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LES CONFIDENCES D'UN « INTELLECTUEL » EPRIS DU SAVOIR ET DE VERITE
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 25 - 11 - 2010

Je vais essayer de répondre successivement aux compatriotes qui m'ont interpellé dans ce débat à propos du DRS, qui n'était pas l'objet essentiel de mon article publié dans le Quotidien d'Oran en date du 11 octobre 2010, sous le titre : Les confessions politique de l'ex-chef du Gouvernement, Sid Ahmed Ghozali Je réponds en premier lieu à Zineb Azzouz . Je lui dirai que la question de « la preuve » est fondamentale et requise pour confondre tous les criminels, quels qu'ils soient. Or, en Algérie il eut des crimes abominables commis par toutes les parties impliquées dans la tragédie algérienne provoquée par l'interruption brutale et illégale du processus électorale en 1991. Je rappelle pour ceux qui l'auraient oublié que j'ai été l'un des premiers algériens à dénoncer la confiscation des fruits de la victoire du FIS, tout comme j'avais dénoncé avec vigueur les partisans, civils et militaires, de la politique de l' « éradication ». Pour cela je fus longtemps étiqueté » FIS » quand d'autres me collaient l'étiquette de « laïc », de « francophone », et je ne sais trop quoi encore. Mes écrits l'attestent, tout comme mes déclarations aux chaînes européennes de télévision, dont la BBC…
Positions de principes à l'égard du FIS dissous…
Bien que je ne partage point les valeurs, et donc le projet politique du FIS ( République islamique, application intégrale de la charia), j'ai toujours considéré que la répression, l'interdiction, puis la confiscation de la victoire électorale de ce mouvement d'inspiration populiste, était illégale, absurde, injuste et politiquement improductif. Le pire aura été d'assassiner bon nombre de ses militants et d'avoir déporter des milliers d'entre eux vers le grand sud incandescent. Produit conscient ou inconscient de la politique du régime, de Boumediene à Chadli qui, tous deux, avaient fait jouer tantôt les « progressistes »( PAGS ( ex-Parti communiste algérien) contre les Frères Musulmans ( khwandjia, toutes nuances par ailleurs confondues), tantôt ces derniers contre les « progressistes » et leurs « brigades des volontaires » de la Révolution agraire, le FIS qui était né à la faveur de ce clivage politique, religieux, culturel et identitaire s'était révélé à la population et à tous les laissés pour compte comme l'unique mouvement porteur d'espoir et d'affranchissement contre la dictature d'un régime fondé sur le népotisme, la corruption et les passe-droits. Opposé au FLN dont il empruntait certains rhétorique idéologique, mais très proche des Oulémas de Ben Badis et des Frères Musulmans, version Hassan El Banna, le FIS se voulait confusément être à la fois la synthèse du nationalisme algérien et de l'islam d'origine, des premiers temps de l'Islam.
Alors que la Constitution algérienne stipule explicitement qu'il est interdit de reconnaître l'existence d' un parti qui se réclamerait d'une base religieuse ou linguistique, le FIS et le RCD ont été agrées justement sur cette même double considération : religieuse pour le premier, linguistique pour le second. Qui plus est, le premier n'a pas été agrée seulement, mais poussé aux élections municipales et législatives. On connaît la suite désastreuse de cette politique conduite par des apprentis sorciers…Les promesses faites par mon ami Ghozali d' « élections propres et honnêtes » n'ont pas été tenues…
Les crimes réels et les crimes supposés
S'agissant maintenant des « preuves ». Zineb pose cette question : » comme demander aux passagers de la flottille Gaza de prouver qu'il ont été victimes de l'armée israélienne… »? Réponse : ils le peuvent, grâce aux témoignages aux journalistes et aux photographies prises par les satellites. A la différence de Ghaza, c'est que les rescapés de l'hécatombe de Bentalha n'ont pas eu cette chance d'être filmés, et les massacres se sont déroulés dans l'opacité et la confusion la plus totale. Certes, il y a eu des témoignages et même des ouvrages qui ont été écrits sur Bentalha et d'autres lieux où des massacres se sont produits, mais tous ces témoignages restent grevés à la fois d'hypothèques et d'interdits. Certains imputent ces massacres aux islamistes, d'autres aux services de sécurité déguisés en barbus. Mais ce qui ne fait pas de doute, c'est que les deux protagonistes du drame ont eu chacun leurs victimes expiatoires, et nier cette vérité, c'est se faire partial. La question qui se pose est celle-ci : comment et par quels moyens identifier les auteurs de ces crimes, et à quels camps ils appartiennent et quels sont les commanditaires? Vous me dites le général Tawfiq Medienne, je veux bien. Mais comment l'épingler par des preuves tangibles? Il est vrai- et là je suis tout à fait d'accord –pour dire que la loi relative à » la concorde civile » ne permet d'enquêter ni sur les crimes des uns ni sur ceux des autres, et que dans ces conditions, la lumière ne saurait être faite sitôt sur ces évènements tragiques qui continuent encore à endeuiller non pas seulement des milliers de familles, mais marquer encore et de manière profonde, et douloureuse l'imagination de tout un peuple encore assommé et hébété par ce qu'il vient de subir dans sa chair et son âme….
