Sur le mode de l'épopée et du récit élégiaque, Fadhma N'Soumeur, le nouveau film du réalisateur Belkacem Hadjadj raconte l'histoire de la résistance du dernier bastion, la Kabylie, contre la campagne d'occupation française de l'Algérie, à la fin du XIXe siècle. «Je n'ai pas fait un film historique mais une fiction», objecte Belkacem Hadjadj face à l'interpellation d'un spectateur qui lui faisait remarquer que son film s'est autorisé une distorsion, une prise de liberté dans la narration des faits historiques se rapportant à la résistance populaire des tribus kabyles face à l'avancée de la cavalerie française conduite par le maréchal Randon et ses généraux, Mac Mahon et Beau-Prêtre qui s'apprêtaient à mettre un point final à la conquête intégrale de l'Algérie, en soumettant par la force des armes sophistiquées alliée à la ruse, à une démarche fractionnaire, selon la sacro-saint procédé qui consiste à diviser pour régner pour s'assurer le soutien et le ralliement de tribus pour en faire des forces supplétives au soutien de ses visées expansionnistes et de soumission du reste des fractions tribales rebelles et hostiles à l'arrivée des nouveaux conquérants. S'étant attaqué à la restitution de faits survenus durant une période historique peu documentée et caractérisée par une rareté de références historiques (l'équivalent d'une dizaine de pages de récits et d'écrits historiques reprenant des témoignages oculaires des événements considérés retrouvées par Aït Youcef, chercheur en histoire et auteur du scénario du film) mais par une profusion de récits hagiographiques, se désole Belkacem Hadjadj, qui, néanmoins, avoue son parti pris pour une écriture cinématographique qui fait la part belle au mythe dont il s'est emparé pour crédibiliser une fiction qui, prévient-il encore, s'inspire de faits réels et historiquement attestés. De fait, c'est davantage «un être de papier», un personnage déifié, presqu'une puissance thaumaturge dotée d'attributs surnaturels et magiques, capable de guérir les malades et de prédire l'avenir qu'il nous est donné à voir dans le film du réalisateur d'El Manara et de Machahu qu'une entité physique faite de chair et de sang que fut Fadhma n'Soumeur qui, l'histoire l'atteste, était la fille d'un imam et notable religieux dont l'aânaya (la bénédiction et le pouvoir spirituel), pouvoir acquis grâce à son appartenance à la Tariqa Rahmania maintes fois évoquée dans le film s'étendait sur toute la partie est de la région de l'ex-fédération des Igaouaouène située à l'est de Aïn El-Hammam et comprenant les arch d'Ath Bouyoycef, Iferhounène et Imsouhal, voir même au-delà, dans cette espace géographique de la Kabylie où les lignages tribaux et familiaux tirent l'essentiel de leur pouvoir de la religion et la maîtrise du savoir écrit (maîtrise du Coran et de la langue arabe). Des attributs qui viennent en héritage de son grand-père à Fadhma n'Soumeur dont l'aura spirituelle et le respect dus à son rang (lignage) dépassent les simples frontières de son village. Et, c'est sans doute pour cette raison que la notoriété de cette femme belle et rebelle iront par monts et par vaux pour arriver jusqu'aux oreilles de Boubaghla, un descendant d'un lignage religieux venu de l'autre côté des montagnes des Babors, auquel la tradition orale a fabriqué une aura de démiurge et qui se chargera, à la tête d'une armée de moines guerriers, d'unifier les tribus des archs de la vallée de la Soummam et des Igaouaouène (actuelle région de Haute-Kabylie) pour résister à la conquête de la Kabylie par l'armée colonialiste française. Belkacem Hadjadj consacrera l'essentiel de sa fiction de presque deux heures à l'épopée de Boubaghla, portant à leur apogée la témérité, le courage, la maîtrise de l'art de la guerre de ce moine guerrier. Pour pimenter son récit, le réalisateur nous fera témoin de l'idylle naissante entre ce dernier et Fadhma n'Soumeur qui restera vierge immaculée malgré un mariage et une nuptialité non consommée à l'issue d'une union sacrée avec un notable de la région. Le refus de ce dernier de rompre les liens du mariage avec la belle Fadhma exacerbera l'amour mais aussi la rancœur, pour cause d'union impossible, de Boubaghla qui deviendra acariâtre et coléreux, au-delà de toute raison. Et c'est ce qui causera sa perte. Il connaîtra une fin sans gloire, puisqu'il fera les frais d'une vendetta organisée par une famille qui vengera l'un des siens injustement tué par le chef des moines guerriers. Une fin tragique qui affaiblira ces derniers dépourvus d'un chef fédérateur des forces et des tribus livrées à leurs divisions d'antan. Et c'est à ce moment qu'intervient Fadhma n'Soumeur qui se révélera être un leader incontesté de la communauté et chef de guerre à la tête de la résistance reconstituée dont le courage a fini par étonner même les généraux français lors de son arrestation. C'était la dernière séquence du film dont la projection a tenu en haleine le public de la maison de la culture de Tizi-Ouzou archi-comble et qui a réservé un accueil chaleureux au film et à son réalisateur salué avec une standing ovation et des youyous. Au-delà de l'émotion suscitée par le récit qui traite d'une figure emblématique de l'histoire que le génie populaire a élevée au rang de mythe fondateur, Belkacem Hadjadj a réussi à charmer les spectateurs qui n'ont pas manqué de saluer la beauté plastique du film bien servi par les dialogues dans une langue simple et poétique signés par le poète Benmohamed, des thèmes musicaux composés par le musicien Safy Boutella, des effets spéciaux (cascades bien réglées et reconstitution de décors d'intérieur et de scènes de guerre grandeur nature) et autres artifices qui participent à la re-création d'une atmosphère d'époque. Seule ombre au tableau, les costumes, un peu déconnectés du contexte kabyle, au goût de nombreux spectateurs qui ont reproché au réalisateur ses choix dans la distribution des premiers rôles féminin et masculin. Si la performance de la comédienne franco-libanaise, Laetitia Eido, a admirablement campé le rôle de Fadhma n'Soumeur, son accent kabyle, langue qu'elle a appris sur le tas pour les besoins de l'interprétation de son rôle a déplu à une grande partie du public (une performance à saluer). Le même reproche a été fait à Assad Bouab, comédien marocain, premier rôle masculin (Boubaghla) et qui a dû lui aussi se mettre au kabyle, pour déclamer les dialogues en kabyle dans cette langue. Ce qui est en soi une performance pour ces deux comédiens étrangers et dont l'exemple est à suivre par une grande partie d'Algériens qui s'opposent à la généralisation de l'enseignement de tamazight au sein de l'école algérienne.