Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Hormis peut-être les journaux gouvernementaux qui s'intéressent régulièrement au moral du pays, rares sont les fois où il a été possible de lire ou bien d'entendre des personnalités politiques alerter le pouvoir quant à la colère sourde perceptible à travers les réactions de l'opinion. Désarmée face à un système opaque, la grande majorité des Algériens a, en effet, du mal à appréhender la nature du régime et surtout nommer les personnalités qui sont effectivement aux manettes. Face à une véritable invisibilité comparable au cloisonnement chez les sectes, il ne reste, en définitive, que la fantaisie de la spéculation et son versant douteux qu'est la rumeur. Celle qui se pratique d'ailleurs comme un dérivatif, en l'absence d'une solide communication officielle permettant tout au moins à la classe politique d'adopter des postures intellectuelles fondées sur un semblant de vérités émises par le sommet. Il est vrai qu'à partir du moment où, de toutes parts, l'on s'interroge sur la source principale du pouvoir, cela voudra dire que celui-ci est nulle part ! D'où l'hypothèse terrible d'une présidence de la République apocryphe au sens que lui accordent tous les synonymes proposés par les dictionnaires. Nous voici donc gouvernés à partir d'un centre de décision introuvable et que l'on peut qualifier aussi bien de «secret» que «non authentique» ou même «douteux» et, plus grave encore, de «suspect» ! Ce serait, par conséquent, de l'impéritie totale de l'exécutif que souffre à présent l'Etat algérien. Une incapacité chronique ayant favorisé toutes les formes de brigandage mais aussi l'incursion de l'affairisme dans le sanctuaire des servitudes de l'Etat. Or, la convergence des pouvoirs de l'argent et de la politique est devenue telle qu'elle parvient à contester les prérogatives et les préséances protocolaires d'un Premier ministre jusqu'à lui agiter le chiffon rouge du limogeage. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'il faut comprendre la récente passe-d'armes qui opposa Tebboune à l'entrepreneur Haddad. Ce richissime personnage, dont la réputation sulfureuse est prégnante à tous les étages du pouvoir, n'a pas hésité à faire écrire par des scribes qu'il ne reconnaissait d'autorité que celle du président de la République. Une insulte à deux leviers. D'une part, il réfute l'autorité de Tebboune en sa qualité de premier commis de l'Etat et, d'autre part, il laisserait entendre que Bouteflika ne serait pas à l'origine de la nomination de celui-ci ! C'est ainsi qu'après l'affront qu'il fit subir à Sellal en novembre 2016, ne souhaitait-il rien d'autre que de mettre la pression sur son successeur en se faisant «inviter» à un rituel protocolaire qui allait se transformer en coup de colère de la part d'un Premier ministre certainement hostile à cette «proximité» douteuse. Sans doute que son désir de récidiver 7 mois plus tard indique-t-il qu'il commence à perdre ses atouts de prédateur en chef des marchés captifs de l'Etat. Les mises en demeure qu'il aurait reçues à propos des retards dans la réalisation de certains projets faramineux et les récentes révélations quant aux procédures suspectes qui lui ont permis d'engranger avant terme, c'est-à-dire le «service fait», des chèques se chiffrant en milliards tout cela pourrait supposer que les lobbies politiques qui se disputent les zones d'influence en vue de l'échéance de 2019 s'accorderaient sur la possibilité de sanctionner dorénavant l'ensemble des réseaux qui ont siphonné les investissements de l'Etat. L'hypothèse n'est cependant plausible que dans la mesure où de nouveaux signaux, destinés à la classe politique, indiqueraient que le premier cercle agissant au nom de Bouteflika allait se décider, dans un premier temps, de se démarquer de la faune des spéculateurs et autres intermédiaires dans les opérations de ristourne sur contrats. Et par la suite songer à «émanciper» le magistère politique afin qu'il puisse analyser les circuits de l'enrichissement de cette baronnie qui, durant une dizaine d'années, avait censuré violemment le pouvoir d'Etat. Certes, il est difficile d'imaginer que les gens du palais admettent de but en blanc qu'un Haddad doive rendre des comptes au fisc et d'envoyer devant les tribunaux les commanditaires qui lui ont accordé toutes les largesses contractuelles. De même qu'il semble inconcevable, selon les «règles du système», de livrer à la justice des compagnons de route pourtant coupables de forfaitures. Cependant, cette «immunité» dictée uniquement par des serments claniques pourrait bien être levée dès lors qu'il y a soupçon de «trahison» ! Ce serait alors le cas emblématique du syndicaliste jaune nommé Sidi Saïd qui ne s'est pas solidarisé seulement avec l'entrepreneur Haddad tout en gardant un minimum de «quant à soi» afin de paraître sous les traits de «monsieur bons offices». Non, il a fait le choix de récuser lui aussi l'autorité d'un Premier ministre, lui qui, par vieux réflexes, avait l'habitude de s'aligner sur les thèses du pouvoir pour ensuite chercher à en nuancer la rigueur. En décidant de faire étonnamment le contraire, il ne pouvait, pourtant pas, retrouver l'habit du syndicaliste contestataire. Bien au contraire, il prend fait et cause pour un patron au moment où le représentant de l'Etat soupçonne celui-ci d'une somme de délits. Or, un dérapage aussi pitoyable de la part d'un zélé censeur de la contestation syndicaliste peut coûter cher à son auteur. Alors qu'il était parvenu, jusque-là, à demeurer le garde chiourme de la place du 1er-Mai et qu'à ce titre, on lui évita un procès au pénal lors de la carambouille de la banque El-Khalifa, ne risque-t-il pas cette fois-ci d'être privé de son poste de secrétaire général par le biais d'une procédure interne de l'UGTA ? Le scénario impossible à imaginer jusque-là pourrait bien s'écrire et se concrétiser à tout moment. Sauf que sur le thème du putschisme, les ordonnateurs (le pouvoir politique, cette fois) seraient fêtés pour avoir envoyé à la retraite un «syndic de la faillite ! Car à ce titre, il aura incarné à lui seul l'effondrement de la «centrale» historique. Cette université du combat érigée dans le feu de l'action anticoloniale. C'est dire que bien plus qu'un impair, le soutien de Sidi Saïd à Haddad met à nu des connivences cachées qu'entretenaient certaines structures de l'UGTA avec les différents patronats du privé. En effet, comment interpréter autrement ce genre d'alignement politique lorsqu'il est question de syndicalisme d'un côté et d'employeur privé de l'autre ? Autrement dit, de quelle passerelle pouvaient-ils logiquement transiter sinon celle de la transparente négociation ? Or, dans le duo de Sidi Saïd-Haddad, il ne ressort que la possibilité d'un pacte secret. Celui que l'on alimente par le carburant de la corruption et que l'on appelle pudiquement de la «générosité» en partage. Sinon, de quelle contrepartie pouvait se prévaloir Sidi Saïd si ce n'est le verrouillage de la parole ouvrière ? Triste col bleu, désormais défroqué.