Les promotions indues comme crimes contre la Nation…
Je me tourne maintenant vers mon concitoyen Radjef Said. Il dit à mon propos ceci: » Il est a se demander si on n'est pas comme nous considère Rouadjia un tas d'imbéciles a LQA. De la chair a canons pour ramener Bouteflika a de meilleurs sentiments…Il se trouve que je suis un fouineur, un emmerdeur public comme y en a pas deux…Lors du dernier remaniement ministériel décidé par fakhamatouhou et Tewfik 007, le nom de Rouadjia ne figure pas. C'est un sénateur inculte de la ville de M'sila, spécialiste es qualité dans l'import import qui a été promu au poste de Ministre du tourisme…Selon des sources généralement bien informées, fakhamatouhou et Tewfik 007 doutent des gens qui se proposent au poste de ministre… »
Que répondre? Sinon que jamais il ne me vient à l'esprit de traiter mes compatriotes, surtout ceux à LQA ou ailleurs qui osent exprimer leurs opinions et qui se soucient de l'avenir de leur nation en critiquant ses fossoyeurs, ses tombeurs, que sont ceux qui nous gouvernent et qui nous mènent de suicide en suicide. Pour ce qui concerne le remaniement ministériel opéré par SA MAJESTE le président sous l'œil vigilant de Tewfik, je suis bien honoré de ne pas voir mon nom figurer sur la liste de ces prétendants aux postes de responsabilité…
Exemple concret du triomphe de la médiocrité au détriment de ses contraires
Je suis bien d'accord avec le citoyen Radjef Said pour stigmatiser ces modes de désignation de responsables à la tête des institutions. Ces modes qui obéissent plus à des critères d'allégeance qu'aux critères de compétences relèvent aussi, comme les assassinats, de pratiques délinquantes. Ceux qui les encouragent, ou tolèrent sont des irresponsables complètement oublieux de l'intérêt de leur peuple. Lorsque les choix des hommes portent plus sur les médiocres, les opportunistes, les affairistes et même parfois sur des toqués, des fous, que sur des hommes doués de savoir-faire et de vertus civiques et civiles, l'on se demande sous quelle latitude vivons nous, et à quel âge historique appartenons-nous au juste. L'exemple que j'ai sous les yeux , et qui corrobore parfaitement les dires de Radjef Said, est le suivant : mon ex-recteur de Msila, qui vient d'être relevé de ses fonctions, a été immédiatement récompensé non pour les services rendus à l'université de Msila, mais justement pour le lourd passif et les dégâts qu'il a causés à cette institution durant toute la durée de sa fonction (2004-2010): une gestion scientifique lamentable de l'université; des conflits et des procès en nombre intentés contre les enseignants; licenciement abusifs d'un certain nombre d'entre eux; agressions verbales, voire même physique contre les agents de sécurité et les enseignants qui s'opposaient à son autoritarisme; conflits avec l'ex-wali de Msila et la section locale CNES. Pour son mode de communication avec autrui, il choisissait toujours les termes et les mots les plus inconvenants : « cons », « idiots », « imbéciles » et parfois des mots obscènes qui choquent profondément par leur sonorité la conscience de l'homme tant soit peu éduqué.
Comment qualifier le comportement d'un tel individu? Comment le nommer? De ce que je viens de décrire à propos de la conduite de mon ex-patron, le lecteur pourrait lui facilement trouver l'épithète appropriée…Pourtant, cet homme éjecté par décret de son poste de recteur de Msila, s'est trouvé immédiatement nommer par un autre au Ministère de l'Enseignement Supérieur comme inspecteur général! Le Ministre Haraoubia n'a pas trouvé mieux pour » sauver l'honneur » de son protégé turbulent que de lui sacrifier Ramdane Chaouche, démis de ses fonctions…Par manque de courage et de résolution, Monsieur le Ministre n'avait pas osé signifier directement sa décision de suspension à l'intéressé, mais il avait confié la tâche au secrétaire général pour le faire à sa place!
Quand les sanctions se transforment en récompenses
Renvoyé de l'ANDRU à cause de ses conduites scandaleuses, il fut nommé en 2004 recteur de Msila comme en guise de récompenses de ses bévues, puis démis à nouveau de son poste de recteur de Msila le 14 novembre 2010 non pour avoir susciter une pagaille inextricable au sein de cet établissement, mais seulement pour avoir gêné quelque peu la tutelle qui ne pouvait pas rester sempiternellement sourde aux protestations venant de toutes parts contre les agissements de ce recteur capricieux et coléreux…Pour ne pas lui faire perdre la face et lui permettre de s'éclipser « la tête haute » de l'université de Msila qu'il avait transformée en un lieu de peur et d'insécurité, la tutelle qui lui sait gré de sa gestion plutôt « musclée » que scientifique, lui a décroché ce poste d'inspecteur général du MESRS. Bien que plus symbolique que réelle, cette nouvelle fonction ne lui permet pas moins de crier victoire et de rassurer ses ex-collaborateurs, fidèles et soumis, qui se sentent déjà orphelins, de sa présence à leur côté. Du MESRS, il leur téléphone pour leur dire que le poste qu'il vient d'investir lui permettrait de leur venir à tout moment à la rescousse, et en cas de besoin…Il leur jure même que la « poignée » de ses adversaires, en la personne de Rouadjia, de Youcef Lakhdar Hamina, de Nourreddine Hebiche, de Rabah Zatchi, etc., n'échapperaient pas à sa vigilance, et qu'il les poursuivrait de manière ou d'une autre….
Rouadjia conseiller de Ghozali et défenseur du DRS?
