Avoir le joueur le plus doué de sa génération dans son équipe ne garantit pas un sacre mondial: la sentence est cruelle pour Lionel Messi et l'Argentine, qui a pourtant effectué au Brésil son meilleur parcours depuis 24 ans. Messi était trop seul Le quadruple Ballon d'Or aura tout tenté mais il lui fallait des lieutenants à la hauteur pour aller au bout et ne pas s'essouffler comme il l'a fait à partir des demi-finales. Diego Maradona avait Jorge Valdano et Jorge Burruchaga à ses côtés en 1986, mais «Leo» (4 buts dans le tournoi, tous inscrits au 1er tour) a dû œuvrer en solitaire et a été successivement lâché par ses compères en attaque. Sergio Aguero s'est blessé à la jambe gauche dès le 3e match contre le Nigeria (3-2) et n'est revenu, diminué, qu'en demi-finale, errant ensuite tel un fantôme au Maracana après avoir remplacé Ezequiel Lavezzi à la pause. Angel Di Maria a abdiqué en quart de finale (problème musculaire), et Gonzalo Higuain n'a réellement brillé que 90 minutes face à la Belgique (1-0) avant de disparaître de nouveau. Le génie de Messi n'aura donc pas suffi à combler ces absences. La «Pulga» espérait rejoindre définitivement «El pibe de oro», l'idole absolue, dans le coeur des Argentins en s'offrant ce titre majeur qui manque encore à son prestigieux palmarès. C'est raté, et la campagne brésilienne laissera forcément un goût d'inachevé et une grosse frustration. La distinction de "meilleur joueur", qui lui a été curieusement attribuée, ne suffira pas à le consoler. Après les échecs de 2006 et 2010 (quart de finale), Messi avait pourtant obtenu les pleins pouvoirs de la part d'Alejandro Sabella. Promu capitaine en 2011, il était enfin devenu le vrai patron de l'Albiceleste et le sélectionneur avait bâti une équipe à son service. Mais à force de dépendre d'un seul homme, l'Argentine s'est fourvoyée. La disette se poursuit Cela fait désormais 21 ans que l'Argentine n'a pas soulevé un trophée, le dernier datant de 1993 avec la Copa America. Autant dire une éternité pour une nation qui vibre pour le football. Le pays ne manque pas de joueurs de talent, et les deux succès aux jeux Olympiques en 2004 (avec Tevez, Saviola, Mascherano, Lucho) et 2008 (avec Messi, Aguero, Lavezzi, Mascherano, Di Maria, Gago) pouvaient présager des lendemains qui chantent. Mais la transition entre les équipes de jeunes et les «A» s'opère difficilement. Le Mondial-2014 est certes plus qu'honorable, et Sabella a justement expliqué après la finale que ses joueurs pouvaient «se regarder dans la glace». Ce n'était toutefois pas encore assez pour décrocher une troisième étoile. Les Argentins forment des attaquants de niveau mondial, montrent du coeur dans le domaine défensif, mais ils misent essentiellement sur leur hargne et leur volonté légendaires. Le même scénario de 1990 s'est donc répété, avec des matches remportés sur le fil avant une désillusion logique en finale contre l'Allemagne, la meilleure équipe, sur un score étriqué (1-0, a.p.). Quel héritage ? Sabella a déclaré après le revers face à la Nationalmannschaft qu'il déciderait plus tard de son avenir. «Je veux me reposer, être avec mes joueurs, mes collaborateurs, les gens du groupe qui ont merveilleusement bien travaillé, avec ma famille. Je me reposerai quelques jours et je verrai», a-t-il indiqué, alors que son agent Eugenio Lopez avait affirmé vendredi que la finale du Mondial serait son dernier rendez-vous avec l'équipe nationale, quel que soit le résultat. En attendant de connaître la décision de Sabella, l'Argentine peut quand même s'appuyer dans les prochains mois sur l'ossature actuelle où figurent plusieurs joueurs champions du monde U20 en 2005, dont Messi. Ils étaient ainsi six en finale (Messi, Zabaletta, Aguero, Garay, Biglia, Gago) à avoir été sacrés il y a 9 ans aux Pays-Bas. Le prochain grand rendez-vous de l'Albiceleste est programmé en 2015, au Chili, avec la Copa America. Mais que fera le métronome Javier Mascherano, 30 ans? En 2018 en Russie, Messi, lui, aura 31 ans. Aura-t-il encore ses jambes de feu? «Nous voulions gagner la Coupe du monde. Mais maintenant, nous devons regarder vers l'avenir. Après une longue période sans dépasser les quarts de finale, nous avons atteint enfin la finale. Mais aujourd'hui, il y a de la déception d'avoir perdu dans les dernières minutes de la prolongation», a-t-il dit dimanche. Avant de songer au futur, l'Argentine et Messi doivent d'abord panser leurs plaies.