HD en 2006, 3D en 2010, 4K en 2014... A chaque mondial, entre innovation technologique et promesse marketing, les constructeurs de téléviseurs se donnent le mot pour pousser les amoureux du football à passer à la nouvelle génération d'écrans. De la 8K à la 3D lenticulaire, en passant par l'holographie, quel fantasme deviendra réalité d'ici trois à quatre ans ? Tour d'horizon de la question. L'effet Coupe du monde, une réalité Tous les quatre ans, les plus grands fabricants rivalisent de marketing et d'ingénierie pour espérer tirer leur épingle du jeu durant cette période très médiatique. L'année, le mot d'ordre, était le passage à une résolution quatre fois supérieure à celle de la Full HD. Difficile de les rater : sur les bords de terrain, les publicités «Sony 4K» étaient de tous les matchs de cette Coupe du monde. Et le constructeur japonais n'est pas un cas isolé. Samsung, LG, Panasonic, Toshiba, Philips, ou encore Thomson se sont tous lancés, dans cette nouvelle génération de téléviseurs regroupés depuis 2012 sous le standard Ultra Haute Définition ou UHD : résolution minimale de 3840 x 2160 pixels, ratio 16 :9, affichage de 50 images/seconde et espace colorimétrique plus large. Le 28 juin à 18 heures, Brésil-Chili est ainsi devenu le premier match de Coupe du monde filmé et retransmis en Ultra Haute Définition. Suivront un quart de finale le 4 juillet, et la finale le 13, tous au légendaire stade du Maracana. Après de premières expérimentations à la Coupe des Confédérations 2013, la Fifa et l'industrie passent donc la vitesse supérieure. Ce n'est pas la première fois que la Coupe du monde sert de levier aux ventes de téléviseurs, et pour cause : derrière chacune de ses éditions, une société œuvre à piloter les innovations télévisuelles. Son nom n'est pas très familier au grand public, et pourtant, Host Broadcast Services joue un rôle indirect essentiel dans la démocratisation des standards télévisés. Cette société suisse fondée en 1999, filiale de Infront Sports & Media, est le partenaire technologique de la Fifa depuis 2002. A ce titre, c'est elle qui gère la prise de vue et la retransmission de la compétition qui s'est déroulée au Brésil, et elle a déjà été mandatée pour couvrir celle qui suivra, en Russie. A chaque édition, HBS introduit plusieurs innovations technologiques. En 2002 par exemple, les caméras de la société suisse inauguraient la Full HD en affichage entrelacé (1080i) pour 48 matchs. Mais aussi le multiflux, qui permettait aux chaînes de choisir parmi plusieurs plans pour personnaliser leur diffusion, ainsi que l'acquisition numérique non linéaire, à l'origine des premiers ralentis ultra-détaillés. Les flux HD étaient en revanche réservés aux diffuseurs asiatiques. C'était les grands débuts de la HD, mais faute d'infrastructures réseau, aucune chaîne européenne ne pouvait alors la proposer. En 2006, l'intégralité de la compétition est désormais filmée en haute définition, et en 1080p. Le nombre de caméras est porté de 20 à 26 par match, afin de fournir davantage de gros plans sur les footballeurs vedettes. De manière inattendue, la multiplication des caméras individuelles trouvera son point d'orgue dans le célèbre gros plan sur le coup de tête final de Zidane. En revanche, la diffusion en haute définition ne concerne alors que quelques heureux élus. 2010, l'arrivée de la 3D En 2010, HBS délègue une équipe spéciale pour diffuser 25 des 64 matchs en 3D. C'est une première dans l'histoire des retransmissions sportives. Par ailleurs, le nombre de caméras est porté à 30, voire à 32 par rencontre, avec notamment l'apparition de la Spidercam, une caméra mobile et suspendue permettant d'apprécier l'action depuis une vue de dessus, et de l'Helicam, prédécesseur industriel des drones équipés de GoPro. Malheureusement pour l'industrie, le lancement des écrans à 3D stéréoscopiques connaît un échec retentissant. Trop chers, trop peu confortables, lancés trop vite après les écrans HD, et surtout, avec bien trop peu de contenu, ils font depuis profil bas. En 2014, la 3D est abandonnée, mais pas la Spidercam ni l'Helicam, qui suivent désormais toutes les rencontres. Le nombre de caméras passe à 34, avec, surtout, l'apparition au Brésil de deux innovations majeures : la diffusion d'un flux pour les écrans secondaires (smartphones, tablettes), et