J'en viens maintenant à Monsieur « Liberté« . Ce compatriote trouve à peu près que mes propos sont fades, ennuyeux et pas tout fait fécond. Je respecte son verdict. Pour être fidèle à ses idées, et de ne pas les trahir, je me dois de les reproduire ici . Il énonce d'emblée : »Le débat avec vous, dit-il, n'est pas du tout intéressant. Je préfère qu'on en reste là et vous laisser continuer à soutenir le DRS de Tewfik Mediene et Ghozali dont vous étiez le conseiller lorsqu'il était chef du gouvernement. l'Algérien de 2010 a envie d'entendre un autre son de cloche et avancer. »
D'abord, je n'ai jamais été le conseiller de Ghozali. Certes, j'ai été invité par lui en juin 1992 à discuter la situation algérienne. Alors que je résidais à Paris, je recevais un jour un coup de fil de Leila Asslaoui, alors Ministère de la Jeunesse et des Sports, me disant que M. Ghozali souhaiterait me rencontrer et que si j'étais d'accord, elle m'enverrait immédiatement un billet d'avion. Je lui ai répondu que j'ai besoin de réflexion avant de me décider, car j'avais en ce moment un programme chargé ( colloques et invitations à me rendre à des séminaires internationaux). Mais comme j'ai été fort préoccupé par la situation du pays que j'avais à cœur, je me suis résolu quelques jours plus tard à accepter l'invitation. Arrivé à Alger début juin 1992, les discussions se poursuivent avec lui pratiquement tous les jours et portaient essentiellement sur le chapitre « sécuritaire » et sur les moyens de conjurer la menace terroriste. Sa manière de traiter la question « islamiste », celle du FIS dissous, et sa vision globale de gérer la crise que le régime avait suscitée, était en totale opposition avec la mienne. Moi je plaidais en faveur d'une solution politique intelligente, apaisée, et négociée avec le FIS, même dissous, afin de ramener progressivement les choses à la normale et éviter des dérapages que l'Etat ne pourrait plus contrôler. Lui,il oscillait entre plusieurs options contradictoires mais sous lesquelles se trahissait une force qui transcendait sa propre volonté. Derrière lui, il y avait des Décideurs invisibles, qui semblaient lui édicter une ligne de conduite qu'il ne pouvait transgresser sans déchoir…
La passion brûlante de la recherche et de la quête de la vérité
Pendant toute la durée de mon séjour, il s'était instauré entre nous une sorte d'échanges « de sourds », et tous les deux, nous nagions dans « un flou artistique » total tant il régnait sur le Palais du Gouvernement une atmosphère lourde d'incertitudes et d'angoisses. Tout en étant en désaccord total avec sa démarche politique face à la crise, je m'efforçais de faire prolonger mon séjour à l'Hôtel Saint Georges ( Hôtel El Djazaïr) car je voulais pour des raisons strictement scientifiques accueillir le maximum d'informations qui pourraient me servir d'un canevas pour produire un second ouvrage sur le mouvement islamiste après celui que j'ai publié sur la genèse de ce mouvement sous le célèbre titre : les Frères et la mosquée. Une enquête sur le mouvement islamiste en Algérie, Paris, Karthala, 1990. Ouvrage qui a eu une belle fortune, et qui fut bien apprécié aussi bien par les spécialistes et les universitaires occidentaux que par certains généraux algériens qui savent bien lire…Le feu général Larbi Belkheir que j'ai croisé au Palais du Gouvernement à plusieurs reprises, m'avait gratifié de quelques compléments et « bravo », tandis que les feux Belkaïd et Djilali Liabès avaient tous deux salué ce livre comme étant un travail pionnier sur la genèse de l'islamisme algérien…Quant Abbassi Madani, le leader du FIS, avait tout bonnement recommandé à Ghazi Hidouci, l'ex-ministre des Finances du Gouvernement Hamrouche de lire attentivement ce livre » objectif qui vous aident à mieux saisir la composante islamiste, son émergence et sa montée en flèche »( Propos que m'a rapportés Hidouci lui-même en 1995). Cet ouvrage fait paradoxalement l'unanimité des extrêmes. Les universitaires américains (J. Entelis, Dale F. Eickelman, …), et les militaires américains du Pentagone qui conseillent à leurs officiers supérieurs en Afghanistan de lire ce livre comme guide…En Europe, les chercheurs et les étudiants le lisent et le citent en référence dans leurs bibliographies de thèses. Les chercheurs et les savants le citent, souvent avec faveur ( J. Berque et Eric Rouleau l'ont abondamment cité dans le Monde Diplomatique) et d'autres dans leur ouvrages et compte rendus ( Les professeurs Pierre Bourdieu, Rémy Leveau, Olivier Roy, Gilles Kepel, André Nouschi, G. Meynier, Benjamin Stora…) De jeunes chercheurs s'en sont servi pour faire leurs thèses et ouvrages ( Séverine Labat, Miriam Vergès, etc.)
Mon ouvrage interdit de diffusion….
Mais peu connaissent ce livre en Algérie. Même les universitaires qui se targuent de connaître tout ce qui se produit sur l'Algérie, ne l'ont pas lu. Certains politiques et même militaires sont parfois bien plus curieux et mieux informés qu'eux, surtout les gens du DRS! Le jornaliste Hmida Ayachi était le premier à le faire connaître avant même d'être réédité en Algérie par Bouchène, en 1992. Ce livre fut frappé d'interdiction et retiré de la vente en 1992 sur ordre du dogmatique Belaid Abdesselam. Comme ses « flics » ne savaient pas lire en filigrane ni l'arabe ni le français, ils avaient cru que mon livre faisait l'apologie de l'islamisme. Mais après plusieurs relectures bien laborieuses, ils découvrirent que c'était un ouvrage d'histoire et de sociologie politique fondé sur des données concrètes, et non sur des données idéologiques partisanes. Finalement, il fut autorisé à la revente sur le marché. Les dix mille exemplaires fabriqués en Algérie, d'après Bouchène lui-même, furent vendus avant son exil en Tunisie en 1994, et de là, vers France…
L'ombre de Jacques Vergès, avocat du FIS, plane sur le Palais du Gouvernement
Revenons maintenant à » ROUADJIA, ex-conseiller de GHOZALI ». Les 28 et 29 juin, je croise par deux fois, « l'avocat de la Terreur », Maître Jacques Vergès à l'hôtel Saint Georges. Le 29, je l'interpelle : « Que faites vous, ici, Maître Jacques? »-pour défendre le FIS, me dit-il, d'un air narquois.- Bon, c'est bien, c'est votre métier de défendre quiconque vous sollicite en ce sens, lui dis-je, gentiment. On se sépare. Dans l'après midi, me voici au palais du Gouvernement. Dans le feu de la discussion, le nom de Vergès m'échappe de la bouche. Ghozali fit une grimace, puis un mouvement brusque d'épaules : que vient-il faire ici? Me dit-il presque surpris.- Pour défendre le FIS, lui dis-je. -ah! Il faut que vous me preniez rapidement RDV avec lui!-Ok, mais je n'ai pas son numéro. Essayez de le contacter vous-même par vos services administratifs….
