�Parmi mes amis, le regrett� Aboubakr Belka�d a jou� un r�le privil�gi�. Il �tait � mes yeux un homme de dialogue, de paix et de bonne volont�.� Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah Mohamed Chafik Mesbah : Non, vous avez succ�d� � Mouloud Hamrouche � la t�te du gouvernement. En votre �me et conscience, quelle �valuation faites-vous de son action gouvernementale, c�est-�-dire du bilan dont vous avez h�rit� ? Sid-Ahmed Ghozali : Quel int�r�t trouverais-je chez vos lecteurs si je faisais aujourd�hui un bilan que je m��tais interdit hier en ma qualit� de Chef de gouvernement, quand je d�clarais aux d�put�s mon souhait de voir s�instaurer dans notre pays une tradition de bilans �tablis par des institutions neutres ? Et quel int�r�t au regard des pr�occupations r�elles du grand public ? Je n�en vois aucun. Vous avez �t� d�sign� Chef du gouvernement dans un contexte d�instabilit� et d�incertitude grave. De quelle autonomie avez-vous dispos� pour choisir vos collaborateurs, notamment les membres du gouvernement, et pour d�finir votre programme d�action ? Vous parlez fort justement d�un contexte d�instabilit� et d�incertitude. Parlez-vous d�il y a quinze ans ou de maintenant ? Du contexte de l��poque, bien �videmment� Bien. Sachez alors que la composition de mon gouvernement, aussi bien que celle du staff, a �t� le r�sultat de mon libre choix. Je l�affirme sans souci de complaisance ou de m�nagement de qui que ce soit. Je dis tout simplement comment cela s�est pass�. J�ai consult� au pr�alable mes amis bien s�r, mais aussi le d�partement de la D�fense pour ceux de mes choix, hommes ou postes sp�cifiques tels que le minist�re de l�Int�rieur, qui ont une implication s�curitaire directe ou qui requerraient des informations sensibles du m�me ordre. Je n�ai per�u aucune pression ni aucune tendance � m�imposer ni m�me � me sugg�rer tel ou tel choix, tel ou tel nom. Mieux que cela, c�est au contraire moi qui suis all� au-del� de mes strictes attributions en proposant le nom d�un ministre � un poste qui relevait, aux termes de la Constitution, du seul choix du Pr�sident. Je savais en avan�ant ma proposition que ce nom, qui convenait au Pr�sident certes, n��tait pas vu positivement par les gens de la D�fense, en ce sens qu�il avait d�j� suscit� dans le pass�, dans le cadre du traitement de l�affaire libanaise, de s�rieuses r�serves que j�avais r�fut�es du temps o� j��tais aux Affaires �trang�res. Les responsables concern�s avaient leurs propres raisons de ne pas aimer mon choix. Que ces raisons fussent fond�es ou non, je suis oblig� de reconna�tre qu�ils ont fait violence � leur propre conviction en ne s�opposant pas � ma proposition. Il faut rendre � C�sar ce qui est � C�sar. M�me si ce n��tait pas forc�ment pour les suivre tous, j�ai sollicit� les conseils de personnalit�s politiques en mati�re de noms, lors de la premi�re consultation pr�alable que j�ai engag�e avec chacun des partis des associations civiles et des membres �minents de la classe politique, avant la formation de l��quipe gouvernementale. Des personnalit�s politiques nationales, seul le Dr Ahmed Taleb El-Ibrahimi avait d�clin� mon invitation pour des raisons que j�ai respect�es et qu�il revient donc � lui seul de les dire ou pas. Certains m�ont laiss�, avant de me quitter, des listes de trois ou quatre noms. Parmi ceux-l� j�ai en m�moire le Dr Sa�d Sadi et les regrett�s Kasdi Merbah et Mahfoudh Nahnah. J�ai puis� dans ces listes quelque trois ou quatre noms qui convenaient � mes crit�res. Compte tenu du nombre de personnes que j�ai rencontr�es, cette consultation a dur� trois semaines, un temps que la presse a attribu� � tort � des difficult�s � former le gouvernement. Non je n�ai rencontr� aucune difficult� particuli�re et j�ai �t� libre dans mes choix et compl�tement ma�tre de mon planning. Le programme d�action lui-m�me ne porte aucune trace d�une influence ou d�une pression quelconque. Je l�ai con�u et r�dig� dans une totale libert�. Le discours d�investiture �galement : le ministre de la D�fense en a pris connaissance et l�a endoss� en m�me temps que les autres ministres. Cela vous a-t-il indispos� que l�opinion publique ait parl�, � propos de votre gouvernement, du �sultanat de Tlemcen� ? Quelle opinion publique ? Dites plut�t les contre-v�rit�s dont l�opinion publique a �t� abreuv�e. Proc�dez, donc, de mani�re scientifique, vous qui �tes politologue, � l�analyse chiffr�e des origines r�gionales des ministres (lieux de naissance) de tous les gouvernements de la R�publique, vous arriverez � la conclusion que mon gouvernement est le plus ��quilibr� de tous sur le plan national. Je ne l�ai pas fait expr�s. J�ai fait faire ce calcul, que je juge mesquin, pour saisir pi�ce � la presse du r�seau justement qui, � la suite d�un d�put�, qui avait cri� au r�gionalisme et parl� m�chamment du �sultanat de Tlemcen�, publiait sous un pseudonyme de faux journaliste un br�lot dans ce sens. Injustice gratuite envers Tlemcen. Pour visiter les tombes de mes parents, de mes anc�tres et des parents et anc�tres de ma femme et de mes enfants, je dois traverser toute l�Alg�rie entre l�Est et l�Ouest en faisant des haltes sur mon itin�raire entre les deux extr�mes. La seule mani�re de prouver le caract�re mensonger de mesquines accusations de r�gionalisme, c��tait de se r�soudre � un mesquin calcul de pourcentages� de lieux de naissance de mes ministres. C�est mon ami Mokdad Sifi, alors mon plus proche compagnon au cabinet, natif lui de T�bessa, qui se sacrifia pour la sale besogne. C�est v�rifiable aujourd�hui, mon gouvernement, sur le plan de la composante humaine, a �t� le plus �national� de tous les gouvernements de la R�publique. Lorsque j��tais aux Affaires �trang�res, le m�me r�seau avait d�blat�r� sur mes pr�tendues pratiques r�gionalistes, jusqu�� la qualification d�plac�e des Oranais pour la circonstance de �Houariate�. Je fus, d�ailleurs, interpell� sur ce point par un d�put�. L� aussi, v�rification faite, 80% du staff du ministre et les trois quarts des ambassadeurs �taient natifs de la moiti� est du pays ! En m�me temps que ce d�put�, je me d�couvris donc un r�gionalisme qui pencherait plut�t vers le c�t� oppos� de ma r�gion de naissance ! Ce fut l�un des exercices les plus humiliants que j�ai eu � faire au cours de ma carri�re. Pour revenir � la composition du gouvernement que j�ai dirig�, je vous signale que les trois quarts au moins des ministres qui ont accept� d�entrer dans mon gouvernement ou dans mon staff n�avaient aucune envie de devenir ou de redevenir ministres ; mais vraiment aucune envie. Ils sont venus par pur esprit de sacrifier � l�int�r�t du pays. Ils ont bien m�rit� de la patrie. Je n�en dirai pas plus. Vous �voquiez, tant�t avec beaucoup d��motion, le regrett� Aboubakr Belka�d qui fut, pr�cisez-vous, un ami plut�t qu�un collaborateur� C�est notre collaboration qui a renforc� notre amiti�. Parmi mes amis, le regrett� Aboubakr Belka�d a jou� un r�le privil�gi�. Il �tait � mes yeux un homme de dialogue, de paix et de bonne volont�. C�est pour cette raison d�ailleurs que j�avais tent� de le placer comme ministre d�l�gu� aupr�s de moi du temps o� j��tais aux Affaires �trang�res. Le Pr�sident avait donn� son accord de principe, sans h�siter et de tr�s bonne gr�ce, quand imm�diatement une campagne de presse d�une violence inou�e se d�cha�na contre lui et son �pouse. Qu�on l�attaque lui, passe encore, puisque c�est cela aussi la politique malheureusement, chez nous comme ailleurs. Mais pourquoi son �pouse ? Ce n�est pas dans nos traditions, d�autant moins qu�il s�agit d�une femme respectable � tous �gards. Je la salue fraternellement de votre tribune. Devenu Chef du gouvernement, j�ai appel� Aboubakr en raison de l�amour que je lui connaissais pour notre pays, vu aussi ses capacit�s humaines et politiques � servir l�action du gouvernement et compte tenu de l�objectif qui m��tait cher de lib�rer le d�bat public et d�ouvrir le dialogue avec les partis et la soci�t� civile. Pour ce faire, il n�y