Par Boubakeur Hamidechi [email protected] De tous les rites du calendrier politique le plus significatif, par son accomplissement, demeure certainement la formation du premier gouvernement, le lendemain d'une présidentielle. Considéré comme le marqueur de la mandature qui vient de s'ouvrir, il est habituellement le thème central de toutes les lectures et la source des commentaires. En effet, l'exercice du pouvoir est toujours tenu de donner du sens à ses engagements à travers d'abord le choix des exécutants dont il a décidé de s'entourer. Et c'est, entre autres, à partir de l'alchimie des rôles qu'il aurait distribués que l'opinion est en mesure de se faire une «première» idée. Mais, ne voilà-t-il pas que par une sorte de torpeur contagieuse celui qui vient d'être rendu public n'a suscité cette fois-ci qu'un intérêt secondaire. Il y aurait, bien plus qu'une seule raison, à l'origine de l'absence de réactions. Loin des conformismes en la matière, la presse s'est contentée de survoler le sujet alors que le personnel politique s'était complu dans l'indifférence ironique. Il y avait donc, dans cette atmosphère, marquée par la lassitude, comme un signe de dissidence muette de la part de la société. D'ailleurs la composition de ce gouvernement pléthorique (34 ministres dont 3 ont le statut de ministre d'Etat) n'a-t-il pas été immédiatement un sujet de dérision ? Là où était attendu, sans trop y croire, que Bouteflika se donnerait au moins la peine de corriger l'effet détestable de son maintien en balayant à grande eau dans son entourage, l'opinion apprend qu'il n'est pas du tout dans cette disposition d'esprit. Celui de déranger un clanisme, érigé en verrou de sûreté, malgré tous les scandales qui lui sont imputés. Il est vrai que grâce à ce 4e mandat il peut se rassurer personnellement qu'aucun sentiment de l'échec ne saurait l'affecter et qu'au pire, il aura marqué de son empreinte le versant sombre de l'histoire de ce pays. Autrement dit, il lui importe peu désormais que l'intendance de l'Etat ne soit pas à la hauteur dès lors qu'il ne se soucie que de son repos. C'est pourquoi le vocable de «stabilité» a été abondamment avancé durant des mois. Car il s'agissait essentiellement de celle du régime et pas un seul instant de l'Algérie. Alors qu'il ne peut ignorer que tous ses efforts, depuis 1999, pour inoculer une synergie gouvernementale se sont soldés par des échecs cuisants et par voie de conséquence des bilans négatifs, l'on peut imaginer ou supposer qu'une autre évidence s'est imposée, au vu de son état de santé. Celle de se placer au-dessus de cette contingence qu'est la gestion de l'Etat en y déléguant cette responsabilité à quelques fidèles. Or, si le fait qu'il s'efface allait de soi, l'on ne sait pas par contre comment s'organisera à l'avenir le pouvoir exécutif alors que les centres de décision se multiplient. Avec deux ministres d'Etat au palais dont l'un est chef de cabinet (Ouyahia et Belkhadem), puis un Premier ministre (Sellal) encadré par un ministre d'Etat chargé de l'intérieur et le chef d'Etat major de l'ANP ; enfin un Saïd Bouteflika en qualité de censeur ; l'on peut dire que l'Etat sera désormais conduit par une myriade de pôles d'influence. Autant de pré-carrés à partir desquels s'imposeront des clientèles ! Est-ce à dire que c'est à partir de cet échiquier que Sellal a composé le gouvernement ? L'hypothèse n'est pas à exclure, du moins au vu du caractère distributif des postes. Un agrégat de personnalités issues de diverses filières apolitiques va faire ses premiers pas dans les arcanes du pouvoir et dont la promotion pourrait être interprétée comme le produit de quelques «recommandations». Même si, par ailleurs, leurs profils attestent de certaines compétences l'on doit également se demander comment sera dirigé ce melting-pot gouvernemental qui risque de tirer à hue et à dia ? Lorsqu'on sait que le seul cadre où les synthèses s'élaborent traditionnellement n'existera plus ou du moins ne sera activé que de temps à autre, l'on peut imaginer tous les chevauchements de prérogatives possibles avec leurs lots de paralysie de l'action de l'Etat. Il s'agit évidemment de l'indépassable Conseil des ministres hebdomadaire dont Bouteflika a souvent fait peu cas avant sa maladie et qu'il ne pourrait plus convoquer régulièrement pour des raisons évidentes. Moins chef de gouvernement, depuis les amendements de la Constitution en novembre 2008, que simple «premier des ministres» celui qui occupe ce poste actuellement est effectivement empêché de présider un Conseil des ministres. Au mieux son intervention se situe dans le cadre exigu du conseil intergouvernemental dont les ordres du jour se limitent à un seul point. Avec, par conséquent, des prérogatives réduites, Sellal n'est pas en mesure d'animer une équipe privée du cadre de concertation et de débat. Aussi malgré la surexposition dont il bénéficie depuis une année à travers la gratifiante fonction qu'il occupe et le zèle excessif qu'a été le sien, l'on peut douter qu'il soit l'homme qui relancera la machine de l'Etat et coordonnera les vecteurs de l'action. Au mieux, pour le compte du palais, il jouera exclusivement au pompier sur tous les fronts. Ce qui s'appelle la prépondérance de l'irrationnelle gestion au jour le jour. Comme quoi, l'après-17 avril n'a pas eu lieu.