Je retourne à mon « domicile » en fin d'après midi, et j'entrevois Ahmed Mezrag en train de parlementer avec un groupe d'amis; j'en ai déduit qu'il devait rencontrer dans la soirée même J. Vergès….
Entrevu avec Jean Audibert, ambassadeur de France à Alger…
Quelques jours plutôt, je reçois un coup de fil d'un collègue, Gilbert Grandguillaume, alors attaché culturel à l'ambassade de France, et avec lequel j'ai collaboré de manière épisodique à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales sur l'anthropologie du monde arabe et islamique. C'est un chercheur sérieux, intègre et honnête. Il aimait l'Algérie comme beaucoup de ses compatriotes. Il me dit que Jean Audibert, alors ambassadeur de France à Alger, souhaiterait me rencontrer. J'ai accepté le principe, et me voilà accueilli par lui à la chancellerie. Audibert était un homme chaleureux, cultivé, élégant et subtile:un fin politique. Il savait marié à merveille la modestie avec l'intelligence et le maintient distingué, trait qui sied aux grands hommes.
On parle de la crise algérienne. Il sollicite mon avis d' « expert ». Il était autant inquiet, sinon plus que Ghozali lui-même quant à l'issue de la crise. Au lieu de le rasséréner, je lui ai dressé sans faire exprès une perspective sombre de la situation telle que je la voyais. Je lui ai dit en ces termes : » La situation porte tous les signes d'une crise grave. Les parties en présence, les protagonistes de la scène algérienne, se raidissent et se préparent à un affrontement, à une guerre sans merci. Si l'on continue sur ce mode de gestion « musclée » de la crise, on pourrait cheminer à coup sûr vers le pire…Et le pire est à venir…Le gouvernement ne peut revenir sur ses décisions essentielles, et les islamistes radicaux, et même modérés, n'accepteront pas d'abdiquer. Ils se considèrent comme lésés dans leur droit, violés et violentés par l'Etat. On est, dans l'impasse. Les haines et les rancoeurs mutuelles sont telles, les passions sont si fortes que la tendance à la confrontation me paraît irréversible. Et qu'en pensez-vous, Monsieur l'ambassadeur? »
-Je pense que vos analyses ne sont pas loin de la réalité. Mais que faire donc, à votre avis?
-C'est de dire à Monsieur Français Mitterrand de ne pas trop interférer dans les affaires algériennes, car en tant qu'ex-Ministre de l'Intérieur de « l'Algérie française » chargé de la répression du soulèvement populaire, il est mal indiqué pour dire aujourd'hui aux Algériens ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire…
-Mais, mon cher, me dit-il, tout cela est vrai, mais il y a urgence…Que pourrions nous faire?
Audibert qui était PS, mais qui faisait partie de la minorité opposée à la politique de Mitterrand, aimait vraiment l'Algérie et voulait l'aider en ce moment de crise, mais il ne savait comment. Il était aussi « largué » que Ghozali et son successeur Belaid Abdesselam….La complexité de la situation se prêtait à aucune analyse rationnelle, et le petit diplomate de taille qu'il était, mais grand de tête, faisait peine à le voir s'agiter d'un mouvement nerveux accompagné de gestes de mains saccadés…
Et à la question « Que pourrions-nous faire? » je lui ai répondu tout simplement : « il faut attendre et voir ». Sur ce, on s'est quittés avant de nous revoir après l'assassinat de Boudiaf, au Club des Pins avec les membres du gouvernement, dont Liabes et Benbitour, entre autres….
Ghozali, Vergès et moi à Saint Georges
Le 30 juin 1992 donc, j'arrive au rendez-vous que j'ai fixé à M. Ghozali à Saint Georges. On prend une table pour le petit déjeuner en attendant que Vergès se pointe à l'horizon. Ponctuel et réglé comme une horloge quand ça lui prend, Vergès arrive cinq minutes avant l'heure fixée. Il est accompagné de sa fille Myriam, fille de Djamila Bouhired. On déjeune, on échange des propos de convenance, puis on passe à l'essentiel : Ghozali tente de convaincre Vergès de l'inanité de sa démarche consistant à défendre le FIS. Retors, et narquois, il écoute et sourit avec ses yeux bridés d'homme énigmatique. Tout son regard, ses gestes, ses tics, disent le mystère de l'Orient asiatique. Ses propos sont toujours percutants, acérés et précises comme les flèches d'Achille. Esprit vif, il n'est jamais à bout d'arguments. Il a la répartie facile. Ghozali est presque désarçonné par les réponses malicieuses de son interlocuteur. Myriam et moi, nous écoutions sans proférer un seul traître mot…C'était, pour ma part, un choix délibéré que de me taire…pour mieux apprendre les formes phénoménales de la pensée et les labyrinthes que celle-ci emprunte…
Mais tout à coup, la conversation est brutalement interrompue lorsque deux agents de l'Hôtel vinrent annoncer à M. Ghozali l'assassinat du président Boudiaf! Ce dernier se leva brusquement et s'en alla d'un pas rapide, sans dire adieu….Vergès et sa fille s'en allèrent eux aussi, et je suis resté cloué à ma chaise, comme prostré par la nouvelle. Je tournai en rond comme un homme assommé par quelque coup de massue…Lorsque je suis revenu à moi-même, après un long moment, je me suis dit en aparté : ce que j'avais pressenti, et ce que j'avais dit à Audibert quelques jours plutôt, vient de trouver sa confirmation…C'était une prédiction lugubre, mais qui ne dépendait pas de ma volonté…
Belaid Abdesselam et moi : deux mondes aux antipodes
Une semaine environ après que Ghozali était remplacé par Belaid Abdesselam, je m'étais longuement entretenu avec ce dernier par l'entremise de Ghozali, et à la demande des deux hommes. Sur ces entrefaites, je me rendais au Palais, et je trouvais Abdesselam qui m'attendait dans son bureau, lourdement calé dans son fauteuil:
-Bonjour Monsieur le chef du Gouvernement, lui dis-je, d'emblée, et d'une voix distincte.