avait pas, � ma connaissance, mieux que lui comme homme de la situation. D�o� sa nomination en tant que ministre charg� des Relations avec le Parlement. A propos, quel commentaire faites-vous, avec le recul, sur cette fameuse conf�rence des partis que d�aucuns avaient assimil�e � une �messe folklorique� ? Oui, j�avais entendu cette remarque � l��poque, � l�image de celle qui avan�ait que j�allais vendre Hassi Messaoud� Imaginez qu�avant m�me de m�atteler � former le gouvernement, j�ai pass� deux semaines enti�res � recevoir matin et soir 60 d�l�gations de partis, un � un, en plus des personnalit�s de la soci�t� civile et politique, une trentaine. A chaque d�l�gation, j�ai expliqu� ma mission et ce que j�avais l�intention de faire, � commencer par la r�vision de la loi �lectorale. A chaque d�l�gation j�ai promis que je ne ferais rien sur ce point sans les consulter et que ma volont� �tait plus g�n�ralement d�instaurer le d�bat avec la soci�t� civile et politique. Et j�ai demand� � chacun de me donner les conseils qu�il jugeait utiles pour ma mission. En conformit� avec une volont� qui �tait sinc�re et en fid�lit� � mes engagements, une consultation g�n�rale de tous les partis et associations civiles nationales sur la nouvelle loi �lectorale a �t� organis�e et con�ue par le seul gouvernement, par l�interm�diaire de Aboubakr Belka�d, qui y a consacr� plusieurs journ�es enti�res de son temps, sans aucune interf�rence quelconque. Nous avons tenu deux r�unions en juillet et ao�t en accord direct avec tous les partis sur les dates, les ordres du jour et le r�glement int�rieur. Voil� pour la premi�re s�quence de cette manifestation. Peut-on croire que tous ces efforts et ce temps d�un chef de gouvernement nomm� sous le signe de l�urgence et dans une situation d��tat de si�ge, avec des caisses vides et des r�serves de changes � z�ro, �taient pour le plaisir de monter une messe folklorique ? Pour la deuxi�me s�quence, c�est la responsabilit� des partis qui �tait engag�e. Le premier jour, le gouvernement, ma�tre des dispositions mat�rielles, n�avait rien pr�vu comme couverture TV en direct. A partir du deuxi�me jour de la premi�re session, et devant la protestation majoritaire des participants, l�int�gralit� de toutes les s�ances furent diffus�es par radio et t�l�vision. A la demande expresse donc et r�it�r�e de la majorit� des soixante partis, non � l�initiative du gouvernement. Cela devrait invalider certains commentaires qui ont pr�tendu que le Chef du gouvernement aurait cherch� malicieusement � discr�diter les partis en prenant � t�moin l�opinion publique � leurs d�pens. Que certains chefs de parti n�aient pas donn� une image favorable d�eux-m�mes c�est plausible. Mais c�est imputable aux seuls propos ou comportements qu�ils ont eux-m�mes librement affich�s. Pourquoi le dialogue a-t-il �t� suivi avec tant d�int�r�t en Alg�rie comme ailleurs et assid�ment dans le monde arabe au plus haut niveau ? En tout cas je sais que j�avais voulu inaugurer une pratique qui manque cruellement chez nous, celle du d�bat public. J�avais l�espoir de semer quelque chose pour l�avenir. La suite montrera que la semence n�a pas �t� renouvel�e. Et je le regrette. La consultation s�est sold�e par un accord � l�unanimit� moins une voix, celle du FLN, sur le principe de la proportionnelle int�grale pour les �lections. L�APN a fait �chec � cet accord en adoptant deux mois plus tard le scrutin majoritaire � deux tours. Vous vous �tes, pourtant, accommod� de ce d�saveu de l�APN� Pas exactement. A la suite de ce d�saveu cinglant de l�APN, j�ai voulu rendre le tablier. J�ai fini par c�der � la r�serve du Pr�sident conjugu�e � celle des responsables de la D�fense, par scrupule devant le risque de para�tre me d�rober au contrat pass� avec eux, un contrat que j�avais annonc� le jour de ma nomination : � savoir organiser des �lections avant la fin de l�ann�e. Un contrat pass� aussi avec les soixante partis. J�ai donc c�d�, bien conscient que c��tait au d�triment de mes int�r�ts