Par Badreddine Nouioua Les réserves de change se sont élevées à la fin de 2013 à 194 milliards de dollars. C'est le niveau le plus élevé qu'elles ont atteint durant toutes ces dernières années. Depuis, elles ont subi des baisses qui se sont accentuées en 2015 à la suite des déficits enregistrés par la balance des paiements. Ces déficits sont provoqués par la forte chute du prix du baril de pétrole, intervenue à partir du second trimestre de 2014. De 5,88 milliards de dollars en 2014, le déficit de la balance des paiements est passé à 27,54 milliards de dollars en 2015. De ce fait, les réserves de change (or non compris) se sont fortement contractées en tombant à 144,13 milliards de dollars à fin décembre 2015 après avoir été de 179 milliards de dollars à fin décembre 2014. Le prix du pétrole est resté faible et fluctue entre 40 et un peu plus que 50 dollars le baril en 2016, alors qu'il s'est établi à 53 dollars, en moyenne, en 2015 contre 100 dollars en 2014. Il continuera à être faible selon les prévisions malgré une certaine augmentation. La Banque mondiale prévoit qu'il serait de 50,3 dollars en 2017 et atteindrait 57,1, 59,1 et 60,4 dollars le baril en 2018, 2019 et 2020 respectivement. A ces niveaux, la balance des paiements de notre pays continuerait à enregistrer des déficits bien que moins élevés que celui de 2015 et les réserves de change continueraient à diminuer, à moins que les pouvoirs publics prennent les mesures adéquates pour réduire la baisse, l'arrêter ou même inverser la tendance. La Banque mondiale, d'une manière manifestement alarmiste, suppose que les réserves de change seraient de 60 milliards de dollars en 2018. Le Premier ministre indique qu'elles resteraient au niveau de 100 milliards de dollars. En tout état de cause, il est important de préserver les réserves de change pour assurer, durant les années qui viennent, la couverture des besoins de consommation et ceux de production. Théoriquement, il est relativement simple de limiter et même de supprimer le déficit de la balance des paiements et de protéger, par conséquent, les réserves de change. A cet effet, il suffit de réduire les importations et d'augmenter au même temps les exportations. La mise en œuvre de ces mesures dépendra du niveau de développement de l'économie nationale. Pour un pays qui dispose d'une économie diversifiée avec des capacités de production importantes, notamment en matière industrielle, il mettra l'accent sur l'augmentation des exportations. Les capacités de production existantes le permettront. Il donnera moins d'importance par contre à la réduction des importations. Dans la mesure où ses produits sont de qualité et sont compétitifs, il n'aura pas en principe de difficultés pour les exporter, accroître ses recettes et redresser la situation. Par contre, l'application de ces mêmes mesures par un pays comme le nôtre ne sera pas aisée du fait qu'elle dépend largement des importations pour répondre à une grande partie des besoins de consommation de la population et ceux de la production, laquelle requiert des équipements et des intrants. La difficulté est aggravée par l'insuffisance des installations susceptibles de fournir des produits diversifiés à exporter. La négligence, de la part aussi bien du secteur public que du secteur privé, des investissements productifs durant les années passées est à l'origine de la rareté des produits exportables. Cela ne veut pas dire que le pays ne dispose pas de marges de manœuvre pour agir. Bien au contraire, différentes possibilités s'offrent à lui pour rétablir l'équilibre de la balance des paiements et protéger ainsi les réserves de change. L'important est d'intervenir dans un cadre réfléchi et ordonné, c'est-à-dire sur la base d'un programme qui définit les actions à entreprendre, les objectifs à réaliser et les délais nécessaires pour le faire. Outre les mesures destinées à réduire les importations et celles destinées à augmenter les exportations, d'autres opportunités existent soit pour attirer des devises soit pour limiter leur sortie. 1) La réduction des importations : Les importations de biens qui ont connu une augmentation continue les années antérieures ont commencé à baisser à partir de 2015. Elles se sont établies à 52,65 milliards de dollars au cours de cette année, alors qu'elles étaient de 60 milliards de dollars en 2015. La baisse s'est poursuivie au premier semestre de 2016 puisque ces importations de biens ont atteint 24,77 milliards de dollars contre 27,59 milliards de dollars durant le premier semestre de 2015. La baisse des importations de services qui sont passées de 11,70 milliards de dollars à 11 milliards de dollars entre 2014 et 2015 a été plus faible. La balance des paiements étant exprimée en dollars, une part de la réduction des importations en 2015 est due à la dépréciation de l'euro face au dollar au cours de cette année (16,55% en