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Le 14 octobre 2014 disparaissait Zoubir Bouadjadj
Celui qui a fait mentir les prophètes de mauvais augure
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 10 - 2015

Déjà une année que nous a quittés le moudjahid Zoubir Bouadjadj. Et tout cela me semble si proche et si loin à la fois que je ne sais dans quel style dois-je rédiger ce papier pour le rappeler au souvenir de ses proches, de ses intimes, de tous ces militants qu'il a connus, avec lesquels il a longtemps travaillé et qui, en retour, l'ont beaucoup aimé et apprécié.
Eh bien, je vais le rédiger dans le style direct que m'impose mon cœur, sans toutefois omettre de m'excuser auprès des concepteurs de la grammaire et du système rigoureux de ses règles. En effet, je le rédige dans le style que m'impose mon cœur, clair et simple pour évoquer, ici dans cette étape, un ami aussi cher que Zoubir Bouadjadj, celui que d'aucuns voient en un temps déjà si lointain, mais qui, pourtant, est toujours présent, parmi nous.
Ainsi, dois-je me rassurer, en me posant cette question : ai-je assez oublié pour avoir des souvenirs ? Non ! Je n'ai rien oublié, mais son souvenir, parmi les plus bons et les meilleurs, demeure en mon for intérieur comme cet exercice de communication des pensées, que j'arbore manifestement pour ceux qui ont le mérite d'avoir existé, construit et laissé, comme c'est le cas de Zoubir. Oui, je me remémore celui qui adoptait un comportement en harmonie avec les valeurs de Novembre et qui vivait en phase avec son milieu..., un milieu honnête, sincère, affranchi de tout souci de gains faciles ou illicites, de trafic d'influence, de vol, de rapine et de corruption.
Notre frère Zoubir travaillait pour les «3B», une formule consacrée chez notre éminent Pr Saïd Chibane, ophtalmologue et islamologue de renom. Ne pas confondre avec les grands de la Révolution, les regrettés Boussouf, Bentobal et Belkacem Krim, qui étaient ses amis et avec lesquels il militait, pendant de longues années. Zoubir travaillait, tout simplement, pour «le beau», «le bon» et «le bien», et ce ne sont pas du tout des valeurs négligeables. Bien au contraire, ce sont des repères de gens illustres, ceux-là mêmes qui étaient les faiseurs de nombreuses circonstances, mais qui n'étaient pas le produit de celles-ci, comme ces «opportunistes», pareils à «de pauvres comédiens qui se pavanent et s'agitent durant leur heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus.» Ce dernier bout de phrase, entre guillemets, est un extrait d'une citation de William Shakespeare.
En un mot, il se situe parmi ceux qui ont fait l'Histoire, par leur courage, leur franchise et leur abnégation. Il n'est pas de ceux qui sont entrés, ou qui entrent, par effraction dans l'Histoire. Ceux-là..., il arrive un moment où on les esquive ou on omet de les citer en exemple, parce que la bonté, l'humilité, la simplicité, la générosité leur manquent.
J'écrivais, il y a une année, jour pour jour, dans ce même quotidien..., et le rappeler est toujours nécessaire, comme dans un cours de pédagogie : «Qui est cet Homme qu'on appelait la cheville ouvrière pour la préparation de Novembre 1954 ? Il y a beaucoup à dire sur celui dont le passé ne fait pas seulement l'objet d'attributs apologiques : comme illustre et glorieux, mais aussi l'objet d'une école de nationalisme, de dévouement, de détermination et surtout, surtout... de modestie, une qualité assez rare de nos jours, même chez le commun de nos responsables.»
Avant toute réaction — peut-être, quelque peu dithyrambique pour certains –, je peux dire que Zoubir ne faisait pas partie du cercle de ces «cheikhsonnalités» – un terme qu'a lancé le regretté Kaïd Ahmed, comme un pavé, dans un de ses discours –, ces cheikhsonnalités, affublées d'une aura surfaite, et qui se propagent dans notre environnement et le polluent. Il était, assurément, un pur produit du nationalisme algérien qui est né dans le feu de l'action, et qui s'est lancé, corps et âme, dans le vrai..., dans cette lutte armée héroïque qui a abouti, après d'énormes sacrifices, au recouvrement de notre souveraineté nationale, longtemps spoliée.
En effet, il est de ceux qui possédaient cette modestie, pour ne pas se croire comme «sorti de la cuisse de Jupiter», même s'il en avait tous les droits. Assurément, tous les droits, du fait qu'une partie considérable du patrimoine historique de notre pays, dont il était parmi ses concepteurs, lors de cette importante étape de notre passé, est l'un des plus conséquents dans l'Histoire de l'Humanité. N'est-ce pas que «la modestie va bien aux grands hommes», comme le soutenait l'écrivain Jules Romain ? Et sans cette qualité, accompagnée de la foi, deux ingrédients qui se raréfient aujourd'hui..., lamentablement, aurions-nous pu, franchement, traverser de nombreuses stations, incontestablement difficiles, mais couronnées de succès ?
