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Madame la Ministre de l'Education nationale, nos enfants vont très mal
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 05 - 2014

C'est les yeux pleins de larmes que je me décide à vous écrire.
Je suis une maman. J'ai trois enfants. Je fus dans une vie antérieure enseignante universitaire. La naissance de ma première fille et mon obligation de retourner au travail en la laissant recevoir une éducation par autrui, m'a fait réfléchir. J'ai réfléchi longtemps... A la naissance de ma deuxième fille j'ai décidé de mettre fin à ma carrière. Une décision difficile à prendre. Il a fallu se résoudre et accepter de sacrifier plusieurs années de dures études et de diviser les revenus du ménage par deux. Mais ça ne faisait pas le poids face aux exigences de l'éducation de mes enfants. Pendant la période de la petite enfance de mes filles, je me suis évertuée à donner le meilleur de moi-même, les éduquant dans le respect de soi-même et d'autrui, leur assurant un sentiment de sécurité et d'amour que j'estimais être nécessaire pour construire une personnalité solide et faire face à la vie.
Seulement voilà que l'âge scolaire arrive. Et quelle fut ma chute ! notre chute, la chute de toute la famille... Nous nous sommes retrouvés dans l'antithèse de tout ce qui a été le fondement de notre éducation... Nous avons inscrit notre aînée à l'école... Et le cauchemar a commencé... L'instruction est un droit pour l'enfant, c'est ce qui lui permet de s'ouvrir au monde et de s'armer pour l'avenir, de construire un socle solide sur lequel il va s'appuyer pour devenir un individu utile à lui-même et aux autres... Est-ce vraiment cela qui se construit dans nos écoles ? Permettez-moi, Madame la Ministre, d'en douter. Que se passe-t-il réellement dans nos écoles ? Je peux essayer ici d'en faire une description non exhaustive.
En premier lieu, le programme. Il est surchargé, basé presque majoritairement sur la mémorisation. Les enfants se retrouvent à apprendre par cœur des heures durant : éducation religieuse, éducation civique, histoire, géographie, sciences, récitations.... A retenir des informations bonnes seulement pour permettre de répondre à des questions d'examens et à être oubliées juste après. Les enfants apprennent donc à passer des examens et à revenir à la maison avec des «notes» pour calmer l'angoisse de leurs parents, ou l'aggraver, selon ces sacro-saints «résultats (les notes)». Leur intellect est noyé, étouffé par un flux d'informations qu'ils ne retiendront que pour les «résultats». Ce programme, Madame la Ministre permettez-moi de le penser, représente un affront à l'intelligence humaine et à la capacité innée des enfants à apprendre. Capacité qui est mise à mal et brisée par toutes ces obligations de mémoriser sans arrêt et sans relâche. Afin d'obtenir des résultats, ces enfants sont poussés à l'extrême de ce qui est acceptable humainement. Ils sont manipulés par la mise en compétition excessive. Ils sont dressés les uns contre les autres, poussés à la haine de l'autre. Ils sont surchargés de travail à l'école comme à la maison. Ils n'ont plus de temps pour jouer, pour se détendre, pour vivre leur enfance qui est si importante mais malheureusement éphémère.
Pour ces mêmes résultats (ces notes) , et dans nos écoles publiques et privées, ils sont quotidiennement humiliés, insultés, atteints gravement dans leur estime d'eux-mêmes et parfois, que dis-je, souvent, frappés ! Beaucoup d'établissements scolaires se sont transformés en camps de concentration dignes des pires tortionnaires. Et je pèse mes mots. Et tout ça avec la complicité des parents qui se taisent, pire, qui cautionnent !
Je voulais, pour étayer mes dires, avoir des chiffres concernant la maltraitance dans les écoles. Ils existent, m'a-t-on dit, mais ils ne sont pas communicables...
Pour que les enfants fassent mieux, il faut qu'ils se sentent mieux. Or nos enfants vont mal, ils vont très mal. Le stress, la pression et la peur sont leur quotidien. Ils sont mis en échec régulièrement et ils vivent dans un sentiment d'insécurité affective permanent.