moyenne annuelle). Il reste qu'il est certain que l'application des mesures visant à limiter les importations a donné des résultats. En dehors des biens qui sont nécessaires pour satisfaire les besoins de consommation et ceux de production, des quantités considérables de produits superflus sont importées. Certains de ces produits sont même nuisibles pour la santé et la sécurité de la population, tels que les denrées alimentaires congelés et mal emballés (viande hachée, pâte à pizza, etc.), des pièces de rechange et des équipements ménagers de contrefaçon. Pourquoi continuer à accepter que des légumes secs et des céréales soient importés dans des petits paquets qui reviennent extrêmement cher ? Beaucoup de produits passent par plusieurs intermédiaires avant d'être achetés par nos importateurs qui en plus recourent le plus souvent aux surfacturations. Ces pratiques se traduisent par le gonflement des importations et des sorties de devises. D'où la nécessité de renforcer et d'élargir les mesures destinées à contenir les importations. Ci-après sont indiquées certaines de ces mesures : a) La première action à entreprendre est l'assainissement des services relevant des administrations et des institutions en charge de l'application de ces mesures. Si les responsables et les employés au niveau des ministères du Commerce et de la Santé, des Douanes, des banques agréées, ne sont pas engagés, intègres, vigilants et diligents, rien de valable ne sera fait. Il s'agit d'écarter non seulement ceux qui manquent de probité mais également ceux qui sont complaisants pas incurie ou par incompétence. D'autre part, beaucoup d'importateurs ne sont pas des professionnels mais des affairistes à l'affût d'occasions pour acheter des stocks invendus, les rebuts, et les écouler sur la marché intérieur au prix fort. Une révision du registre du commerce des importateurs mérite d'être faite pour y introduire des conditions plus exigeantes en matière de surface financière, de disponibilité de locaux adaptés et de régularité dans l'activité. En outre, une collaboration plus étroite entre les services des Douanes, des banques et du commerce contribuerait à éliminer les importateurs indésirables. b) Les mesures du ressort de la Banque centrale La Banque centrale a réduit le ratio prudentiel des fonds propres des banques sur leurs engagements au titre du commerce extérieur. Elle a également renforcé les exigences en matière de détermination de la surface financière de l'importateur pour les besoins de domiciliation bancaire. De la sorte, les banques sont tenues de diminuer les crédits accordés pour financer les importations. La Banque centrale a, d'autre part, multiplié les contrôles des opérations de commerce extérieur en procédant à des inspections directement au niveau des agences bancaires. Elle vérifie sur place la qualité du contrôle interne a posteriori exercé par les banques sur les dossiers relatifs à l'exécution des importations. Le rôle des banques en matière de commerce extérieur est important. La Banque centrale ainsi que le ministère des Finances pourraient les inviter à mettre plus de moyens au niveau des services chargés des opérations de cette nature, d'améliorer la formation des agents qui y sont affectés et les inciter à être plus vigilants en ce qui concerne les prix mentionnées, l'origine des marchandises, le statut du fournisseur etc. il s'agit de lutter contre les surfacturations, les fausses importations, l'introduction de produits impropres à la consommation ou dangereux, etc. L'introduction de la pré-domiciliation électronique par la Banque centrale contribue à agir dans ce sens. Elle permet d'identifier les importateurs et de vérifier les importations qu'ils envisagent d'effectuer avant de les orienter vers les agences chargées de l'exécution de ces opérations. c) La mise en place de mesures sévères L'adoption de normes fixées par des pays exigeants comme les Etats-Unis d'Amérique par exemple et leur application d'une manière rigoureuse peuvent être un moyen très efficace pour limiter les importations, éviter l'introduction des produits de contrefaçon, ceux qui sont superflus et de mauvaise qualité. d) L'adoption du système de licences A partir de cette année 2016, l'importation de véhicules, de ciment et de rond à béton est soumise à l'attribution de licences. Ce procédé fixe les contingents et les quantités à importer en les réduisant. Son extension à d'autres produits peut être envisagée, semble-t-il. Elle serait également suivie de l'interdiction d'une longue liste de produits qui ne présentent aucune utilité ou qui sont fabriqués localement. e) La dépréciation ou la dévaluation de la monnaie L'une ou l'autre est souvent utilisée pour limiter les importations. Le renchérissement des prix des produits à importer constitue en principe un frein pour leur importation. C'est la solution qui est régulièrement