Quand les Lions ne sont plus indomptables, ils savent encore rugir pour le plaisir de tout un peuple. Facile vainqueur de la Tunisie le 17 novembre dans sa vétuste arène de Yaoundé, le Cameroun se qualifie pour la septième Coupe du monde, un record en Afrique. Deux buts dans la première demi-heure et deux autres du vétéran Jean II Makoun dans la dernière offrent sa troisième victoire à l'Allemand Volker Finke. Le septième sélectionneur des Lions indomptables depuis 2007 a-t-il prescrit l'ordonnance salvatrice à une équipe nationale grippée depuis plusieurs années ? «Cette qualification est peut-être l'arbre qui cache la forêt», répond l'ancien capitaine Patrick Mboma. Champion olympique en 2000 et double vainqueur de la Coupe d'Afrique des Nations en 2000 et 2002, Mboma porte un regard critique sur les maux structurels de l'équipe nationale, malgré une campagne de qualification réussie, avec cinq victoires, deux nuls et une défaite. «Pendant des années, l'aura passée des Lions a permis de véhiculer une image obsolète, celle d'une nation phare et modèle du football africain. Mais le peuple est lassé, il n'est plus possible de le leurrer. Les gens en ont marre et il y a encore deux ou trois semaines beaucoup se disaient même qu'il serait préférable qu'on n'aille pas à la Coupe du monde», nous explique le Ballon d'Or africain 2000. Pas de surprise possible «Alors bien sûr que le jour du match pas un Camerounais n'était pas à fond derrière son équipe, moi le premier. Mais je n'ai aucune illusion et je n'attends rien de notre parcours en Coupe du monde», annonce le meilleur buteur de la J-League en 1997, qui n'oublie pas tous les problèmes qui depuis six ans parasitent le quotidien de la sélection. «Une surprise comme en 1990 ne sera pas possible. Oui, je voulais qu'on y aille, mais pour le bonheur de 20 millions de personnes et de 23 athlètes qui en rêvent. Pas pour en attendre quelque chose.» Avec 13 points, huit buts inscrits et trois encaissés avant le barrage face à la Tunisie, le Cameroun de Samuel Eto'o a pourtant dominé le Groupe I. Sans être opposés à des cadors continentaux - le Togo et le RD Congo étaient passés par le premier tour et la Libye est la seule nation nord-africaine à n'avoir jamais participé à une Coupe du monde, il a au moins donné certains gages. Mais pour Mboma, venger les absences — «logiques» selon lui — aux deux dernières CAN ne suffit pas à cautériser des plaies qui saignent encore. «On a la chance d'avoir un réservoir sans fond, donc on arrive toujours à sortir des joueurs. Mais regardez l'équipe actuelle, il n'y a personne de niveau au poste de latéral droit ou pour occuper tout le couloir dans un 3-5-2, donc forcément le jeu bascule à gauche», analyse le double meilleur buteur de la CAN, en 2002 et 2004. «En attaque, il y a des jeunes qui arrivent mais ils ne font qu'émerger et je ne suis pas sûr qu'ils puissent assurer la relève des générations précédentes. Nous avons huit milieux récupérateurs mais personne pour animer le jeu et donner les ballons. Résultat, c'est Alexandre Song qui doit souvent s'y coller, ce n'est pas normal.» Une table en bois Comme beaucoup d'anciens internationaux, Mboma pointe du doigt le manque de professionnalisme du football camerounais et réclame un changement structurel, en profondeur. «Que s'est-il passé après 2006, quand les Lions ont manqué la Coupe du Monde ? Que s'est-il passé après 2010, quand nous avons sauvé notre place au dernier moment alors que le groupe était plutôt facile ? Il faut arrêter de croire au Père Noël, même si nous ne nous étions pas qualifiés, rien n'aurait changé», regrette-t-il. «Le Cameroun n'a pas apporté de nouvelle flamme au football africain depuis la finale de la Coupe des Confédérations en 2003. En Coupe du monde, nous n'avons atteint les quarts de finale qu'à une seule reprise. Donc, quand j'entends qu'une Coupe du monde sans le Cameroun serait dommage, je réponds : Mais avec le Cameroun, qu'est-ce que ça apporte de plus ?», développe Mboma, persuadé que tous les tracas et querelles qui entourent le quotidien des Lions empêchent les joueurs de rester concentrés sur un seul objectif. Pour l'instant, Volker Finke peut se targuer d'être l'homme de la situation, ce fédérateur dont le vestiaire a besoin. Peut-il remettre le Cameroun en état de dompter à nouveau l'Afrique ? «Je le répète, le malaise est structurel», rétorque Mboma. Que faudrait-il donc faire ? «Ajuster notre football sur nos moyens», répond-il. «Il est impossible d'essayer de dupliquer ce qui se fait dans les championnats européens ou au Japon. Si on n'a que du bois, on fait une table en bois. Il s'agit de tropicaliser le savoir que moi-même et d'autres joueurs avons appris à l'étranger dans différents pays.» Malgré la joie de la qualification, Mboma met déjà en garde ses successeurs sur les dangers qui les attendent au Brésil. Il leur reste sept mois pour les surmonter et faire mentir leur glorieux aîné.