En votre qualit� de pr�sident de l�Association nationale des anciens du MALG, vous avez r�pondu � mon article paru le 20 juillet dans ce m�me quotidien, utilisant une rh�torique que les lecteurs de la presse �crite croyaient r�volue et qui ne correspond plus � la r�alit� politique et sociale de l�Alg�rie des ann�es 2000. Il est bien s�r de votre droit de rester �congel�, mais vous n�avez pas le droit de faire des proc�s d�intention en affirmant que mon texte �tait �un r�quisitoire�. J�ai bien pr�cis� que les Alg�riens �taient attach�s affectivement � leur arm�e parce qu�elle fait partie de leur histoire. Par cons�quent, si vous voulez ouvrir le d�bat, il faut qu�il soit loyal et sans coups bas, sinon restez dans votre bulle, enferm� dans un pass� quasi-imaginaire dont vous tirez profit et n�accusez pas ceux qui ne sont pas d�accord avec vous. Vous me r�cusez le droit de parler de Abdelhafid Boussouf et de ses m�thodes en corroborant pr�cis�ment ce que j�appelle �le r�flexe Boussouf� qui a trouv� son prolongement dans les vicissitudes de la construction de l�Etat post-ind�pendance. Vous allez m�me plus loin, me conseillant de rester dans �ma nouvelle patrie� (la France), insinuant que les cinq millions d�Alg�riens qui sont � l��tranger ont choisi une nouvelle patrie, et que les millions d�Alg�riens qui veulent partir sont � la recherche d�une nouvelle patrie ! C�est grave, M. Daho Ould Kablia, ce que vous dites. Ce n�est pas de l�inconscience, c�est de l�ali�nation. Vous confirmez l� votre apolitisme que vous avez d�j� montr� en accusant les Marocains, les Tunisiens et les Egyptiens de ne pas nous avoir aid�s durant la guerre de Lib�ration, ignorant totalement la g�ographie : Ghardimaou se situe en Tunisie et Oujda au Maroc ! Sans l�aide de nos fr�res marocains et tunisiens, l�arm�e coloniale aurait �touff� les maquis de l�ALN. Je vous rappelle que durant toute la r�volution, Boussouf �tait entre Oujda, Le Caire et Tunis, o� le FLN avait ses bases logistiques qui lui ont permis d�atteindre ses objectifs. Cette fois-ci, vous r�cidivez contre des compatriotes en leur d�niant le droit d��tre alg�riens parce qu�ils souhaitent que l�arm�e se conforme � la Constitution. C�est cela la mystique nationaliste qui cr�e une Alg�rie imaginaire et abstraite que vous opposez � des Alg�riens en chair et en os et qui, pour vous, sont des tra�tres. Vous n�osez pas le mot, mais votre �crit le sugg�re clairement. Que vous le vouliez ou non, chaque Alg�rien est attach� � son pays et vous n�avez aucun droit de nier le sentiment patriotique des uns ou des autres. M�me sur les harraga, preuve tragique du bilan d�sastreux de votre gouvernement, vous n�avez pas le droit de porter un tel jugement. Le pr�c�dent chef du gouvernement a m�me eu l�outrecuidance, sans rire, d�affirmer lors d�un colloque � Alger que les harraga quittent le pays pour se marier avec des blondes ! Voil� le personnel politique qui nous est impos� sans qu�il soit �lu, caract�ris� par l�incomp�tence et l�arrogance que cache mal une surench�re nationaliste cousue de fil blanc. Vous n�avez pas le monopole de la patrie, M. Ould Kablia. Boussouf avait les circonstances att�nuantes : nous �tions en guerre, mais vous, vous n�en avez aucune. Nous ne sommes pas en guerre, � moins que vous n�estimiez que votre gouvernement est en guerre contre le peuple ou une partie du peuple. Vous n�avez m�me pas compris mon propos sur Boussouf. Ce personnage appartient � l�histoire et il fait partie du patrimoine public, ce qui autorise n�importe qui � porter un jugement sur lui. A l��t� 1962, une journaliste �trang�re avait demand� � Abdelhafid Boussouf s�il avait la conscience tranquille apr�s tout ce dont il avait �t� accus�. Il lui avait r�pondu : �Mais Madame, seuls ont les mains pures ceux qui n�ont pas de mains�, reprenant le mot du philosophe allemand Immanuel Kant. Cette r�ponse ne s�adressait pas � un procureur d�un tribunal mais � l�Histoire et aux g�n�rations futures. Il a justifi� ce qu�il avait fait et c�est aux historiens de juger. Boussouf �tait marqu� par l�ordre colonial injuste qu�il cherchait � d�truire par la violence. La radicalit� du syst�me colonial l�a forg� dans son intol�rance et dans sa suspicion. Il se m�fiait m�me de son ombre. Comme les militants de sa g�n�ration, il portait en lui les limites culturelles de sa soci�t�, notre soci�t� fig�e par l�ordre colonial dans son retard sur l�Europe. Le populisme r�volutionnaire dont il �tait l�un des repr�sentants a rencontr� un �cho aupr�s de larges