Zoubir Bouadjadj, l'enfant de la Redoute (El-Mouradia), gardait jalousement cette foi, dans son cœur, à laquelle il ajoutait une sincère humilité dans son comportement. Il en faisait son credo et son guide dans toutes les batailles qu'il menait contre l'occupant. Et ainsi, depuis son jeune âge, à l'heure où ses pareils s'adonnaient aux plaisirs des voyages, des auberges de jeunesse et du camping, lui devait choisir une autre destination. Il n'y avait pas mieux que de signer une licence à l'USMA, ce club qui formait avec le Mouloudia d'Alger, une véritable école de nationalisme et de patriotisme. Ces deux clubs, et d'autres à travers le pays, dits «clubs musulmans», devenaient, forcément, des réservoirs inépuisables de militants d'où sont sortis plusieurs dirigeants de la guérilla urbaine et de la lutte dans les maquis.
Il était sur ses vingt ans, pendant le drame du 8 Mai 1945, et sur ses vingt-deux ans quand l'OS (Organisation secrète) décidait de rentrer dans la bataille. De grands événements lui tendaient les bras. Il ne se faisait pas prier. Agile et souple comme il était, cet excellent défenseur «usmiste», redouté par tous les attaquants, à cause de sa rugosité et sa bonne puissance physique, se ralliait, tête haute, au mouvement des nobles, de ceux qui répondaient «présent !» au devoir national, sans la moindre hésitation.
Mohamed Belouizdad se trouvait là, lui aussi, très jeune, 23 ans à peine. Alors Zoubir découvrait en lui le chef et le compagnon idoine. Ils devenaient copains à cause de la similitude du message qu'ils véhiculaient et, vite et ensemble, ils entamaient le travail dans l'esprit qu'ils voulaient imprimer à cette lutte que tous souhaitaient concrète, positive, annonciatrice d'une nouvelle ère pour notre pays. Cependant, le destin leur prescrivait une douloureuse séparation. Le jeune responsable de l'OS, Mohamed Belouizdad qui, frappé par la tuberculose pendant de longues années consacrées à la cause nationale, rejoignait le Seigneur, au début de l'année 1952.
Là, Zoubir ne désemparait pas. «Il faut aller de l'avant !», se disait-il, convaincu, lui qui ne pouvait accepter cet état de fait qui nous était prescrit par le colonialisme, et sa spoliation doublée d'avilissement et du mépris de l'Algérien. Il s'en allait rejoindre, malgré la finitude et la déréliction qui entouraient certains, le front concret de la contestation ou, carrément, ce moyen de combat, avec la manière qu'il pensait efficace. Il est certain qu'il voulait affirmer que nous n'étions pas «une race qui n'avait aucune individualité positive», comme prétendu dans les cercles de l'indu-occupant, bien avant cette levée de boucliers de nos patriotes.
Ainsi, connaissant sa force de caractère, son audace et ses capacités de rebondir intelligemment sur des questions de fond, il s'évertuait dans une autre performance, plus importante que celles qu'il avait menées auparavant, mais d'une manière plus décisive. Il avait organisé cette fameuse réunion des «22», celle qui avait décidé et tracé les contours de la lutte armée, le 25 juin 1954, tout en mettant les jalons nécessaires pour garantir sa réussite. De cette maîtrise dans l'organisation du travail révolutionnaire, les jeunes doivent comprendre que Zoubir Bouadjadj était, effectivement, la cheville ouvrière dans ce processus de préparation de ce grand événement, depuis que son ami d'enfance, Didouche Mourad, l'avait chargé de lourdes missions, quelques jours seulement après la naissance du CRUA, notamment les plus déterminantes, parce qu'il le savait capable de les diligenter dans les meilleures conditions.
Quelques mois après, en octobre, précisément, Zoubir, dans les mêmes dispositions d'organisation, devait superviser, dans les normes des meilleures conditions sécuritaires avec son commando, cette autre réunion des «6» chefs du CRUA, les Krim Belkacem, Mostefa Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Boudiaf, Didouche Mourad et Rabah Bitat. Ainsi, les sentences qui ont été prises, ce soir-là, ont ouvert un nouveau chapitre de l'Histoire de notre pays. Deux décisions essentielles ont émergé : le nom du mouvement, le FLN, celui qui devait «annoncer au monde» la naissance de la Révolution algérienne et la date de l'insurrection, la nuit du 1er Novembre 1954. De cette façon, Zoubir, le vigilant et le très pointilleux sur les aspects organisationnels, voulait que ceux «d'en face» comprennent, cette fois-ci, qu'il ne s'agissait pas d'un «mouvement local et sans suite», mais d'une authentique révolution qui allait s'inscrire dans les annales de l'Histoire.
