Que de temps perdu, que de crimes — il ne faut pas avoir peur des mots – commis au nom d'une, factice, unité nationale érigée pour brimer toute une partie du pays avant que l'on se rende compte finalement, en haut lieu, que tamazight a droit de cité en tant que composante nationale dans toutes ses dimensions. Ainsi, dans son projet présenté hier par son chef de cabinet, le président de la République propose un enrichissement de l'article 3 de la Constitution en décidant : «Tamazight est également langue nationale et officielle. L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Il est créé une Académie algérienne de la langue amazighe, placée auprès du président de la République. L'Académie qui s'appuie sur les travaux des experts est chargée de réunir les conditions de promotion de tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle.» De quoi couper l'herbe sous les pieds des porteurs de la revendication identitaire depuis des lustres aux irréductibles jeunes militants d'aujourd'hui, pouvait-on penser de prime abord. Que non ! Il faut, en effet, comprendre, si l'on doit se fier aux avis, que la méfiance a toujours cours tant les militants sont rompus aux «tromperies» du pouvoir, comme le soulève d'ailleurs, à partir des Etats-Unis, K. Madjid, un ancien journaliste militant de la cause berbère, qui avertit : «L'officialisation de tamazight est une arnaque. Il faut lire bien l'article 178 !» Tiens, que stipule donc cet article 178 du projet ? Il y est dit : «Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte : (1) au caractère républicain de l'Etat ; (2) à l'ordre démocratique, basé sur le multipartisme ; (3) à l'Islam, en tant que religion de l'Etat ; (4) à l'arabe, comme langue nationale et officielle ; (5) aux libertés fondamentales, aux droits de l'Homme et du citoyen ; (6) à l'intégrité et à l'unité du territoire national ; (7) à l'emblème national et à l'hymne national en tant que symboles de la Révolution et de la République. (8) au fait que le président de la République est rééligible une seule fois.» De quoi susciter l'interrogation, selon l'éloigné interlocuteur qui, comme beaucoup, préfère attendre pour voir de quoi sera fait le processus devant aboutir «réellement» à l'officialisation de tamazight. Face aux peu, voire pas du tout, convaincus, on retrouve des «plus ou moins comblés» à l'instar de A. Lahcène, un autre journaliste, militant de la cause depuis pas loin d'un demi-siècle, lui l'originaire des Ath Yala de la Petite-Kabylie. «Une victoire au goût amer. C'est le premier sentiment ressenti. Après des décennies de luttes et de souffrances, tamazight sera enfin reconnu comme langue nationale et officielle dans son propre territoire. Cependant, cette reconnaissance survient dans une conjoncture politique et économique tout à fait défavorable, le pays est entré dans un processus de crise jumelée, ce qui laisse un gout amer à cette victoire.» Victoire tout de même, mais un mot qu'on n'utilisera pas du côté par exemple d'un des partis politiques nés en partie pour porter la revendication identitaire, comme c'est le cas évidemment du RCD dont le président Mohcine Belabbas a très vite fait de réagir à travers sa page Facebook sur le projet dans sa globalité bien sûr et en particulier sur l'officialisation de tamazight, du moins sa proposition. De ce que le successeur de Saïd Sadi appelle la cohésion de la collectivité nationale, il estime : «Le point portant officialisation de la langue amazighe consacre enfin le combat de plusieurs générations pour une demande légitime et essentielle pour l'harmonie et la crédibilité des paramètres définissant le cadre devant accueillir notre destin collectif. On ne peut pas parler de réconciliation lorsque la première langue d'Afrique du Nord utilisée par des millions de locuteurs est ignorée par la loi fondamentale du pays. Il reste, cependant, à faire de cette avancée une pratique effective qui replace la dimension amazighe, langue, culture et histoire dans la vie publique. A cet égard, la promulgation de la loi organique et les termes dans lesquels elle sera formulée doivent retenir l'attention des citoyens.» C'est en fait l'avis le plus partagé parmi les porteurs de la revendication identitaire, chez lesquels, il faut le dire, on n'accorde que peu, voire très peu, de crédit à un pouvoir que personnifie un homme qui, rappelle-t-on, a ouvertement signifié à une partie de l'Algérie, lors d'un discours qui plus est à Tizi-Ouzou, qu'il était venu «crever (vos) ballons de baudruche. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'on n'a pas la mémoire courte du côté des militants de la cause amazighe».