couches de la population qui aspirait � finir avec l�ordre colonial. Mais pour autant, doit-on sacraliser cette g�n�ration et la soustraire aux investigations du d�bat critique ? Et comment ne pas faire le lien entre les limites id�ologiques du nationalisme alg�rien dans sa phase de formation avec l�impossibilit� de construire un Etat de droit cinquante ans apr�s l�Ind�pendance ? Vous me refusez le droit de r�fl�chir sur ce lien ? Vous n�acceptez les d�bats sur l�histoire que s�ils sont apolog�tiques et men�s avec la langue de bois que vous maniez comme un �b�niste exp�riment�, comme le montre votre r�ponse parue dans Le Soir d�Alg�rie. Vous faites partie de cette �lite civile coopt�e depuis 50 ans par l�arm�e et dont le bilan est n�gatif de A � Z. Pour faire diversion, vous jouez au nationaliste pur et dur, m�accusant d��tre contre l�institution militaire et me refusant le droit d�aspirer en tant que citoyen � une arm�e professionnelle, moderne et surtout respectueuse de la Constitution. Vous consid�rez qu�une telle arm�e serait �aveugle, sourde, aphone, et probablement parapl�gique�, ajoutant m�me que dans les pays les plus d�mocratiques, l�arm�e est �un rempart solide� une force forc�ment politique��. Vous �tes dans la position du flatteur qui vit aux d�pens de celui qui l��coute. Vous flattez l�arm�e pour assouvir votre int�r�t personnel et, ce faisant, le discours que vous tenez la met dans une impasse politique dont on ne voit pas l�issue. Les officiers et les jeunes du Service national n�osent plus se montrer en tenue de sortie les jours de f�te dans les villes et villages comme il y a quelques ann�es. Pourquoi ? Selon vous, l�arm�e �fait face aux dangers � dont celui de l��clatement de l�unit� int�rieure��, ou plus grave �celui qui a failli emporter l�Etat, pulv�riser le ciment social, plonger la nation dans un syst�me d�un autre �ge�, comme si celui que nous vivons aujourd�hui �tait post-moderne ! C�est exactement cela la �culture Boussouf� : sans le contr�le de l�arm�e sur l�Etat et sans sa substitution au suffrage populaire au d�triment de l��lectorat compos� de civils au nationalisme ti�de, l�Alg�rie dispara�trait ! Votre montre, M. Ould Kablia, s�est arr�t�e en 1962 et votre culture politique n�a pas chang� d�un iota. Vous croyez m�me � la r�gularit� du �suffrage populaire tel qu�il se pratique dans notre pays�, affirmant sans rire que les Alg�riens ont choisi leurs dirigeants. Ou bien vous �tes na�f, ou bien vous �tes cynique. Vous demandez ensuite � ce �qu�on laisse l�institution militaire achever sa mission contre les ennemis de la nation en tous genres�. Je voudrais vous poser la double question suivante : qui sont ces ennemis de la nation et quand cette mission de l�arm�e prendra-t-elle fin ? Consid�rez-vous que ces ennemis sont des Alg�riens qui veulent d�truire leur propre nation ? Je suspecte que tout ce discours irr�aliste ne serve qu�� cacher un int�r�t personnel : celui d��tre d�sign� et non �lu � des fonctions officielles. La preuve ? Vous �tiez d�j� pr�fet � Oran quand j��tais lyc�en ; je vais bient�t partir � la retraite et vous �tes encore ministre ! En sociologie politique, la privatisation de l�autorit� publique s�appelle n�o-patrimonialisme. L�Etat y est consid�r� comme un patrimoine d�une �lite civile qui demande � l�arm�e d��tre la seule source de l�gitimit� et unique organe de cooptation de responsables politiques qui y trouvent une rente � vie juteuse. Et tant pis pour l�Alg�rie et ses int�r�ts sup�rieurs, et tant pis pour l�avenir des g�n�rations futures. Apr�s moi, le d�luge. J�arr�te l� cette lettre ouverte, mais je voudrais vous renvoyer � mes livres et articles relatifs � la �r�gression f�conde� que vous citez en ironisant. Vous n�y avez pas r�fl�chi parce que pour vous, l�alternance �lectorale � que l�arm�e aurait pu garantir � est la fin d�un monde, celui de la cooptation qui permet de ne rendre des comptes ni � l��lectorat ni � la justice en cas de mauvaise gestion des ressources publiques. L�arm�e est g�n�reuse, et il suffit de la flatter. Mais un jour, ses officiers se rendront compte que le jeu ne vaut pas la chandelle et accepteront des r�formes comme celles mises en �uvre en Am�rique latine, o� un pays comme le Br�sil est en train de devenir un g�ant mondial. Je vous transmets, malgr� tout, mes salutations patriotiques de l��tranger, o� m�me si �on n�emporte pas la patrie � la semelle de ses pieds�, elle reste, qu�on le veuille ou non, dans le c�ur. Lahouari Addi Professeur des universit�s