-Bonjour, me dit-il.
Après quelques instants de silence et d'hésitations de part et d'autre, on échange d'abord des propos banals comme pour faire du remplissage en attente de trouver, ensuite, l'angle d'attaque. Abdesselam était ramassé sur lui-même, un peu crispé, et paraissait fort soucieux. Mais lorsqu'il se mettait à parler, sa voix prenait le ton d' « importance », et affectait l'allure d'un mandarin chinois ou celle d'un professeur du Collège de France pontifiant du haut de sa chaire…
-Comment voyez-vous la situation? Me dit-il.
-Mal. Elle s'empire, j'ai l'impression, lui répondis-je.
-Comment faire pour revenir à la normale?
-C'est trop tard, les dégâts sont faits. Ils se sont aggravés avec l'assassinat du président…
-Qu'est-ce qu'il faut faire, selon vous?
-C'est de trouver une formule politique fondée sur la négociation, les concessions. L'option militaire n'est pas la bonne.
-Alors? Les islamistes…le terrorisme…
-On aurait pu éviter tout cela si l'Etat n'avait pas contribué à son émergence, puis à sa croissance exponentielle…L'unique solution possible pour ramener la paix civile, c'est de négocier avec les adversaires avant qu'il ne soit trop tard…Une fois la paix revenue grâce à la négociation dont il faudrait trouver la formule la mieux adaptée, on devrait mettre la jeunesse perdue et désoeuvrée au travail…Le travail donne aux gens un repère, un sens à leur vie…Ils n'auraient pas le sentiment d'être les oubliés, les sacrifiés sur l'autel de la mauvaise répartition de la richesse nationale…
-Que pensez-vous si on rouvrait les portes des mosquées aux islamistes? Peut-être qu'ils vont se calmer?
Devant cette suggestion, je suis resté stupéfait. Je ne savais pas s'il plaisantait ou s'il le pensait sérieusement. Ma réponse était la suivante:
-Mais Monsieur le chef du Gouvernement, vous savez très bien que c'est à partir des mosquées transformées en tribunes politiques, et en prêches enflammées contre l'Etat qui les a enfantés, que les islamistes sont partis à la conquête du pouvoir? J'ai bien étudié la genèse de leur naissance et de leur croissance, bien avant 1988. Avez-vous jeté un coup d'œil sur mon ouvrage qui retrace la trajectoire de l'islamisme algérien, version algéro- orientale?
-Je ne me rappelle pas…mais la parade…maintenant…nous devrions assumer…comment s'y prendre?…Vous dites que c'est trop tard, il y a peut-être l'option sécuritaire…
-Peut-être. Mais, moi, je pense que celle-ci n'est pas la meilleure…L'éradication, tout cela ne résout pas les problèmes de fond, qui risquent à tout moment de ressurgir en s'aggravant encore plus… Mais d'abord, va-t-on éradiquer combien de personnes pour ramener la paix civile? Mais elles sont nombreuses les personnes à éradiquer…les chômeurs non islamistes, les mécontents, les buveurs invétérés tout comme les pieux débonnaires et ordinaires pourraient devenir terroristes malgré eux et rejoindre les maquis… La peur et l'insécurité matérielle et physique suscitent des vocations terroristes. On ne naît pas terroriste, mais on le devient par la force des choses, sous la pression et les contraintes…L'injustice en est le moteur, l'impulsion initiale, la force motrice de la violence dans l'histoire. Comme dans les lois de la mécanique, l'action induit une réaction inverse…
-Sur le plan économique, on pourrait peut-être redresser la situation politique…ramener les choses à la normale…
-On aurait dû songer à l'économique avant que ne se produisent les détonations qui nous explosent maintenant à la figure, telles des mines souterraines. Nous avons un espace géographique étendu, avec des terres généreuses, dont certaines recèlent, non pas seulement le pétrole, mais des produits précieux de la terre. Nous avons par exemple le Sahara où existent des terres fertiles et de l'eau. On aurait pu faire comme les Juifs, créer dans les années 70-80 des sortes de « Kibboutz » pour transformer, même les dunes de sable, en terres productives, comme l'ont fait les sionistes dans les déserts de Palestine. Susciter des vocations chez les jeunes, créer chez eux l'esprit d'initiative, de coopération, d'entraide, l'idée de l'aventure et de la mobilité ( à la manière israélienne ou américaine), voilà qui aurait pu être un beau projet pour la jeunesse des villes saturées démographiquement et frappées de plein fouet par le chômage et la crise du logement…Mais cette idée n'a jamais été, il est vrai, inscrite dans l'agenda ou la « feuille de route » pour employer cette expression devenue à la page, de nos dirigeants…
-ah! Bonne idée. Seulement il ne faut pas dire ou employer le mot « kibboutz »…sinon l'idée est intéressante, mais kibboutz…
