Elles foisonnent, prolif�rent et poussent comme des champignons. Elles font le bonheur des m�nages � faibles revenus et le d�sespoir des propri�taires de boutiques de pr�t-�-porter qui voient ainsi des clients potentiels leur filer sous le nez. Elles, ce sont les friperies. Apparues timidement au d�but des ann�es 1990, elles sont d�sormais implant�es dans tous les quartiers de la capitale : place du 1er-Mai, El-Biar, Ben-Aknoun, Kouba, Bouzar�ah, Bab-El-Oued, Z�ralda... On y trouve de tout : jeans, vestes, sacs, chaussures ... � des prix cass�s, entre 300 DA et 800 DA. Chaque magasin r�serve une journ�e de la semaine au �nouvel arrivage �. Au fur et � mesure que les jours passent, des soldes sont effectu�es. A l�approche de la prochaine livraison hebdomadaire, les derniers articles sont brad�s � 50 DA la pi�ce. Ces friperies sont constamment assi�g�es. Elles connaissent un pic de fr�quentation lors d��v�nements sp�ciaux comme la rentr�e scolaire ou l�a�d. Pour bon nombre de citoyens aux revenues modestes, ces commerces sont une v�ritable planche de salut. Bienvenus dans le monde de la sape des ann�es 1970, 80 et 90 ! Rue Hassiba-Ben-Bouali. 8h30. Une dizaine de personnes font d�j� le pied de grue devant une friperie. A la minute o� les grilles du magasin s�ouvrent, femmes et hommes s�y pr�cipitent. Panique, affolement, injures et bousculades. On joue des coudes pour �tre le premier � d�couvrir les fringues vintage fra�chement d�ball�es. C�est mercredi et comme chaque semaine, les g�rants �trennent une nouvelle livraison de ballots d�articles d�occasion. Pantalons, vestes, pulls, chemises, jupes, robes, manteaux et m�me chaussures, sacs, peluches et linge de maison. Les fringues suspendues � des ceintres sont tr�s vite pass�es en revue par des mains f�briles. Des doigts impatients, en qu�te de la perle rare : un v�tement de marque, originale et si possible jamais port�. Un groupe de revendeurs se jette sur un amas de chaussures. Les tennis de c�l�bres marques s�arrachent presque � couteaux tir�s. Achet�es � 600 DA, ces chaussures de sport seront revendues jusqu�� 2 500 DA dans les march�s de �D�lala�. Un cri joyeux fuse soudain du c�t� des v�tements pour femmes. Une jeune fille accompagn�e d�une copine est tomb�e sur une bonne affaire. �J�en crois pas mes yeux ! C�est un jeans Lee Cooper tout neuf et en 38 ! Exactement � ma taille�, s��crie-t-elle. Prix de cette petite trouvaille : 450 DA ! Les deux cabines d�essayage sont prises d�assaut. Une employ�e compte le nombre de pi�ces emport�es par chaque client avant de les laisser s�isoler. �Il y a trop de vols, lance-t-elle. Certaines personnes ind�licates planquent les fringues sous leur manteau et filent en catimini. � �De tout un peu�, indique l�enseigne de cette autre friperie de la rue Hassiba-Ben-Bouali. Une vraie caverne d�Ali Baba o� l�on trouve m�me des pi�ces originales et d�griff�es � des prix �cras�s. Un retrait�, rencontr� sur place, nous avoue s�habiller exclusivement dans ce genre de boutique. �Heureusement que le stock am�ricain existe, autrement les gens sortiraient dans la rue sans rien sur la peau par les temps qui courent. Avec la chert� de la vie et l��rosion du pouvoir d�achat, s�offrir des habits neufs aujourd�hui est une gageur.� Le g�rant, rench�rit : �Il arrive que des gens pleins aux as fassent leur shopping ici. Ils d�nichent des fringues Yves Saint- Laurent, Kenzo, Dior, Cerruti, Cacharel, Channel... � 200 DA. Un petit d�tour chez le d�graissage et les voil� pr�ts � prendre la pose.� Une dame s�avance et se joint � la discussion : �Moi je trouve que payer un v�tement usag� autour de 450 DA reste cher par rapport au SNMG (12 000 DA). Lorsqu�on a plusieurs enfants � charge, l�addition grimpe tr�s vite. H�las, de nos jours, l�Alg�rien moyen est dos au mur. Accul� entre une production nationale quasi inexistante et une confection bas de gamme import�e d�Asie, il se rabat sur le rebut des pays d�velopp�s, soci�t�s de consommation par excellence !� Nous tournons les talons. Cap sur un autre commerce de ce type situ� � la rue Rabah-No�l. Vestes, blousons, parkas, pantalons, cravates, ceintures : les v�tements en vente ici s�adressent exclusivement � la gente masculine. Explication du g�rant : �Les femmes chez nous sont trop compliqu�es. Elles exigent d�avoir des v�tements neufs, � la derni�re mode et pas chers. En plus, comme elles ont souvent un peu d�embonpoint, elles ont du mal � rentrer dans ces fringues venant de pays � comme la France ou l�Italie � o� les femmes font tr�s attention � leur ligne�. Et d�ajouter : �Les hommes ne sont pas tr�s commodes non plus. Ils veulent �tre hata� mais en payant 3 francs 6 sous.� Ce commer�ant nous �claire aussi sur l�acheminement de ces v�tements d�occasion. �G�rer une friperie est une vraie profession. C�est un business. Des importateurs se sont sp�cialis�s dans ce type de commerce. Ces articles d�occasion arrivent dans des conteneurs de France, d�Italie, de Belgique. Ils subissent un contr�le douanier et doivent obtenir un certificat de conformit�. Nous achetons ces ballots � nos fournisseurs � les importateurs � entre 5 000 DA et 20 000 DA, selon l��tat et la qualit� des fringues.� Interrog� au sujet de l�odeur d�sagr�able, sp�cifique � ces vieux v�tements, notre interlocuteur r�pond tout de go : �Ce sont d�anciens stocks de v�tements dont certains sont mis au rebut depuis plus d�une d�cennie, d�o� ces odeurs de renferm�.� Si certains clament tout haut � qui veut bien les entendre que �jamais je ne mettrai des fringues d�j� port�es par autrui�, d�autres personnes, moins nanties, remercient le Ciel de l�existence du march� aux puces. Une v�ritable bouff�e d�oxyg�ne pour de nombreux foyers qui gal�rent pour joindre les deux bouts. Sabrina Inal E.mail : [email protected]