Le rassemblement Barakat, tenu ce jeudi devant la Faculté centrale, à Alger, pour dire non à un quatrième mandat, a connu une forte participation de citoyens. La police qui a excessivement réprimé cette manifestation pacifique, n'a pas fait dans le détail. Simples passagers, curieux et journalistes ont été brutalement embarqués. Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir) Jeudi, 6 mars 2014. Place Audin, à proximité de la Faculté centrale. Il est à peine 11h. Plusieurs fourgons de police sont stationnés. Plus de 700 éléments des forces de l'ordre (chiffre confirmé par une source policière) guettent l'arrivée des participants au rassemblement Barakat. Les policiers en civil sont encore plus nombreux que ceux en uniforme. De simples passagers à qui les médias TV tendent le micro sur place, sont immédiatement embarqués. Interdiction totale de s'exprimer en public, pour ceux qui se disent de cœur avec les opposants au quatrième mandat d'Abdelaziz Bouteflika. Ceux qui font, par contre, des louanges au «président éternel», devant les caméras, ont droit à un traitement de faveur. «Regardez-moi ce pouvoir frileux, qui, conscient de son illégitimité, va jusqu'à embarquer ceux qui s'expriment librement devant les caméras de télévision», s'offusque un citoyen contre une scène d'arrestation totalement arbitraire. En une fraction de seconde, un mouvement de foule se déclenche à l'entrée de la Faculté centrale. Le rassemblement commence à se former et l'agitation des renforts policiers sème un climat de panique et de désordre. Mustapha Benfodil, membre et initiateur du mouvement Barakat, et néanmoins journaliste à El Watan, brandit un dessin fait par sa petite fille. Une horde de policiers se déchaîne sur lui, avant de l'embarquer violemment. Il recevra même des coups au visage. Contacté plus tard, il affirme que le médecin lui a délivré un certificat médical, pour coups et blessures volontaires, qu'il présentera devant le procureur de la République du tribunal compétent. «Regardez comment on traite un manifestant pacifique qui milite d'une manière artistique et civilisée. S'il avait brandi un sabre ou un cocktail Molotov, à la place du dessin de sa fille, la police aurait agi différemment... comme elle a l'habitude de le faire avec les émeutiers», regrette une jeune étudiante. Suivra l'arrestation de ses deux collègues Mehdi Bsikri et Hacène Ouali, pourtant ce dernier ne prenait pas part au rassemblement et était en charge d'assurer la couverture de l'évènement. Entre-temps, les arrestations se font par dizaines et la police ne fait plus dans le détail. Même les simples curieux n'y échappent pas. Hada Hazem, directrice du quotidien El Fadjr, est à son tour embarquée pour avoir dit son avis sur le rassemblement devant les caméras. Coincés et plaqués contre un mur, à hauteur de l'accès principal à la Faculté centrale, d'autres membres et initiateurs du mouvement Barakat, à l'exemple de Amira Bouraoui, Idir Tazerout, Louisa Chenoub, Amine Labter, Nassima Guettal, Abdelghani Badi, Sofiane Tahraoui... ainsi que plusieurs autres militants de la démocratie et des droits de l'Homme, les coudes serrés, forment une chaîne humaine pour résister aux arrestations policières. Les tuniques bleues sont très nombreuses et leur recours à la violence aura raison des manifestants pacifiques. Louisa Chenoub, une militante de la démocratie qui a tout abandonné en France pour venir récemment investir en Algérie et mettre son savoir-faire au profit de son pays, est malmenée de la manière la plus sauvage qui soit par des policières qui ont failli lui tordre le cou. Elles lui ont même bouché la bouche avec leurs mains, au moment où elle scandait «Vive l'Algérie», jusqu'à lui couper la respiration. Les fourgons de police entassés de vies humaines quittent tour à tour les lieux pour décharger les manifestants dans différents commissariats de la capitale. Dans un des fourgons policiers qui a pris la direction du commissariat, les «entassés» basculaient d'un bout à l'autre, les uns sur les autres en raison de la conduite dangereuse du chauffeur qui s'amusait à zigzaguer et faire des coups de freins secs, témoigne une des victimes, Amine Labter, caricaturiste du Soir d'Algérie. Pendant ce temps, plusieurs autres citoyens de passage qui répondent à la sollicitation des médias venus en grand nombre sur place, continuent d'être embarqués. C'est le cas de ce monsieur qui lança : «Si Bouteflika jouit réellement d'une popularité, pourquoi le pouvoir tremble devant 200 manifestants qui ont montré un grand civisme...». Le nombre des personnes arrêtées a été de 214, selon une source proche des organisateurs, et ceux qui ont été embarqués, alors qu'ils étaient simplement de passage, jurent qu'ils viendront carrément manifester, lors du prochain rassemblement. «Ils l'auront voulu», lance l'un d'eux, rencontré après sa libération, en faisant allusion aux policiers. Ce n'est qu'en fin d'après-midi que la majorité des manifestants seront libérés.