Par « mais kibboutz… « , il voulait dire probablement : » ménager les oreilles susceptibles » ou allergiques au nom de « Juif », comme si ce nom était un « tabou » un sacrilège, qui ne devait pas tenir lieu de point de comparaison au risque de profaner le nationalisme algérien, l'islam, et je ne sais quel honneur national…
Suite à cet entretien, je ne suis plus retourné voir Belaïd Abdesselam dont l'approche politique, la pensée même, étaient tellement faites d'étroitesse et de rigidité, de cécité politique et de prétentions ignorantes qu'elles m'avaient ôté le désir de collaborer avec un gouvernement à la dérive. En fait, le personnage était façonné dans le moule du FLN et ne voyait les choses qu'à travers le prisme de l'idéologie ossifiée. Dogmatique, populiste avec un brin de jacobinisme d'emprunt, il substituait à la raison politique « la force » comme l'unique agent de gouvernance. Voilà pourquoi, je m'étais vite démarqué et de Sid Ahmed Ghozali et de Belaid Abdesselam. Sauf qu'avec le premier j'ai toujours gardé de bons contacts amicaux sans épouser nullement toutes ses thèses et ses anti-thèses. Plus souple d'esprit qu'Abdesselam, et bien moins hautain que lui, Ghozali se prête à l'écoute et à la discussion…
De l'assassinat de Boudiaf à mon retour bredouille à Paris
Quelques jours après l'assassinat de Boudiaf, j'ai repris ma valise et je suis retourné à Paris avec l'intention de ne plus y revenir….Et pour l'anecdote, lorsque je suis monté récupérer ma valise de la chambre d'hôtel avant de gagner l'aéroport, j'ai appris que des agents de sécurité non identifiés ( Sécurité Militaire ?) s'étaient introduit dans ma chambre pour fouiller ma valise et voir si je n'avais pas dérobé des « secrets d'Etat ». La valise contenait en fait mes effets vestimentaires et une pille de coupures de journaux nationaux ( Liberté, El Watan, La Nation, Le Jeune indépendant…). Je voulais faire état de cette effraction à Lakhdar Brahimi, alors Ministre des Affaires Etrangères, et seulement comme en passant, mais je m'étais abstenu in extremis, me disant que peut-être lui-même n'aurait pas échappé, mais à son insu, à ce type de fouilles « indiscrètes » de la part de certains Services en quête de découverte d'éventuels « complots » contre l'Etat….
Le DRS, ses « bêtes noires » et les moyens de le « dissoudre ».
Je quitte maintenant le terrain de mon récit « politique » pour me transporter sur celui des forces de sécurité. Puisque bon nombre d'intervenants s'adressent directement à moi en me pressant de répondre à leurs interrogations lancinantes que suscitent en eux ce « casse-tête » qui est le DRS ( Département de Recherche et Sécurité, ex-SM) rattaché directement au Ministère de la Défense Nationale. Commençons d'abord par le citoyen Djamel B Qui m'interpelle directement ainsi : »Une seule question: est-il possible d'enquêter sur le DRS ? ». Ensuite, c'est le compatriote « Liberté » qui m'écrit en disant »Je reviens de nouveau vers vous pour vous signaler que le DRS à sa tête le général Tewfik Mediene est une organisation terroriste et criminelle qui fait HONTE à nous Algériens et à l'Algérie entière. Est ce que vous savez que le chef du GIA,du GSPC,de l'AQMI est le général Tewfik Mediene. Le FIS a été dissous par le DRS ex SM, le peuple Algérien demande maintenant la dissolution du DRS. Mr ROUADJIA seriez-vous d'accord pour l'organisation d'un référendum sur la dissolution du DRS? et je vous repose la même question que Djamel B: Est-ce possible d'enquêter sur le DRS? ». Il y a, enfin, le compatriote « Bladi » qui enchaîne en ce sens, disant: » Bonsoir Mr Rouadjia, J'ai écrit tout un commentaire hier soir, mais j'ai décidé de l'effacer, car je n'arrive pas à comprendre ou vous voulez arriver avec vos questions. Pourtant il est très simple pour vous de répondre à ces mêmes questions sans aller très loin, il vous faut juste observer le microcosme qui est l'université de Msila qui est a l'image de L'Algérie spoliée. Toutes les réponses sont là devant vous. Allez voir les responsables aux faux diplômes demander leur qui les a mis a ces postes ? ».
Je termine enfin la reprise de mes citations avec » Larbi Anti-DRS« , qui ironise sur ma phrase de conclusion à l'article sur les Confessions de l'ex-chef du gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, et selon laquelle : « tant que mes lecteurs ne me persuadent pas de mes errements, je resterai « DRS !!! ». Et Larbi Anti-DRS d'égrener ses griefs envers moi, disant : »Je parle pour moi-même lorsque je dit, je ne suis pas un de vos lecteurs. Je ne lit pas vos écrit dans les journaux Algérien, j'ai entendu parler de vos problèmes et je suis uniquement solidaire avec ce qui vous arrive avec le dictateur de l'université ou vous avez un poste. Je réagis ici sur LQA a certaines de vos idées que je juge non adéquates avec la réalité. C'est tout.