politiques strictement personnels et aux d�pens du cr�dit du gouvernement. Des chefs de parti, dont celui du FFS, ne manqu�rent pas de d�noncer le vote de l�APN comme un �coup concoct� entre le chef du gouvernement et le FLN�. Au m�me moment la presse dite du FLN me d�signait comme une �taupe du FIS� ; Hocine A�t Ahmed a d�clar� �me retirer sa confiance�. Mais tous sont quand m�me all�s aux �lections, chacun avec la conviction qu�il y avait quelque chose � y gagner pour lui. Le fait est que je suis rest�. Je me suis limit� � �lever au niveau du Conseil constitutionnel la seule disposition relative au vote de la femme que l�on voulait noyer dans la �procuration permanente entre conjoints�. Un chef de parti �tait venu dans mon bureau arguer que j��tais en train d�interdire, pour le vote, �la procuration, que Dieu autorisait pour le mariage�. Je lui r�pondais que l�acte personnel de vote �tait au vote ce que la consommation du mariage �tait � l�union entre conjoints. Et que la loi de Dieu en la mati�re ne peut �tre interpr�t�e que comme une procuration pour une demande formelle en mariage, et jamais comme une procuration pour consommer le mariage. Le Conseil constitutionnel m�a donn� raison, c��tait une victoire symbolique du droit de la femme alg�rienne. Elle n�effa�ait pas le camouflet balanc� au gouvernement et � 60 partis moins 1 sur le mode de scrutin majoritaire qui a jou� l�avenir de l�Alg�rie � la roulette russe. Les d�put�s et leurs mandants s�en apercevront� un lendemain de 27 d�cembre 1991. Je reviens sur la question. L�id�e a pr�valu, alors, que vous auriez eu affaire � deux hi�rarchies parall�les, d�une part, la Pr�sidence de la R�publique et, d�autre part, le commandement militaire. Est-ce l� une vision correcte de la r�alit� ? Vous avez le droit de faire �cho � cette mani�re de voir. Je dirai que pour moi cela s��tait pass� autrement. Je vous conc�derai n�anmoins que tout ce que je vous dis de mes rapports avec les militaires ou avec le Pr�sident de la R�publique ne peut �tre consid�r� comme significatif. J�ai tout lieu de croire que mon cas est � part. Dans ma vie publique j�ai observ� sans exception deux principes : ne jamais solliciter de poste et ne jamais me d�rober devant la responsabilit�. Peut-�tre parce que j�ai connu tr�s jeune la fonction minist�rielle et sa petitesse, d�autant que cette fonction est all�e en se d�valuant avec le temps ; peut-�tre parce que j�ai eu la chance de conna�tre tr�s t�t l�entreprise, je n�ai jamais �t� en situation de �saliver� devant les d�risoires prestiges de la haute fonction publique. En droite ligne de cette conduite, je n�ai pas �t� une seule fois demandeur � �tre Chef du gouvernement. Je ne l�ai pas envisag� auparavant. Je n�ai appris l�intention du Pr�sident de m�y nommer qu�apr�s que l�avion d�p�ch� en urgence � Abuja m�e�t d�pos� � Alger en feu et en �tat de si�ge, et au moment o� je rencontrai au si�ge de la Pr�sidence le directeur de cabinet de la Pr�sidence et le ministre de la D�fense, c'est-�-dire une demi-heure avant que le Pr�sident ne me contacte lui-m�me au t�l�phone. Mon discours d�investiture autant que les d�bats avec les d�put�s sont disponibles aux archives. Ils vous montreront que je n��tais pas dupe quant � la nature suicidaire de ma mission, autrement dit qu�il ne m��chappait pas d��tre un jour ou l�autre le mouton du sacrifice. Je l�avais dit ainsi aux d�put�s. C�est inscrit dans les minutes des d�bats. Tout cela doit vous donner autant de raisons de ne pas vous �tonner que j�aie travaill� au respect des comp�tences constitutionnelles du Pr�sident de la R�publique, des miennes, de l�APN et de l�ANP. Nomm� de surcro�t dans une situation s�curitaire extraordinaire, qui avait conduit avant ma nomination � l�instauration, par le Pr�sident, de l��tat de si�ge et de ce qui en d�coule en mati�re de comp�tences pour l�arm�e. Pourquoi ai-je accept� la mission ? Je l�ai dit aux d�put�s quand j�ai demand� l�investiture dans deux paragraphes consacr�s l�un � ma solidarit� avec