Par Boubakeur Hamidechi [email protected] En récupérant l'ensemble des privilèges, dont il en bénéficiait avant de connaître la disgrâce en 2012, Ouyahia n'est-il pas en train de nous donner à «lire» son propre roman politique ? Celui qui l'avait vu émerger à la lumière médiatique sous la présidence de Zeroual puis de s'épanouir aux côtés de Bouteflika jusqu'à manifester parfois des tendances au «cannibalisme» politique afin de trancher certaines hostilités personnelles. Sauf que la récente «reconquista» de la maison RND, dont il se prévaut lors des conférences de presse, est loin d'avoir été l'œuvre de son autorité de leader au point de constituer un marqueur significatif de sa récente émancipation. Bien au contraire, elle est déjà interprétée comme la preuve que cette conquête n'aurait pu aboutir sans le secours des injonctions administratives et pénales émanant des tireurs de ficelles agissant à partir du palais. D'ailleurs, quand il déclame comme une profession de foi sa «fidélité infaillible» au Président et au pouvoir, il ne manifeste en vérité son allégeance qu'à l'actuelle camarilla qui, après l'avoir écarté avec beaucoup d'humiliation en 2013, a changé d'avis à son égard en vue de probables missions. Car il ne fait guère de doute que son retour dans le jeu du pouvoir est d'abord le fruit d'un deal conclu avec les parrains en question l'engageant à prendre part au complot permanent que l'on devine chaque jour un peu plus. Celui, entre autres, de s'inscrire sans conditions dans l'ensemble des démarches relatives à la redoutable traversée du gué à laquelle se prépare le dernier carré du régime de Bouteflika. Ainsi, contrairement à certaines assertions rapportées par la presse, son prétendu succès ne le réhabilite guère dans la mesure où il lui a coûté personnellement un fardeau de compromissions qui finiront bien par le priver, un jour ou l'autre, de la maîtrise de son propre destin. Mais tel qu'il est perçu dans le microcosme de la capitale, il demeure cependant l'archétype du politicien roué et capable de se défaire de son engagement chaque fois qu'il éprouve la nécessité de se replacer. En effet, son aptitude à se couler aisément dans le moule des coteries triomphantes le vaccine justement des fidélités à long terme. Autrement dit, il n'éprouverait aucune gêne intellectuelle à changer de camp afin d'offrir ses services au «mieux disant» qui l'agréerait politiquement. Car tout chez lui s'organise en fonction de sa carrière. Homme de servitude, n'a-t-il pas été maintes fois abject sur des dossiers sensibles dans l'opinion (ponction des salaires en 1996 et chasse aux sorcières des cadres) au point de brouiller sa propre image. Considéré, peut-être à tort, comme un acteur seulement efficace quand la meute du pouvoir le soutient, certains centres de décision ont depuis longtemps commencé à douter de sa capacité à s'imposer comme leader. C'est dire que dans le secret des cabinets noirs, l'on n'évoque le profil du successeur qu'à partir de critères allant dans le sens de «l'esprit du système» : celui que le fameux «complexe militaro-légitimiste» avait forgé au lendemain de l'indépendance. Il est vrai qu'à l'origine, le jeune Ouyahia était apparu comme une bonne pousse politique susceptible de perpétuer celui-ci. Seulement voilà, lors de la seconde partie de son itinéraire, il eut affaire à un parrain peu accommodant et notamment accroché à son pouvoir jusqu'à la paranoïa. Maître des lieux, Bouteflika n'a-t-il pas, en effet, sanctionné toute allusion à l'idée de sa succession jusqu'à démettre en 2007 Ouyahia de son poste de chef de gouvernement à la suite d'un équivoque débat sur le sujet. Or, actuellement il en va, certes, différemment avec une présidence formelle de même que le système, bien qu'inoxydable, a tout simplement changé de méthode et d'approche sur le thème. C'est ainsi que la préoccupation qui mobilise les esprits au sommet de l'Etat consiste à trouver la voie de sortie la moins périlleuse pour l'ensemble de la caste. Or, c'est sur la carte Ouyahia que l'on a décidé de miser. Il semblerait même qu'elle réponde correctement à l'urgence du contexte sans pour autant préjuger d'autres virtualités. Efficace comme un anti-dote pour neutraliser l'agitation du FLN, la mise en lumière de Ouyahia servira ensuite d'atout maître lorsque les évènements exigeront une certaine transparence à commencer par le fameux «qui est qui» susceptible d'incarner la transition. Ce serait donc la validation de son ticket qui aurait été promise à Ouyahia. Une hypothèse qui vaut ce qu'elle vaut mais qui commence à être étayée par quelques indices. Ceux que l'on décèle dans la tonalité des propos de l'impétrant lui-même lorsqu'il cite dans le même éloge et le patronat et l'UGTA et l'armée et la presse et le Parlement... Bref, nul n'a été privé de sa révérence ! Ce serait donc, cette personnalité, peu avare de gages, qui ne verrait pas d'inconvénient à finir sa carrière avec les attributs d'un Président-alibi. C'est-à-dire un chef de l'Etat-lige tout à fait dévoué aux oligarques déjà en place. Ceci expliquant cela, il ne semble pas y avoir une autre raison à cette réhabilitation que soulignent, par ailleurs, les arrhes que constitue cet appareil de propagande qu'est le RND. Une dotation significative dans la mesure où il se retrouve désormais à parité de responsabilité avec le Saâdani du FLN. Appelé à siéger dans le premier cercle que dirigent communément un frère planqué derrière les rideaux et un généralissime soupçonneux, il retrouvera tout de même la compagnie d'un Premier ministre à bout de souffle et surtout cet alter ego du FLN qui commence à lasser par ses excessives polémiques. Patiemment, il attendra son heure. Plus tard, c'est-à-dire bientôt, il aura le droit de caresser l'idée de succéder à celui qui, jadis, refusa d'être un «trois quarts» de Président, quand lui se contentera de n'en exercer que le «petit quart» de cette haute fonction. Cela voudra dire qu'il lui importera peu que son autorité ne soit pas totale pourvu qu'il atteigne le saint graal de son ambition afin que son destin s'accomplisse. Comme quoi, Ouyahia n'est au mieux, qu'un aventurier politique de plus dans le catalogue de ceux qui postulent à la conquête d'un pouvoir quand, de toutes parts, le pays se désintègre.