Au-delà des polémiques en gestation, du grincement de certaines dents ou des cris de joie fusant un peu partout, l'officialisation «partielle » de tamazight telle que formulée par l'avant-projet de la nouvelle Constitution implique surtout des enjeux culturels. C'est dans un climat politique délétère que la question identitaire refait surface aux plus hauts sommets de l'Etat. Tamazight est devenue langue officielle quinze ans après la sanglante répression de 2001 qui a fait 127 morts et l'amendement constitutionnel qui, un an plus tard, a introduit tamazight comme langue nationale. Une consécration d'un long combat pour certains ; une manipulation de plus pour d'autres et la divergence des interprétations est d'autant plus justifiée que cette officialisation maintient clairement le statut inférieur de tamazight par rapport à l'arabe qui demeure «langue officielle de l'Etat». Mais ce qui interpelle le plus dans cet avant-projet est la création d'une Accadémie de tamazight sous la houlette du chef de l'Etat en vue de travailler à l'unification et la standardisation de cette langue. Or, c'est bien là la problématique principale qui caractérise le débat autour des langues berbères : si le vocable «tamazight » symbolise une longue lutte pour que cesse le déni identitaire et que soit enfin tout un pan de l'Histoire de l'Algérie, son statut de langue commune aux Berbères d'Afrique du Nord en général et d'Algérie en particulier, est perçu de manière assez exclusiviste par certains «militants» et par l'Etat central. En effet, l'argument phare du combat berbériste depuis les années 1980 consistant à rappeler l'héritage millénaire partagé par l'ensemble de la population algérienne a fini par intervertir amazighité et langue amazighe mais il se trouve que cette dernière restait à... inventer ! Autrement dit, les similitudes existant indéniablement entre les langues berbères algériennes (kabyle, chaoui, mozabite, tamashaq, chenoui et zénète) se sont très vite transformées en une «preuve» irréfutable de l'unité linguistique qui, elle, servait d'argument bouclier contre les détracteurs arguant de la multiplicité des «dialectes» et de l'absence de représentativité à une échelle nationale. Seulement, cette obsession uniformisatrice va s'avérer plus que dangereuse pour les langues berbères vivantes : le recours machinal aux néologismes et la volonté effrénée d'asseoir tamazight non plus comme un concept identitaire large mais comme une langue à part entière destinée à englober et unifier ce qui sera considéré comme «dialectes», ont conduit notamment depuis 2001 à une transposition pure et dure de la méthode arabiste avec cette différence notable que la langue arabe littéraire existe bel et bien ! Avec le nouveau statut de «langue officielle» et l'insistance des dirigeants sur la nécessité d'accentuer le travail de standardisation à travers la création d'une Académie mise sous le contrôle de l'Etat, le péril menaçant la diversité et la richesse linguistique ainsi que l'ancrage populaire des langues berbères ne fera qu'accroître à mesure que sera refusée à ces dernières leur place légitime dans l'enseignement, l'administration, la recherche universitaire, etc. Qui peut alors nous garantir que cette pseudo- reconnaissance ne se transforme pas avec le temps en une exclusion pure et simple des différents idiomes formant le substrat linguistique berbère algérien ? Depuis 2001, l'on sait que tamazight en tant que «langue» prétendument fédératrice n'est comprise que par une infime catégorie de la société berbérophone. Or, elle est en phase d'être imposée comme l'unique représentation valable de la berbérité de l'Algérie et c'est en cela que consiste le but recherché par les pouvoirs centraux qui, après avoir échoué à écraser tout simplement cette revendication culturelle, pourrait réussir aujourd'hui à la domestiquer et, pis encore, à la dépersonnaliser.