Par Pr Rachid Hanifi, ex-médecin de l'EN de football Notre équipe nationale de football vient d'être éliminée au tournoi de la CAN, et conserve très peu de chances d'être qualifiée au prochain Mondial. A qui incombe la faute ? Doit-on incriminer encore une fois l'entraîneur, alors qu'il n'a eu que quelques semaines de présence à la tête de l'équipe ? Est-ce de la faute des joueurs qui sont confrontés à une instabilité du staff technique ? Enfin, est-ce qu'il est utile d'entrer dans une polémique qui se baserait plus sur un esprit de revanche, plutôt qu'une analyse objective des causes de ce double échec ? Les joueurs composant notre EN actuelle, majoritairement binationaux, ont témoigné leur attachement à l'équipe algérienne et défendu énergiquement ses couleurs, lors de toutes les compétitions auxquelles ils ont été confrontés. Je suis convaincu que personne ne doute de leur volonté de représenter dignement le maillot national, comme l'ont fait leurs prédécesseurs, pour la qualification de notre EN à la Coupe du monde de 1982 en Espagne, puis en 1986 au Mexique. L'équipe actuelle, qui a donné de la joie au peuple, lors de la dernière Coupe du monde au Brésil, sous la direction de Vahid Halilhodzic, a été par la suite positionnée à un niveau surdimensionné, ne lui autorisant plus aucun échec au niveau continental. C'est ainsi que la victoire finale lors de la CAN était une exigence naturelle pour les supporters de notre EN, qui ne pouvaient pas comprendre que des joueurs qui ont bousculé l'ordre footballistique mondial au Brésil pourraient être mis en difficulté au niveau africain. Malheureusement, espérer tenir le même niveau de performance, avec une instabilité du staff technique, telle que nous l'avons vécue ces derniers mois, était une gageure, sauf à attendre le miracle. Aujourd'hui, notre sport roi a besoin d'une évaluation sereine, pour situer les responsabilités et identifier les causes de l'échec, afin d'assurer une meilleure politique de prise en charge de notre représentation aux prochaines compétitions internationales. Certains dirigeants ont tenté d'alimenter un conflit de générations, au lieu de jouer sur un esprit de continuité et de succession, basé sur le respect mutuel et le bénéfice de l'expérience acquise par les aînés. J'ai eu le privilège d'être médecin de l'équipe nationale de la génération des Madjer, Belloumi, Assad, Guendouz, Dahleb et autres, durant toute la phase de préparation, depuis 1979 jusqu'à l'ultime rencontre de qualification, et souhaiterais donc apporter mon témoignage sur le sacrifice et l'engagement des joueurs de cette époque, que certains tentent d'opposer aux acteurs de l'équipe actuelle. Je rappellerai tout de même que la première participation algérienne à un tournoi mondial de football fut l'œuvre de l'équipe nationale des juniors en 1979 à Tokyo, tournoi auquel j'ai eu également la chance d'assister, en qualité de médecin de l'équipe. Cette jeune formation, composée de joueurs talentueux, tels que Yahi, Menad, Bouiche, Chaïb, Sebbar et d'autres avait été confectionnée par le tandem Kermali-Saâdane, jusqu'à la qualification, avant d'être reprise par le duo Rajkov-Saâdane pour la phase finale au Japon au cours de laquelle nos jeunes joueurs avaient réalisé une prestation remarquable. L'équipe nationale des séniors, dirigée alors par Mahieddine Khalef, avait au même moment fourni une performance, qui restera dans les annales de notre football, aux Jeux méditerranéens de Split. Afin de donner toutes ses chances à cette équipe, pour se qualifier au Mondial 1982, les autorités politiques du secteur chargé des sports avaient décidé de renforcer le staff technique par l'apport de Rajkov et Saâdane qui avaient largement contribué à l'avancée de la qualification, avant d'être remplacés par le trio Maouch-Rogov et Saâdane (Rajkov ayant démissionné) que j'avais accompagné au plan médical, avant de me retirer, quelques semaines plus tard, pour des motifs de mésentente avec le technicien soviétique et son médecin. Cette équipe a été reprise au Mondial