Le but du cycle primaire est d'apprendre à lire, à écrire et à compter. Est-ce vraiment le prix à payer ? De plus, ce but est-il vraiment atteint ? Vous n'êtes pas sans savoir Madame, qu'arrivés à l'université ou au sein des établissements de formation professionnelle, les jeunes se retrouvent souvent avec des indigences intellectuelles plus que handicapantes : incapables de raisonner, de compter ou de rédiger des textes simples. Mais ils auront néanmoins vécu durant toute leur scolarité des affres inhumaines. Force est de constater qu'ils sortent de leur scolarité indigents, chargés de violence et de haine accumulées des années durant.
Que nous est-il arrivé ? Quel avenir et quelle société sommes-nous en train de construire ? Toutes les révolutions possibles, dans quelque domaine qui soit, sont inutiles et vaines tant que nous continuons et persistons à meurtrir l'enfance. Est-ce pour cela que nos pères et nos aïeux ont donné leur vie et leur sang ? Est-ce pour voir leur descendance privée de la dignité pour laquelle ils ont livré un dur combat ?
Et les parents ? De quel mal sont-ils atteints ? Qu'est-ce qui fait qu'ils acceptent et qu'ils se font même complices de tout ça ? Qu'attendons-nous pour nous mobiliser et pour crier l'urgence d'un changement ? Bien au contraire, nous livrons nos enfants docilement à un supplice quotidien, insupportable et inhumain.
Certains parents en demandent même davantage : la requête d'ajouter des matières de mémorisation à l'examen de fin de cycle primaire n'a-t-elle pas été émise par des collectifs de parents ? Veulent-ils asséner un coup de grâce à l'éducation si ceci n'a pas déjà été fait ?
Beaucoup de pays et de familles de par le monde ont expérimenté des pédagogies qui exaltent les aptitudes innées des enfants pour en faire des personnes bien construites et aptes à embrasser l'avenir. Dans la plupart des pays modernes, une palette de choix en matière de pédagogie s'offre aux parents. On y trouve une myriade d'alternatives à l'éducation nationale essentiellement dans le secteur privé. Et si la diversité des écoles qui s'offre à eux ne leur convient pas, ils peuvent prendre l'initiative de se charger eux-mêmes de l'instruction de leurs enfants soutenus par leurs gouvernements. C'est le cas au Canada où les parents qui font ce choix se voient allouer un soutien financier par un Etat conscient que ces parents le déchargent d'une lourde responsabilité et contribuent au bon fonctionnement de la société.
En Algérie, des initiatives de diversification de l'éducation en matière de pédagogie ne peuvent même pas être envisagées face à la volonté de standardisation/uniformisation de l'éducation officielle. Nous persistons dans ce qui ne marche pas, pire, dans ce qui est destructeur.
Madame la Ministre, je suis une maman et j'ai du mal à accepter qu'on continue à voler l'enfance, la joie de vivre et le bien-être de mes enfants sous prétexte de leur apprendre à lire et à compter.
J'estime en tant que mère avoir la responsabilité et le droit de dire non ! Non au malheur de mes enfants. Non à une éducation qui ne répond pas à mes exigences de respect, d'amour et de sécurité. La Déclaration universelle des droits de l'Homme m'en donne le droit dans son article 26, alinéa 3 : «Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.» Dans ce même article, il est stipulé que «l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.»
Je peux dire en mon âme et conscience que les prisonniers dans les pénitenciers sont mieux traités que la chair de notre chair l'est dans nos écoles. Ils n'ont pas à se retenir quand un besoin naturel se fait ressentir. Ils n'ont pas à ingurgiter des informations pour lesquelles rien n'est fait pour en faire quelque chose d'agréable à apprendre. Ils n'ont pas à subir des sévices psychologiques et physiques tous les jours que Dieu fait... Et j'en passe...
Non Madame la Ministre, les droits de l'Homme ne sont pas respectés dans les établissements scolaires et l'enfance n'a pas le temps d'attendre la lourdeur des réformes et des décisions gouvernementales qui tardent trop. Il est urgent de remédier à tout ça et d'agir. Il est grand temps de redonner aux enfants la joie de vivre et d'apprendre.
Il y a des compétences dans notre beau pays et je vous demande solennellement, Madame la Ministre, de les laisser agir en collaboration avec les nombreux parents qui le souhaiteraient et qui sont prêts à se constituer en collectif dans le but de mieux agir pour le bien de nos enfants.
Mme H. S.
(Alger)


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