le peuple alg�rien et l�autre � ma solidarit� avec l�ANP. Vous pouvez vous y r�f�rer. C��tait apr�s avoir proc�d� � une analyse dans mon discours lu devant les d�put�s sur les constats suivants : primo, nos handicaps viennent du fait que les gouvernements qui se sont succ�d� y compris le mien et les institutions, y compris la v�tre, n��manent pas de la volont� populaire. Deuxio, la violence actuelle n�est que la r�action � une autre violence pr�c�dente, qui l�explique mais ne la justifie pas. Le peuple s�est trouv� ainsi entre le marteau et l�enclume, d�un c�t� des forces accroch�es au pouvoir, et de l�autre, des forces venues poser les probl�mes des citoyens aux fins de s�emparer du pouvoir par la violence. Tertio, l�antagonisme entre les deux m�choires de l��tau n�est qu��cran de fum�e derri�re lequel des apprentis sorciers trament un partage sordide du pouvoir. L� aussi v�rifiez bien dans les archives ou dans le livre publi� par le gouvernement et qui rassemble le discours programme et le verbatim des d�bats. Un an plus tard, j�ai �t� appel� au pr�toire par le pr�sident du tribunal de Blida. Ce dernier voulait entendre ma propre version du contenu des �changes que nous avions eus avec Abassi Madani, Ali Benhadj et moi-m�me, en pr�sence de deux collaborateurs et d�un ami imam d�Oran et ancien moudjahid, lorsque je les rencontrais au si�ge du minist�re des Affaires �trang�res, dans les heures qui ont suivi ma nomination. Mon t�moignage termin�, le Pr�sident me posa une question subsidiaire : �A votre avis le FIS est-il le seul responsable de la violence v�cue dans le pays en mai 1991 ?� J�ai r�pondu : �Non. Le responsable c�est la lutte pour le pouvoir...� C��tait sous forme tr�s ramass�e l�analyse que j�ai cit�e plus haut, dans mon discours programme de juillet 1991. Aujourd�hui, je ne change pas un iota � cette analyse. Revenons au c�ur de la question, vous deviez composer avec deux hi�rarchies... En parlant de hi�rarchies, je vous dirais qu�� la Pr�sidence j�avais affaire au Pr�sident et dans l�arm�e � ses principaux chefs �visibles�. C�t� Pr�sidence de la R�publique, j�ai r�guli�rement vu le Pr�sident. J��tais conscient qu�il avait gard� le contact continu avec mon pr�d�cesseur, sans savoir �videmment le contenu de leurs entretiens, mais en l�imaginant bien, vu les informations qui me parvenaient, ou par supputation, sur la base de certaines questions qu�il me posait comme il le faisait � l�accoutum�e du temps de nos conversations aux Affaires �trang�res. C�t� militaires, nos rapports, outre les communications �crites formelles, se situaient dans quatre instances : 1. Le Conseil du gouvernement qui se r�unissait au moins un jour par semaine ; 2. un Conseil interminist�riel que j�avais instaur� pour le suivi de la situation s�curitaire et qui comprenait �galement les ministres de l�Int�rieur, des Droits de l�Homme, des Affaires religieuses, de la Communication avec le Parlement et qui se r�unissait au moins une fois par semaine ; 3. un groupe de liaison form� de deux civils (dont mon directeur de cabinet) et deux militaires, un groupe particuli�rement sollicit� � la suite du premier tour ; 4. les fr�quents �changes t�l�phoniques quotidiens ou les rencontres dans mon bureau, au coup par coup, avec le ministre de la D�fense et le responsable de la s�curit�. La soci�t� militaire est tr�s opaque dans notre pays. Votre exp�rience et surtout votre proximit� des chefs militaires alg�riens, durant la p�riode cruciale o� vous dirigiez le gouvernement en 1991, devraient vous permettre d�en dresser un tableau plus ou moins fiable� Toutes les arm�es du monde ont besoin de prot�ger leurs activit�s. Le secret-d�fense se confond avec l�opacit� lorsqu�on en m�suse � des fins non requises pour la protection des activit�s de s�curit� et de d�fense. Le recours abusif au secret se produit pour des tas de raisons qui vont de l�exc�s de prudence ou de bureaucratie � la volont� de cacher quelque turpitude. Tout cela n�a rien de banal chez tous les