oppose la «légitimité populaire». A l'adresse de l'opposition démocratique et de gauche, ce mouvement leur dit qu'il en «a assez des communiqués des partis et que la conjoncture impose l'action» ! Au final, Tamarod Tunisie propose donc de corriger la trajectoire de la révolution et de renouer avec les fondamentaux de la révolution du 14 janvier 2011 à laquelle Ennahda n'a pas pris part, et de la remettre sur orbite ! Comment ? En faisant signer une pétition, comme en Egypte, avec pour objectif réunir deux millions de signatures — ils ont déjà 176 000 signatures. Une fois ce chiffre atteint, ils donneront un ultimatum aux instances de transition pour «dégager», sinon ils lanceront un appel à occuper la rue dans toutes les régions comme l'a fait Tamarod en Egypte ! Et en parallèle, en mettant en place des comités d'experts constitutionnalistes pour rédiger une nouvelle Constitution et, en partenariat avec les acteurs de la société civile, d'établir un calendrier électoral. A ce propos, Hela Kraïem, une des animatrices de Tamarod, a indiqué que le travail sur le terrain a débuté dans une totale discrétion depuis des semaines au niveau de toutes les régions en coordination avec l'UGET (syndicat étudiant) et l'UDC (diplômés chômeurs). Difficile de savoir si ce mouvement va réussir dans son entreprise. Mais toujours est-il qu'il est accueilli avec sympathie, et suivi attentivement au plus haut niveau. Jeudi, le président Marzouki y a fait allusion dans une conférence de presse commune avec François Hollande en visite actuellement en Tunisie, en excluant «tout risque de contagion» en Tunisie. Il n'en reste pas moins qu'en parallèle, un autre mouvement rassemblant des acteurs de la société civile, des syndicalistes, des ex-militants de partis de la gauche radicale, et des «déçus» du 14 janvier 2011, dénommé «El Badira el wataniya» (l'Initiative nationale pour un Front uni de toutes les forces civiles et démocratiques), se fixe également pour objectif d'«empêcher l'accession d'un Morsi tunisien à la tête de l'Etat et ne pas laisser notre pays tomber sous le joug de l'Etat théocratique et despotique d'Ennahdha». Ce mouvement propose d'organiser des rassemblements devant les sièges des partis de gauche et progressistes pour les contraindre à s'unir. «En théorie, ils sont tous pour l'unité face aux islamistes et leurs alliés, en pratique, chacun joue sa musique», déplore Hamadi Benyahia, l'un des organisateurs de «l'Initiative nationale». Ce mouvement a arrêté une série d'actions sur le terrain, des rassemblements et l'organisation de débats suivis de galas animés par des artistes et chanteurs engagés afin de sensibiliser la population. «Ce qui s'est passé en Egypte a accéléré les choses, les gens dans les quartiers populaires des villes qui ont beaucoup de mal à boucler leurs fins de mois sont de plus en plus réceptifs», assure Salah Zeghidi, l'un des organisateurs et ancien dirigeant de la LTDH (Ligue des droits de l'Homme). Quoi qu'il en soit de ces initiatives, une chose est certaine : les partis au pouvoir sont sur la défensive. La dénonciation du «coup d'Etat» en Egypte par Ennahda et le CPR de Marzouki expriment une certaine inquiétude. Il y a de quoi : mercredi dans la soirée, des centaines de Tunisiens et d'Egyptiens résidant en Tunisie ont exprimé bruyamment leur joie, en chantant et dansant devant l'ambassade d'Egypte à Tunis !