l'introduction de la prise de vue en super haute définition. Deux formats sont concernés. En collaboration avec Sony, un dispositif de 12 caméras 4K est mis en place pour trois matchs dont la finale, tandis que la chaîne de télévision japonaise NHK teste de son côté la diffusion de 9 matchs en 8K. En 2018, HBS honorera en Russie sa cinquième Coupe du monde en tant que producteur de la compétition. La société ne communique pas encore sur le dispositif qui sera mis en place dans les douze stades russes, mais la logique voudrait qu'après un premier essai en 2014, la prise de vue en 4K soit généralisée à tous les matchs, et que de nouvelles technologies soient expérimentées en marge, en préparation de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Lesquelles ? «Pour des raisons que vous comprendrez, nous ne pouvons divulguer nos plans», oppose poliment le service média de la Fifa, tandis que HBS n'a pas répondu aux sollicitations. Mais si les grandes organisations sont évidemment très cachottières, heureusement, plusieurs tendances industrielles apparaissent déjà. Il faut dire que dans l'industrie de la haute technologie, les modes passent vite, et plus d'un produit annoncé comme l'avenir de la télévision a disparu dans l'anonymat les années suivantes. Qui se souvient ainsi qu'en 2006, Daewoo présentait une TV HD sans fil et Toshiba, le SED, une alternative aux écrans LCD et Plasma qui a, depuis, fait long feu ? Annoncé comme l'avenir de la TV en 2006, le SED est abandonné en 2008. Pourtant, certaines tendances de fond existent. La HD, par exemple. Si celle-ci ne s'est démocratisée que dans la seconde moitié des années 2000, le premier téléviseur équipé d'une matrice haute définition date quant à lui de 1974 ! Cette année-là, Panasonic avait en effet réalisé la démonstration d'un prototype de téléviseur équipé d'une étonnante matrice de 1125 lignes horizontales (contre 1080 pour le standard Full HD). Et puis, que dire de la 3D, qui a donné lieu à une offensive commerciale en 2010, alors que l'ancêtre de la technologie existe déjà depuis 1958, et a été maintes fois exploité au cinéma ou dans les parcs d'attractions ? En 1998, la HD est présentée comme l'avenir de la télévision au CES, huit ans avant qu'elle ne se démocratise. Bref, l'avenir de la retransmission sportive télévisée n'est pas forcément à inventer : il est juste à être rendu financièrement abordable et commercialement pertinent. De la 3D lenticulaire à la télévision transparente en passant par l'holographie, toutes ces technologies existent déjà, souvent à des prix qui les réservent pour l'instant à des professionnels. La question est de savoir si elles seront financièrement accessibles pour les prochaines Coupes du monde, et accessoirement, si elles ont un sens pour le consommateur. Le paradoxe des nouvelles technologies, c'est qu'elles n'ont souvent de nouveau que le nom. De nombreuses nouveautés marketing correspondent à des innovations déjà anciennes, mais qui, pour des raisons de prix ou de stratégie commerciale, deviennent seulement peu à peu grand public. Parmi celles-ci, il existe deux types d'évolutions : celles qui s'inscrivent dans un mouvement progressif et général, et celles qui tentent de prendre les habitudes à contre-pied. Parmi les premières : la hausse des tailles des dalles, l'amélioration de la résolution, les progrès des connexions et le déploiement d'Internet dans les foyers — et donc le développement des TV connectées — font partie des tendances de fond anticipées depuis longtemps. La Coupe du monde du futur, très probablement, s'inscrira dans ce cadre-là : résolution 4K minimum pour tous, écran géant mais discret, expérience semi-personnalisée et fonctions connectées. Et puis il y a la seconde catégorie, celle des innovations de rupture. Certaines propositions ont beau revenir, elles se ratent à chaque fois, comme la 3D. D'autres ont réussi à s'immiscer dans nos vies, comme le tactile. L'holographie et la réalité virtuelle sont des horizons possibles pour la Coupe du monde 2022. La technologie sera prête d'ici-là, mais si les mêmes contraintes que la 3D les accompagnent, il y a peu de chances que ces concepts rencontrent le succès escompté. Il en va des technologies comme des qualifiés à une Coupe du monde : beaucoup de rêves, beaucoup de prétendants, mais un seul vainqueur.