préconisée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale sans distinction pour rétablir, selon leurs dires, l'équilibre de la balance des paiements. Pour notre pays, elle a été et reste la pire des solutions. Les dévaluations et les dépréciations du dinar effectuées sous l'égide du FMI eu cours des années 1990 n'ont produit aucun des effets positifs qui étaient visés. Elles ont fait perdre à la monnaie nationale toute sa valeur ce qui s'est traduit par l'appauvrissement d'une large partie de la population. Depuis, le dinar est resté, quoi qu'on dise, sous-évalué. Il l'est notamment en comparaison avec les monnaies des deux pays voisins, la Tunisie et le Maroc, dont la situation financière n'est pas meilleure que la nôtre et dont les potentialités sont bien inférieures à celles dont nous disposons. Compte tenu de la situation qui prévaut en Algérie, la dépréciation du dinar se traduit par l'augmentation des prix, avec tous ses inconvénients, des produits à acquérir à l'étranger dont une grande partie est indispensable pour répondre aux besoins de la consommation et de la production comme cela a été déjà mentionné. D'un autre côté, la dépréciation du dinar ne contribue pas à favoriser les exportations hors-hydrocarbures en l'absence ou l'insuffisance de produits diversifiés et de qualité. Etant donné que l'objectif est d'accroître la production intérieure de façon qu'elle se substitue en partie aux importations et qu'elle fournisse des biens à exporter, il sera nécessaire d'augmenter l'importation des équipements et des intrants. Le renchérissement de leurs prix à la suite de la dépréciation risque d'être un obstacle sérieux pour la réalisation de ces objectifs. Tant que le pays n'a pas réussi à développer les activités productives dans différents secteurs, il a besoin d'une monnaie stable pour pouvoir le faire. Outre qu'elle est loin d'être le bon procédé pour instaurer ou restaurer la compétitivité, la manipulation de la monnaie est inopportune à l'heure actuelle à la lumière des différents éléments qui caractérisent l'économie nationale. f) La réforme des subventions Il a été souligné à plusieurs reprises que la politique des subventions telle qu'elle est appliquée provoque non seulement des injustices, mais également de la surconsommation, du gaspillage et de la généralisation de la contrebande. La réforme s'imposait depuis longtemps en vue de lui substituer un système qui cible les tranches de la population les plus défavorisées et renforce le soutien dont elles ont besoin. Il s'agit d'adopter un système qui tend en même temps à mettre en place une politique de juste prix pour introduire plus de rationalité dans la gestion de l'économie. 2) L'encouragement des exportations Les exportations hors-hydrocarbures continuent à stagner. Après avoir enregistré une certaine augmentation en passant de 1,05 milliard de dollars à 1,67 milliard entre 2013 et 2014, elles ont reculé en 2015 pour se situer à 1,48 milliard de dollars. Leur composition n'est pas satisfaisante non plus, elle comporte une part très réduite de produits élaborés. Leur augmentation ne peut intervenir que si l'appareil de production est développé, diversifié et amélioré. Ce qui demandera certainement beaucoup de temps. Pour essayer de diminuer les délais, il faudrait commencer par inviter les entreprises existantes à élargir leur production, à veiller à la qualité des produits et à élever leur taux d'intégration. Il conviendrait en même temps de stimuler les industries d'emballage. Cette activité constitue, lorsqu'elle est bien conçue, un élément important dans l'écoulement des marchandises à l'extérieur. La multiplication de contacts avec les acheteurs étrangers ainsi que l'établissement de relation de correspondance de la part de nos banques nationales avec les banques des pays qui pourraient être d'éventuels débouchés s'imposent également. Ces efforts resteront insuffisants si une action d'envergure n'est pas engagée en faveur des investissements productifs. Une telle action ne peut donner de résultats que si elle est préparée dans le cadre d'un programme qui indique les branches à développer, précise les projets à mettre en œuvre et définit les moyens financiers et matériels nécessaires à leur réalisation. 