d'Espagne par le staff composé de R. Mekhloufi, M. Khalef et R. Saâdane qui avaient drivé la première participation algérienne au Mondial sénior, avec une prestation qui avait émerveillé le monde du football, la qualification au second tour ayant été empêchée par un scandaleux arrangement entre les équipes allemande et autrichienne. Plusieurs techniciens étrangers de l'époque avaient affirmé que notre sélection était en mesure d'aller au-delà du second tour, n'était cette honteuse combine germanique. L'équipe de 82 était le fruit d'un travail de formation locale, ayant produit des joueurs de grand talent, dont certains ont marqué le niveau européen (Madjer avec Porto). Cette équipe était renforcée par quelques footballeurs professionnels, largement titulaires dans leurs clubs et dont le seul souci était de servir leur sélection nationale, en se mettant parfois en confrontation avec leurs dirigeants. L'exemple de Mustapha Dahleb, capitaine du PSG,qui avait dit à son président de club «je suis venu vous informer et non demander votre autorisation pour rejoindre l'équipe nationale» ou celui de Abdel Djadaoui, capitaine de Sochaux, qui nous avait rejoint à Khartoum (match contre le Soudan), alors que son club devait jouer une étape importante au niveau européen (ce qui lui avait coûté une sanction financière), sont suffisamment édifiants de l'engagement de nos joueurs émigrés de l'époque pour honorer leur sélection en EN. Cette équipe de 82, qui offrira à notre pays une seconde qualification au Mondial 1986 au Mexique, puis une première (et unique jusqu'à présent) Coupe d'Afrique en 1990, sous la direction d'un staff algérien composé de Abdelhamid Kermali, Ali Fergani et Mourad Abdelouhab, restera une référence pour les générations suivantes. Elle était le résultat d'un travail local, basé sur une politique de formation qui a fini par donner des résultats performants sur plusieurs années : médaille d'or en 1975 avec les Jeux méditerranéens d'Alger, qualification aux championnats du monde juniors de Tokyo 1979, Coupe du monde 1982 en Espagne, Coupe du monde 1986 au Mexique, CAN 1990 à Alger. La génération de footballeurs ayant fait le bonheur de notre équipe nationale, durant cette période, à l'instar de celle qui l'avait précédée, avec les Lalmas, Selmi, Khalem, Hadefi puis Betrouni, Bachi, Draoui et autres, restera donc immortelle et devra être citée en référence pour les suivantes. De même que les entraîneurs nationaux qui ont contribué à l'émergence de ces talents, tels que Mekhloufi, Zouba, Kermali, Maouche, Lemoui, Khalef, Saâdane devraient être régulièrement rappelés et honorés pour la qualité du travail fourni. L'argent que la FAF a pu récolter ces dernières années, grâce au sponsoring suscité par les prestations de notre EN d'une part et à la compétence en matière de gestion et de lobbying du président Raouraoua (il faut le reconnaître), d'autre part, aurait pu et dû servir au développement de notre football national et à la formation de l'élite locale. L'option de facilité, qui consiste à ramener systématiquement le produit de la formation étrangère, aussi bien pour les joueurs que pour les entraîneurs, ne pouvait durer que le temps d'aisance financière que nous autorisait le prix du baril pétrolier. Une telle démarche ne pouvait nous offrir, à long terme, que de l'illusion puis de la déception, en rappelant la triste réalité de médiocrité que vit notre football national, auquel les responsables hiérarchiques ne semblaient accorder que peu d'intérêt. Les joueurs issus des générations 70 à 90 auraient dû bénéficier des moyens nécessaires pour leur formation en qualité d'entraîneurs et de dirigeants. Ils auraient pu ainsi compléter leur expérience de terrain et servir efficacement et durablement la discipline reine, au niveau local. C'était la mission ratée de l'instance fédérale, qui doit être prise comme leçon pour les futurs dirigeants, afin que la politique de notre sport roi puisse respecter le principe fondamental de la pyramide qui veut que le sommet puisse refléter la base.