Il est s�rement abusif de mettre sur un m�me plan le battage m�diatique qui entoura le pav� de Hamrouche et le remous diplomatique provoqu� par l'interpellation de la France au sujet de ses crimes coloniaux. Par contre ces deux moments forts furent mati�re � autant de commentaires de presse et suscit�rent un impact r�el dans l'opinion. De l'avenir scrut� par un ex-chef de gouvernement, � l'histoire revisit�e impartialement et avec hauteur par le pr�sident de la R�publique, c'�taient, en quelque sorte, les destins de l'Alg�rie d'en bas qui �taient � l'ordre du jour. Tous les p�kins, ces gens ordinaires vivants ou tr�pass�s, ne pourraient qu'�tre de bons sujets � pol�miques. Encore faut-il que celles-ci s'allument et qu'elles �clairent enfin le pr�sent et le pass� de ce pays. Hamrouche d�livrant des oracles inqui�tants, a certes douch� fra�chement la suffisance de nos gouvernements, mais il attend toujours le contradicteur officiel qui d�mant�lera son argumentaire. � l'inverse, le temps diplomatique, plus court, permet � Paris de �s'�mouvoir� de certaines assertions du pr�sident alg�rien. Ici donc s'arr�te la comparaison entre ces deux moments de v�rit� dont l'un est sciemment occult� par le mutisme m�prisant de nos hauts commis et l'autre vite contest� avec une mauvaise conscience refoul�e. De la c�l�bration du 8 Mai 1945, le pr�sident de la R�publique en a fait une opportunit�, conforme au contexte (le trait� d'amiti� en perspective), pour exprimer le souhait que le travail de m�moire impliquant la France et l'Alg�rie ne devrait plus passer sous silence le caract�re odieux de certaines pratiques coloniales. Les g�nocides de Guelma, S�tif et Kherrata �taient comparables aux autres holocaustes historiques pour m�riter aujourd'hui une repentance. Mais Paris, inconsolable vigie de l'esprit de l'empire, s'en �meut violemment de pareilles similitudes et de certaines allusions et le fit savoir avec une �tonnante c�l�rit�. Ainsi les Alg�riens d'outretombe sacrifi�s par la France d'outre-mer doivent attendre d'autres avocats plus teigneux avant d'acc�der au statut de �justes�, selon la terminologie forg�e par la culture jud�o-chr�tienne. Mais en mati�re de promptitude � r�pondre � ses d�tracteurs de l'int�rieur, le pouvoir manque assur�ment de ressort. L'art de faire le dos rond, quand le vent de la critique souffle sur le pays, est l'une des postures favorites de nos dirigeants. Les diagnostics de Hamrouche ne les ayant pas �pargn�s, il est quand m�me peu probable que le chef du gouvernement r�ponde un jour � ce lointain pr�d�cesseur. Ne l'ayant pas fait au moment o� Ghozali multipliait les interviews et les contributions �crites pour d�noncer le projet de privatisation des hydrocarbures, pourquoi en irait-il autrement avec celui-ci ? M�me si, cette fois-ci, il doit contester un tableau global de l'�chec d'une politique appliqu�e depuis six ans, il ne voudra pas se risquer � un d�bat de fond. Car, en se pla�ant en permanence sur le terrain de l'hostilit� politicienne, il aura tout le loisir de surfer sur les arri�re-pens�es et d'imputer aux critiques leur fonds de commerce exclusivement destin� � assouvir des ambitions. Jusque-l�, le proc�d� ne manquait pas d'efficacit� aupr�s de leurs interlocuteurs et des observateurs qui appr�ciaient les proc�s faits au pouvoir, au mieux, sous l'angle de divergences id�ologiques. Or, avec la derni�re intervention de Hamrouche, nous sommes dans un cas de figure singulier, comme l'a si bien relev� la presse. Cet ancien Premier ministre, dont la carri�re est puissamment marqu�e par le syst�me, est peut-�tre un �hasbeen � mais seulement pour le compte de ses ambitions. Sa connaissance de l'int�rieur des r�seaux du pouvoir et du cheminement des d�cisions fait de lui, par contre, une personnalit� qui n'a rien perdu de sa capacit� � percer toutes les opacit�s. N'a-t-il pas �t� le seul � anticiper sur la vaste manipulation des pr�sidentielles et � d�cr�ter celles-ci de �ferm�es�, en refusant de