3) Autres possibilités pour préserver les réserves de change : Parmi ces autres possibilités, il y a lieu de citer notamment : a) Le recours au financement extérieur Ce recours est inévitable. Le fait de retarder l'appel aux crédits extérieurs ne fera que rendre plus difficile leur obtention, au moment où cet appel s'impose. En effet, la détérioration de la situation financière comme conséquence de la persistance prévue de la déprime du prix du pétrole incitera les bailleurs de fonds éventuels à être plus réticents et plus exigeants. Pour que les crédits extérieurs soient un instrument qui sert à préserver les réserves de change et surtout à relancer les activités économiques, il est nécessaire qu'ils soient affectés exclusivement au financement des investissements productifs et aux équipements publics utiles. L'endettement extérieur présente des risques lorsqu'il est mal géré, risques qu'il ne faut pas minimiser. C'est la raison pour laquelle certains recommandent de ne pas y recourir. L'Algérie a connu les difficultés et les conséquences graves qui en résultent au cours des années 1990. Dans un pays où les dirigeants sont corrompus, il arrive que ces derniers détournent les fonds provenant des crédits obtenus à l'étranger de leur objet et les versent directement dans leurs propres comptes ouverts dans les paradis fiscaux. D'autre part, le recours excessif à ces crédits ou leur utilisation pour acquérir des biens de consommation engendre une dette extérieure qu'il sera difficile à rembourser et qui sera une source de problèmes multiples. C'est pourquoi il est important de définir à l'avance les règles, les limites et les conditions de l'endettement extérieur et de veiller à leur respect. Le recours au financement extérieur s'effectuera dans un cadre règlementé, d'une manière modérée et doit faire l'objet d'un suivi et d'un contrôle minutieux pour éviter les errements et les dérapages. Il y a lieu aussi d'examiner, avant toute action, les sources éventuelles de financement pour ne pas se heurter à des refus qui risquent de ternir l'image du pays. A cet égard, il est préférable de faire appel, en premier lieu, aux concours des institutions financières multilatérales dont l'Algérie est membre du fait de sa participation à leur capital. On peut s'adresser également aux pays avec lesquels existent des relations économiques étroites et ainsi qu'aux fonds et banques de développement des pays amis. L'accès au marché financier international semble plus difficile. b) Autres moyens pour attirer les devises Le tourisme et l'investissement direct étranger notamment contribuent à procurer des devises, si les conditions sont réunies pour les attirer. Or, les installations touristiques sont insuffisantes malgré les potentialités énormes dont dispose le pays car mal exploitées. Quant à l'investissement étranger, il se heurte au climat des affaires qui reste peu attractif et aux règles rigides en place qui sont contre-productives. Certains pays ont utilisé l'habitat pour attirer les capitaux de leur population émigrée. Rien n'a été fait par notre pays dans ce domaine. Les possibilités pour obtenir les devises existent et sont nombreuses. Pour en tirer profit, il faut arrêter une politique d'ensemble bien réfléchie et appliquée d'une manière sérieuse et continue. En conclusion, la préservation des réserves de change est essentielle. Mais leur maintien à un niveau relativement élevé n'est pas une fin en soi. Le but recherché est de continuer à disposer des ressources financières nécessaires pour l'importation de biens et de services dont le pays a besoin. Ce qui est visé également et plus particulièrement c'est d'avoir une sorte de garantie à travers l'existence des réserves de change permettant l'accès aux crédits extérieurs. L'affectation utile de ces devises serait leur utilisation pour l'importation plus particulièrement de biens d'équipement et d'intrants destinés à élargir la base de production et de relancer l'activité économique. De la sorte, elles ne serviraient pas uniquement à combler le déficit de la balance des paiements. Car l'objectif principal est celui de continuer à disposer de moyens suffisants pour assurer le développement effectif de l'économie nationale. L'amenuisement des recettes provenant de l'exportation des hydrocarbures, lequel va probablement durer, comme le laissent supposer les prévisions disponibles, ne doit pas conduire à l'adoption d'une politique d'austérité touchant les investissements. Une politique qui se traduit par le gel de projets utiles, la réduction des dépenses budgétaires d'équipement et le ralentissement ou l'arrêt des investissements de la part du secteur privé risque de plonger l'économie dans la récession et de provoquer des problèmes sociaux. Afin d'éviter cette situation qui pourrait entraîner une chute du taux de croissance et une accumulation des retards en matière de développement, des actions d'une autre nature sont à entreprendre. Ces actions visent à lutter contre le gaspillage et les fraudes, à contenir les dépenses budgétaires de fonctionnement et à mieux orienter leur utilisation, à procéder à une réduction sélective des importations visant les produits superflus et ceux introduits en excès. Pour que de telles actions atteignent des résultats probants, il est nécessaire de les associer à une mobilisation de crédits extérieurs destinés exclusivement, comme cela a été déjà souligné, au financement des investissements productifs et des projets d'équipement public prioritaires.