Quelle Révolution que celle qui est dirigée par un noyau de jeunes, dont la seule motivation est le sacrifice pour le pays et le peuple ! Ainsi, pouvait s'exclamait n'importe quel analyste politique, de bonne foi, qui reconnaissait le mérite de ces jeunes organisateurs et combattants, qui ne connaissaient pas de répit. En effet, pas de répit pour Zoubir qui a fait mentir les prophètes de mauvais augure, avec sa tentation de l'impossible.
Tout cela est beau à entendre, quand il s'agit de faire l'éloge d'un frère qui se trouvait aux côtés de compagnons d'armes, les Mohamed Bélouizdad, et plus tard Didouche Mourad, Souidani Boudjemaâ, et bon nombre de combattants. C'est encore plus stimulant de lire l'épopée glorieuse des représentants de notre jeunesse, depuis la profonde Histoire, jusqu'à la récente révolution de Novembre, pour l'indépendance nationale. Mais Zoubir qui nous revient aujourd'hui, en mémoire, ne pourrait-il pas, après cette première année d'absence, nous poser tant de questions sur l'évolution de son pays, qui se trouvait déjà, pendant son départ, dans une position peu enviable ? De là, bien sûr, on peut s'imaginer, comme dans un rêve – qui ne peut être que gratuit – quelques impressions de «l'absent-présent» Zoubir Bouadjadj, sur cet aspect de détournement de l'Histoire.
Ainsi, en donnant à notre imagination le support d'une sensation présente, concernant les problèmes de l'heure, et connaissant parfaitement notre interlocuteur, il n'acceptera jamais que certains, parmi nous, se soient éloignés de la culture du peuple en se permettant d'aller plus loin que la réalité et la morale, en des déballages de bas étage qui ne font qu'atténuer, malheureusement, ce magnifique héritage historique que nous avons tous célébré. Il n'acceptera également, jamais, lui dont la modestie a fait échec aux prétentions et aux prétentieux, que l'on fasse appel aux «personnages superlatifs dotés d'attributs fictifs», pour nous faire pénétrer dans le labyrinthe des faillites généralisées.
Il nous assènera, enfin, que l'Algérie est un pays de potentialités énormes, il n'y a qu'à choisir parmi les jeunes intègres d'abord, compétents ensuite, pour entreprendre une sérieuse et profonde révolution, dans pratiquement tous les domaines vitaux de la nation. Et là, on n'aura pas à nous acoquiner avec ceux qui «thésaurisent des fortunes et blanchissent leur argent, ceux-là mêmes qui ne se sentent liés par aucune obligation sauf celle d'assouvir leurs instincts et ceux des leurs», comme écrivait un bon militant, chef d'entreprise.
Pour terminer ce souvenir d'un nationaliste, un authentique combattant de la lutte de Libération nationale, il ne me reste qu'un petit souhait à formuler. Il n'est pas ambitieux et il est gratuit. Je dis hautement, en ces temps maussades et difficiles : «Rendre à César ce qui appartient à César.» Assurément, il faut donner à chacun son dû en matière d'attention, de respect et de reconnaissance, quand nous devons les consacrer à travers un «événementiel» qui traduit la légitimité et l'honnêteté de nos sentiments.
Ainsi, Si Zoubir, «le juste» n'a nul besoin d'une sépulture matérielle, l'image de son visage radieux et l'écho de son cri d'espoir lancé au cours de ses courageuses interventions sont à jamais gravés dans nos cœurs.
K. B.
Cérémonie de recueillement à la mémoire de Zoubir Bouadjadj
Le 14 octobre 2014 est décédé Zoubir Bouadjadj : une année déjà nous sépare de ce triste jour où il est parti rejoindre le Seigneur des cieux et de la terre. En ce jour anniversaire, nous tenons, sa famille, ses proches et ses frères de combat, les moudjahidine et moudjahidate d'Alger et d'ailleurs, à lui rendre un vibrant hommage, à la mesure de ses hautes responsabilités et de ses déterminantes missions, avant et pendant la glorieuse lutte de Libération nationale.
Un rassemblement se fera autour de sa tombe, au cimetière de Sidi-M'hamed, aujourd'hui à 10h du matin. Tous les moudjahidine et moudjahidate, militants, proches et amis du défunt Zoubir Bouadjadj sont conviés à cette cérémonie du souvenir où Fatihet El Kiteb sera lue à sa mémoire. «Allah yarham echouhada.».


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