La réponse a ton questionnaire sur le DRS c'est la dissolution pur et simple du DRS, serai une des meilleures solutions. Le remplacement du DRS avec une structure saine et contrôlable est souhaitable. Juger les criminels du DRS ayant commis des crimes contre l'humanité est une nécessité. La liste des crimes existe, la liste des criminels existe. La Charte de la réconciliation qui leur garantie la paix a ces assassins, tout en incriminant les victimes voulant avoir justice existe aussi, cette charte elle-même est une très bonne réponse a toutes tes questions qui le ne sont pas… »
Vos questions et mes réponses
Si je ne suis ni l'Oracle de Delphes de la mythologie grecque, ni « Madame Soleil » pour vous donner des réponses ou des recettes efficaces pour changer le mal en bien et remettre le droit et la justice à l'endroit, je pourrai tout au moins suggérer des solutions sages, mesurées et réalistes : Ce n'est pas le DRS en tant qu'institution qui pose problème, mais c'est la culture et les mentalités qui structurent les perceptions, les représentations, les mœurs et les valeurs éthiques et morales de l'ensemble de la société algérienne, civile et politique. Or, Le DRS en tant que corps puise l'inspiration de sa représentation de « l'ordre » d'une mentalité tributaire de « la culture sociale » et des pratiques politiques fondées sur le « secret », et les codes d' « honneur », lesquels renvoient à la volonté de puissance et de domination des plus forts sur les plus faibles. La représentation patriarcale du monde se fonde sur l'ordre et l'obéissance : l'obéissance des « pauvres » et des « faibles » par rapport aux potentats et aux riches; obéissance des cadets vis-à-vis des aînés; obéissance des femmes aux hommes, etc. Or, cette mentalité qui procède de la culture et de l'histoire de la société civile se transporte et se transpose dans l'ordre politique. Nos politiques, tout comme nos chefs militaires, sont fortement imprégnés par cette culture patriarcale héritée du passé archaïque, et qui exclut par sa nature même, la douceur des mœurs et les pratiques politiques fondées sur la civilité et la délibération.
Faut-il « enquêter sur le DRS »?
Cette question est posée par bon nombre de mes lecteurs. Elle est récurrente. Mais, d'abord, je tourne la question en disant : qui va enquêter? Si enquête il y aurait, elle relèverait du seul ressort de l'Etat, dont le DRS n'en est qu'un des instruments. Dire « procéder à des enquêtes sur le DRS », c'est supposer que « tout »le DRS, tous ses membres constitutifs ont les mains maculés du sang. C'est faux. S'il ne faut pas nier que certains de ses membres aient pu commettre certains crimes sous l'effet de la peur, de la passion et de la haine de « l'islamiste »; et s'il ne faut pas éluder le fait que dans toutes les périodes de l'histoire marquées de tension, de confusion et de guerre civile,il se produit toujours des dérapages dangereux qui échappent au contrôle de l'Etat, légitime ou illégitime, il ne s'ensuit pas logiquement que tout le DRS, en tant que corps constitué, ait été trempé dans les crimes qu'on lui impute sans discernement.
Le DRS devrait-il faire partie des enquêteurs?
L'enquête que je suggère, sur les crimes commis par toutes les parties impliquées dans les affrontements durant la décennie noire, ne pourrait pas se passer du concours du DRS. L'exclure, c'est le mettre sur la sellette, le braquer. En le braquant, il prendra peur et sortira ses griffes. L'instinct de survie le poussera à se défendre vaille que vaille, ce qui nous mènera encore vers la division, la haine mortelle, le désordre et la guerre civile, perspectives sombres qu'il faut éviter à tout prix. Pour réhabiliter son image ternie, et tourner définitivement la page de cette période sombre de notre histoire, le DRS n'a d'autres choix que de faire sa propre introspection, de diligenter des enquêtes sur lui-même, sur les erreurs et les crimes que certains de ses éléments auraient pu commettre… Pour être complète, définitive et irréversible, la « concorde nationale » proposée et imposée ne pourrait pas réussir son pari en faisant l'impasse sur les véritables dessous de la décennie noire qui continue encore de hanter l'imaginaire social. La réconciliation nationale resterait fragile et bancale si elle ne rendait pas à chacun son du, et ne levait pas le voile sur la part de la vérité et de l'ombre de cette période de lutte fratricide. Penser que l'amnistie décrétée pourrait conduire à l'oubli, à l'amnésie, c'est faire preuve d'une vision à courte vue. C'est faire plutôt du rafistolage que de l'art politique de bien gouverné. Ce bricolage ne nous nous permet pas de parvenir à instaurer la confiance entre nous, confiance que les peurs et les défiances mutuelles accumulées rendent quasiment impossible. Des relations sociales apaisées, confiantes, supposent le dialogue, la compréhension, le respect de l'opinion de l'autre, et surtout le respect du droit par tous, et en premier lieu par les gouvernants qui ont tendance à piétiner les lois qu'eux-mêmes prétendent faire appliquer et observer.
Des enquêtes multilatérales pour aboutir à la vérité qui fait « peur ».
Pour que d'éventuelles enquêtes puissent être crédibles, elles devraient être conduites conjointement par l'Etat et les membres de la société civile ( associations des familles des victimes et des disparus…). Les témoins et les victimes d'exactions de quelque bord que ce soit devraient être entendus par les enquêteurs. Des organisations nationales habilitées et ayant l'aval et le concours de l'Etat pourraient également procéder à des enquêtes sur tous les crimes commis par les protagonistes de la décennie noire. Mais comme l'Etat se lavent les mains de ces crimes et en impute l'unique responsabilité aux terroristes, il serait difficile d'obtenir son agrément pour enquêter sur le DRS et ses adversaires terroristes. Nous sommes confrontés à des tabous et à des blocages, à une sorte d' amnésie. Mais pourquoi parler uniquement de faire des enquêtes sur les crimes supposés être le fait du seul DRS, en évitant soigneusement de parler des crimes commis par le camp adverse? Se focaliser uniquement sur les services de l'armée et de la police, c'est faire preuve de partialité et de manque de lucidité. Si enquête il y aurait, elle devrait porter sur les deux adversaires d'hier. La réconciliation, pour être complète, durable et crédible, elle devrait obtenir le consentement, l'accord de l'armée et des islamistes pour mener conjointement des enquêtes sur leurs éléments propres qui avaient commis des crimes attestés…
Démanteler le DRS ou refondre les mentalités sociales?
