Fermée la parenthèse Bob Dylan, mais la surprise est toujours au rendez- vous ! Le prix Nobel de littérature a récompensé, jeudi, l'écrivain britannique d'origine japonaise Kazuo Ishiguro, né en 1954 à Nagasaki, qui succède ainsi au poète, chanteur et musicien américain. Kazuo Ishiguro «a révélé, dans des romans d'une puissante force émotionnelle, l'abîme sous notre illusoire sentiment de confort dans le monde», a commenté la secrétaire perpétuelle de l'Académie suédoise, Sara Danius, au moment de l'annonce rituelle, à la salle de la Bourse à Stockholm. Qualifié de «chef-d'œuvre» par l'Académie suédoise, son roman le plus connu, Les vestiges du jour (1989), porté au cinéma en 1993 par James Ivory avec Anthony Hopkins et Emma Thompson, a été salué par le prestigieux Man Booker Prize. Il évoque le sacrifice de la vie d'un majordome au service de son maître, un aristocrate anglais que ses sympathies nazies laissent ruiné à la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Si on mêle Jane Austen et Kafka, on obtient Kazuo Ishiguro», a ajouté Sara Danius. Kazuo Ishiguro, «c'est le Kubrick de la littérature (...) il invente un monde nouveau à chaque livre, et c'est ce qui fait de lui l'un des auteurs les plus puissants et passionnants de l'époque», a commenté, de son côté, l'éditeur et critique littéraire Florent Georgesco sur la radio France Culture. Ishiguro succède à Bob Dylan dont le sacre l'an dernier avait mécontenté les gardiens du temple Nobel. Les académiciens suédois étaient, ainsi, attendus au tournant par une partie de la critique qui n'avait pas digéré le sacre de l'Américain, premier musicien lauréat du prix créé par l'inventeur suédois Alfred Nobel. Le lauréat 2017 s'est dit «formidablement flatté» de s'être vu décerner le prix Nobel de littérature. «C'est un honneur magnifique, principalement parce que cela signifie que je marche dans les traces des plus grands écrivains de tous les temps, c'est une reconnaissance fantastique», a déclaré à la BBC celui qui est considéré comme un écrivain des illusions et de la mémoire. «Le monde traverse une grande période d'incertitude et je voudrais que l'ensemble des prix Nobel puissent être une force positive dans le monde», a-t-il encore expliqué. Diplômé en philosophie et littérature de l'Université de Kent, Kazuo Ishiguro se rêvait plutôt en chanteur pop à textes comme Bob Dylan, qu'il considère comme son héros. «J'ai même joué de la guitare dans les couloirs du métro parisien en 1975», a-t-il révélé au Figaro littéraire en 2001. Né le 8 novembre 1954 au Japon, à Nagasaki, ville martyre rasée par la bombe atomique le 9 août 1945, trois jours après Hiroshima, Kazuo Ishiguro est arrivé en Grande-Bretagne en 1960 où son père, océanographe, était amené à travailler. Son œuvre littéraire témoigne de cette double culture. Cet auteur discret qui se voyait plutôt en chanteur pop à textes comme Bob Dylan ou Leonard Cohen, passe pour être un des meilleurs stylistes de sa génération, lui dont la langue maternelle, pourtant, n'était pas l'anglais. En 1995, il expliquait être souvent ramené à l'une ou l'autre de ses deux identités. Ses premiers romans situés au Japon étaient davantage perçus comme des reconstitutions historiques que comme des fictions universelles. Il espérait en finir un jour. «Je pensais que si j'écrivais un livre situé en Grande-Bretagne, comme je l'ai fait dans Les vestiges du jour, cela s'estomperait largement, mais parce que les Vestiges du jour fixent la Grande-Bretagne dans un moment particulier de l'Histoire, je me suis heurté aux mêmes écueils», déplorait-il dans un entretien avec l'International Herald Tribune. Kazuo Ishiguro a publié sept romans depuis 1982 : Lumière pâle sur les collines, Un artiste du monde flottant, Les Vestiges du jour, L'Inconsolé», Quand nous étions orphelins, Auprès de moi toujours» et Le Géant enfoui». Il a également signé quatre textes pour la chanteuse de jazz américaine Stacey Kent. Le nom de Kazuo Ishiguro (pour le prix Nobel 2017)) avait été complètement ignoré par les cercles littéraires. «C'est totalement inattendu. Son nom a été avancé pendant longtemps mais pas cette année», a reconnu son éditrice suédoise à la radio publique SR. Son éditeur, Faber & Faber, a également réagi sur Twitter, se disant «ravi que Kazuo Ishiguro ait remporté le prix Nobel». Traduite dans plus de trente langues, son œuvre littéraire incarne la quintessence de la culture britannique, une autre prouesse pour un écrivain d'origine japonaise.