militaires de la plan�te. La tentation d�opacit� est plus forte dans la partie la moins militaire de l�arm�e, celle qui s�implique dans la politique. Dans ce cas, l�opacit� n�est plus banalit�, car d�s lors qu�elle se situe dans l�un des fondements du pouvoir politique et de son seul bouclier, elle pose probl�me. J�ai toujours eu � travailler avec des militaires. C��tait in�vitable quand on a navigu� entre un secteur �conomique strat�gique, l��nergie, la diplomatie et la t�te du gouvernement. L�arm�e que j�ai fr�quent�e en premier c�est l�arm�e des ing�nieurs, des managers, des techniciens, des hommes de terrain. C��tait pour la plupart des hommes du g�nie militaire, de l�aviation, de la marine, mais pas seulement ; certains sont d�c�d�s, d�autres sont en vie et en poste, d�autres � la retraite. C��tait plus que des relations de prestataire de biens ou de services � client, plut�t des liens de coop�ration d��gal � �gal entre serviteurs de l��tat, hors toute connotation de type politicien, hors tout complexe. Il se disait � l��poque que Boumedi�ne marchait sur deux pieds, l�ANP et la Sonatrach. Il a pu se former � partir de cette situation de partage de la fiert� du chef une sorte de sensation confuse commune de porter en compl�mentarit� le drapeau de la fiert� nationale. Quand, en raison des circonstances que j�ai mentionn�es, Houari Boumedi�ne m�avait ordonn� en 1975 �de mettre tous les moyens de Sonatrach � la disposition de l�ANP�, nos relations se sont intensifi�es, plus qu�elles n�eussent �t� en situation normale. C�est �� l�arm�e que j�ai connue le plus, durant les quatre cinqui�me de ma vie professionnelle. Le plus et le mieux du fait d�une relation de travail en commun pour la m�me cause, l�int�r�t g�n�ral, hors tout calcul politicien et hors tout autre consid�ration subjective. Au fond c��tait ce qui repr�sentait plus de 95% de l�arm�e. Et l�, � part l�uniforme et le mode de fonctionnement, je ne vois pas, entre les deux composantes civile et militaire de la population, de diff�rence un tant soit peu significative sur les plans des mentalit�s, du niveau de proximit� entre le citoyen et les centres de d�cision politique, de la capacit� d�influence sur le cours politique des choses, ou plus g�n�ralement en ce qui est le meilleur et le pire dans les deux parties de la population. A force d�utiliser le vocable de militaire � tout bout de champ, par commodit� de langage, pour �voquer des situations tr�s diff�rentes, l�image de la r�alit� militaire alg�rienne finit par �tre brouill�e. Par exemple, � force d�affubler le qualificatif de �militaire� au pouvoir politique en Alg�rie, au d�part par r�f�rence � une composante militaire du pouvoir, plus exactement � une composante politique de l�arm�e, puis par commodit� de langage et, en fin de compte, par habitude, on en arrive � consacrer l�id�e erron�e que le pouvoir politique c�est l�arm�e. Soit dit en passant les chefs militaires ont eux-m�mes beaucoup contribu� � ancrer cette fausse id�e dans les esprits en proclamant, tant�t mal � propos, tant�t � contre-temps, que �l�arm�e s�est retir�e de la politique�. Ce n�est que durant mes passages aux Affaires �trang�res et � la t�te du gouvernement que j�ai travaill� avec des chefs militaires impliqu�s dans les processus politiques. A quelques exceptions pr�s, ils appartiennent finalement au secteur le moins militaire de l�arm�e. Je parle des chefs bien s�r. Les circonstances dans lesquelles je les ai fr�quent�s �taient exceptionnelles par leur dur�e qui fut relativement courte, deux ans aux Affaires �trang�res et un an seulement � la t�te du gouvernement et en une p�riode anormalement dramatique. Pas assez pour d�velopper une relation et une connaissance mutuelle durables. Assez pour savoir que l�arm�e est, en proportion de ses effectifs et conjointement avec les services civils de s�curit� et la communaut� des journalistes, la couche sociale qui a le plus pay� en pertes humaines pour le sauvetage d�une soci�t� qui �tait � la d�rive. M. C. M.