On peut démanteler le DRS en tant que corps constitué, mais on ne pourra jamais démanteler les idées, les habitudes et les perceptions qui nourrissent ses représentations de »l'ordre » et de la « sécurité ». On peut aussi remplacer la composante humaine du DRS actuel par d'autres composantes « neuves » et « vierges », sans pouvoir changer pour autant et fondamentalement la nature reconstituée de cette institution. Dans l'environnement culturel où nous sommes, les nouveaux éléments qui, dans notre hypothèse, remplaceraient les anciens DRS « indésirables », reprendraient très vite les réflexes et les habitudes des « anciens ». Car les nouveaux qui arrivent et se coulent dans le moule de l'ancienne structure ou institution sont porteurs de la même culture et représentation du « pouvoir » que leurs prédécesseurs, culture et mentalité qui les prédisposent d'emblée à des pratiques abusives et incontrôlées.
Le DRS n'a pas inventé « la culture » de l'abus et de la lâcheté…
C'est la culture sociale et politique qui a enfanté le DRS, comme elle a enfanté la culture de l'agiotage, de l'abus, de la « hogra » et de la transgression de l'éthique et de la morale sociales. Enfant de la culture populaire, et de la politique populiste d'un régime modelé d'après une conception patriarcale de « l'ordre » archaïque qui répugne par sa nature même à l'esprit délibératif,le DRS en tant que corps constitué reçoit son inspiration et sa vision du monde de ce fond culturel « spécifique », et la spécificité algérienne se résume justement dans l'idée qu'il n'y a que » les plus forts qui ont raison »et tous ceux qui s'opposent à leur volonté de puissance et de domination « ont tort »et méritent de ce fait d'être châtiés. Ce sentiment, le DRS le doit, comme tous les corps constitués de l'Etat, à cette mentalité héritée de « nos pères ». C'est celle-ci qu'il faut renouveler, refondre, pour que nous puissions nous affranchir de notre vision étroite, grégaire et tribal où seul la force et l'obéissance font force de loi. Qu'on ne le veuille ou pas, le DRS en tant que corps constitué,est un acquis, avec ses qualités et ses ratés. On en aura besoin, du moins de ses éléments sains, ayant un savoir-faire et une expérience, qui nous permettraient de refondre l'Etat de demain, et de manière à en faire un Etat national, fondé sur le droit, et non sur des principes de « passe-droit ». De la même manière que notre industrie « ratée » qui demeure après tout un »acquis » en termes positifs et négatifs, le DRS, et l'administration sont également un acquis qu'il ne faudrait pas condamner au rebut de l'histoire…
Le DRS ne se réduit pas au général Tewfik Medienne
Les hommes passent,l'institution reste. Un général n'est pas immortel. L'URSS s'est effondrée, mais le KGB, même rebaptisé, en tant que corps demeure. Ses pratiques mêmes ont changées et se sont « adoucies », se sont « civilisées », par rapport à la période précédant la destruction du mur de Berlin. Les purges staliniens des années 30 font honte au KGB actuel, et Staline lui-même est enveloppé dans l'opprobre par ses concitoyens d'aujourd'hui qui ne lui pardonnent pas les crimes commis contre son peuple.
Ce que je propose donc, ce n'est pas de stigmatiser globalement ou de vouloir démolir le DRS , tel qu'il existe aujourd'hui, mais de le conserver en essayant de l'associer au changement que nous souhaiterions tous ardemment : l'instauration d'un Etat de droit au profit de tous les Algériens. Ce DRS là ne se réduit pas à un général, fût-il surpuissant, et on ne peut pas et on n'a pas le droit d'endosser les crimes réels ou supposés à tel ou tel chef militaire, à toute l'institution qui n'est pas toute « pourrie » quoi qu' on en dise. Par ailleurs, et comme je l'ai dit à maintes reprises, le DRS n'est pas la seule institution responsable des dérives et de l'affaiblissement de l'Etat.
Les autres institutions y participent inégalement, puisque toutes collaboreraient avec le DRS ou seraient inféodées à lui. Et si celles-ci acceptaient de se soumettre à sa volonté, c'est qu'elles y trouveraient certainement intérêt ou avantage. Les cadres et toutes les personnes à l'affût de « postes » de responsabilité politique, administratives, techniques, etc., contribuent, qu'on ne le veuille ou pas au renforcement non seulement du DRS, mais aussi au renforcement de la culture de la servilité, de la courbette et de « la danse du ventre ». Le DRS n'a pas inventé la bassesse, la démission morale, la défaite de la pensée, le découragement, la paresse de l'esprit, l'égoïsme et l'indifférence de nos concitoyens envers l'intérêt collectif; il n'a fait, en somme, qu'exploiter ou gérer comme il le peut une situation de fait, de facto. Comme les citoyens « ordinaires », il a naturellement une part de responsabilité dans le drame national, et ne saurait nullement se dédouaner…Les politiques, les magistrats, les députés grassement rémunérés, les avocats, les « intellectuels », les artistes, etc. ne sont pas en reste. Ils participent tous, d'une façon ou d'une autre, par leur silence ou lâcheté, au déclin moral de notre pays. Les partis politiques d'opposition, de quelque étiquette qu'ils se revendiquent, sont bien loin d'être un modèle de « patriotisme » au sens le plus noble du mot. Sous couvert d'action politique en vue du changement, ils agissent en « entrepreneurs économiques », et contribuent de cette façon au conservatisme politique et social et au statut quo ante. Certains d'entre eux sont plus démagogues et plus corrompus que les adversaires gouvernementaux qu'ils prétendent combattre….


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