poser sa candidature ? De surcro�t, les rares fois o� il s'impliqua dans le d�bat national il l'avait fait avec une libert� remarquable. Sans concession mais aussi sans outrance, son �tat des lieux de la R�publique fait froid au dos. En dehors de toute chapelle qui l'aurait mandat�, il nous apprend que �l'avenir est mauvais �, comme on dit. Sans signe id�ologique distinctif et dans un environnement qui n'est pas oblit�r� par un quelconque rendez-vous �lectoral, il exerce un magist�re civique exceptionnellement rare en ces temps de frilosit� politique. Ainsi au discernement tranquille il ajoute un �l�gant d�sint�r�t personnel qui ne rend que plus cr�dibles ses synth�ses. Ses v�rit�s dites en public, il rentre chez lui sans attendre l'ascenseur des privil�ges. Voil� qui jure avec les mœurs du microcosme et dans le m�me temps t�tanise un gouvernement fra�chement install� et que le chef de l'Etat a mis sous haute surveillance. La perplexit�, s'il en existe quelques onces chez les carri�ristes, doit dor�navant ronger cet ex�cutif dont le pr�sident n'est pas enti�rement satisfait et qui d�couvre un impr�cateur sans fil � la patte et � l'analyse pointue. L'�quipage d'Ouyahia s'est, il est vrai, habitu� � subir les avanies des oppositions ponctuelles, mais il les disqualifiait par la d�rision cynique. Il en va autrement avec la f�rocit� des critiques de celui qui ne s'aligne plus dans les courses aux privil�ges et ne fait valoir que son exp�rience au service de l'Etat pour appr�cier � leur juste mesure nos r�gressions et l'�tendue de nos �checs. Bien �videmment il restera au pouvoir � user de la plus fr�quente des d�robades. Celle qui consiste � se payer sur la gestion des �autres� pour justifier les mauvais h�ritages. Cet audit sur le train des r�formes qui a d�raill� selon lui en juin 1991, date de sa d�mission, n'englobe qu'en apparence les 14 ann�es qui suivirent. Par commodit� dialectique il s'y �tait astreint pour donner de la profondeur � son raisonnement bien qu'il sache que la parenth�se HCE-Zeroual �tait un coup d'arr�t objectivement justifi�. En v�rit� il n'a �bilant� stricto sensu que les six ann�es de l'actuel pr�sident, lesquelles ont co�ncid� avec une embellie financi�re due au baril de p�trole. A partir de cette solvabilit� miraculeuse de l'Etat, il tire quelques enseignements et d�cline quelques reproches � propos du d�calage entre l'agitation discursive autour d'une mythique refondation et la persistance, voire l'aggravation des pratiques du non-droit qui a install� durablement le pays dans la calamiteuse d�pendance vis-�-vis de l'�conomie informelle. Parall�lement � cela, le champ politique s'est dangereusement r�tr�ci et les quelques survivances partisanes ghetto�s�es. Ces derni�res ont progressivement cess� d'�tre des lieux de contre-pouvoir o� habituellement s'�labore une r�flexion vivante, imaginative et profitable � la culture civique de l'Etat. D�sormais, ils en sont r�duits � fonctionner comme des p�pini�res du client�lisme : dociles par int�r�t, arides en culture politique et voraces par mim�tisme. Ainsi quand Hamrouche parle g�n�riquement de l'Alg�rie de Don Quichotte ou de Sisyphe il le fait par subtilit� de conf�rencier. Celui qui privil�gie la litote afin de mieux sugg�rer tout en se gardant d'�tre abruptement indicatif. Car ces r�veurs ferraillant contre les moulins � vent ne sont pas les d�cideurs d'en haut mais les fonctionnaires z�l�s qui obtemp�rent � l'injonction. De m�me que les sosies de Sisyphe coltinant tragiquement le rocher de la mis�re survivent au pied de la montagne du pouvoir. Procureur occasionnel, mais procureur �clairant, cet ancien cacique a fait entendre son r�quisitoire au moment o� le d�senchantement a gagn� les �lites jusqu'� faire baisser les bras aux plus impavides d'entre elles. Il a montr� par l'exemple et d�montr� par le raisonnement que l'Etat ne fait pas seulement fausse route mais qu'il emprunte les mauvaises pentes avant l'effondrement. Vertigineux avertissement !