Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Devant un pareil désordre au sommet de l'Etat et le caractère rocambolesque des situations qui se répètent, il y a lieu de commencer par s'inquiéter sérieusement sur la validité des mesures qui se prennent au palais. En effet, le constat est clairement établi que ce lieu géométrique du pouvoir est lui-même administré par des mécanismes défectueux. Car, en dehors d'un vague organigramme sésame formel chargé de traduire les directives du président de la République, il existe sûrement une nébuleuse parallèle suffisamment influente pour peser sur les décisions ou, mieux encore, les inspirer et les modifier en aval. Autrement dit, l'Algérie de Bouteflika serait à l'origine d'une innovation, s'agissant des nouvelles modalités de l'exercice du pouvoir. Celui d'un bicéphalisme illustré, depuis deux années au moins, par l'installation d'un réseau de fidèles au cœur des affaires de l'Etat. Cette caution, concédée, entre autres, au frère du Président dans le contexte particulier de la maladie, n'a-t-elle pas fini par se substituer définitivement à la «parole» légale ? C'est par conséquent à travers cette architecture singulière du pouvoir que les décisions s'élaborent depuis des mois. Sauf que les consultations prennent parfois des accents de désaccords entre les intérêts des «sous-clans», qui prospèrent à la marge du noyau dur, jusqu'à provoquer de spectaculaires parasitages dans la communication officielle. C'est ainsi, d'ailleurs, qu'en l'espace d'un mois, il avait fallu «rectifier» par deux fois les messages du premier dirigeant du pays ! Un troublant amateurisme dans le détail que justifie pleinement le concert de lamentations des partis politiques dont certains n'ont pas hésité à interpréter le dernier couac «d'épilogue d'un affrontement clanique» et «d'expression de la débâcle du pouvoir». Comme quoi la presse, à laquelle il était reproché, jusqu'à hier même, son inclination à la littérature journalistique irrévérencieuse, n'est plus seule. Les partis politiques, à leur tour, n'hésitent plus à être excessifs dans la critique. Alors que des journaux et des personnalités politiques servent d'exutoire à leurs déchaînements et d'abcès de fixation permanent, l'on se demande, par contre, pourquoi ces dirigeants, par qui tous ces scandales arrivent, s'intéressent si peu à ce que pensent d'eux la rue, les cafés et les chaumières. Ces paramètres de la popularité ou de son contraire. Pourtant, n'ont-ils pas entendu souvent des cohortes d'Algériens fustiger à haute voix la déliquescence des institutions et même se poser les plus déstabilisantes questions sur les postures de «leur» président ? Mais de qui se moque-t-on en haut lieu ? Se répètent en boucle les petites gens. Car, quand bien même il serait le chef de l'Etat le mieux élu par comparaison aux prédécesseurs, a-t-il pour autant le droit d'ignorer ceux qui l'ont fait prince, disent-elles aussi ? C'est ce jugement fâcheux que l'opinion porte sur un long magistère en train de tourner en une eau de boudin capable d'entraîner dans sa saleté le pays. La gangrène de la corruption, que l'on juge actuellement à la chaîne devant des tribunaux timorés parce que bridés, n'est-elle pas la source de la pollution de cette vocation qu'est la politique ? De plus, il est également significatif de rappeler le fait qu'il se soit maintenu au pouvoir contre vents et marées. D'abord par le viol de la Constitution en 2009, ensuite par la corruption de certaines consciences contraintes d'obtempérer aux chantages. Même lorsqu'il fut rattrapé par la maladie, les lobbies, satellisés autour de sa personne, étaient, une fois encore, parvenus à vaincre sa réticence en argumentant, à son avantage évidemment, qu'une succession ouverte représentait un risque potentiel vers une aventure sans précédent pour l'Algérie. En le projetant dans le destin de l'homme providentiel, capable symboliquement de maintenir à flots l'Etat, les thuriféraires de service caressèrent dans le sens du poil les ressorts intellectuels de cet insatiable amoureux du pouvoir. Cela a eu lieu en 2014. Un peu plus d'un an après, le pays s'apprête à entrer dans l'ère du «mugabisme», du nom de l'indescriptible mégalomane du Zimbabwe ! En dépit des conseils de personnalités politiques désintéressées et au-dessus de tous soupçons s'efforçant de le dissuader dans la poursuite de ce faux mandat, rien ne dit encore que cette hypothèse est envisagée dans son entourage. Alors que l'alerte est donnée au sujet de l'immobilisme de l'Etat et de l'altération de la fonction présidentielle, le clan maintient le cap de la manipulation. Or, en s'enfermant dans le recours à la carotte en direction du personnel politique tout en confortant leur mainmise sur les institutions, ceux qui ne prétendent «modestement» qu'accompagner le chef de l'Etat, aggravent, dans les faits, la perception caricaturale qu'a l'opinion de ce magistère, littéralement, «hors-norme». C'est donc au cœur de ce mortifère statu quo qu'un drame de la cécité politique est en train se nouer et de s'accomplir au détriment de l'Algérie. Celui qui fait accroire à notre César qu'il peut indéfiniment compter sur des prétoriens de la politique pour tenir bon la barre, au moment où ceux-là poussent, dans la discrétion totale, le pays tout entier au désespoir.