�Que les princes ne se plaignent point des fautes commises par les peuples soumis � leur autorit�, car elles ne peuvent venir que de leur n�gligence ou de leur mauvais exemple.� Cette sentence de Machiavel a travers� le temps et les multiples modes de gouvernement sans prendre la moindre ride. De nos jours, elle interpelle justement tous ceux qui, � un moment ou � un autre, ont eu � se m�ler de la �chose publique� et � d�lib�rer sur le �bien public� sans que ce souci d�clar� ne vienne perturber les ambitions personnelles. Ceux-l�, sans exception, �taient plut�t convaincus que la responsabilit� politique consistait d�abord � g�rer une carri�re avant de mettre leurs suppos�es lumi�res � la disposition de la communaut�. Une paradoxale culture du pouvoir qui s�est transmise � chaque succession organis�e jusqu'� devenir la marque de fabrique des r�gimes alg�riens. A l��vidence donc, l�Alg�rie a toujours connu des �princes� peu exemplaires quoiqu�ils s�en d�fendent. De m�me qu�elle n�a pas manqu� de remarquer que les commis ne sont ouvertement critiques que lorsqu�ils sont exclus des privil�ges. Au fil des ans et des cycles de changement, l�opinion, � son tour, a appris � se m�fier de la politique en se forgeant quelques raisons pour ne pas croire en la justesse des lois de cette r�publique suspecte. A l�abri de tout scrupule, la soci�t� s�est alors install�e dans une sorte d�amoralit� tranquille qui n�est, dans les faits, que le reflet de celle de ses dirigeants. C�est cela qui s�appelle : la clochardisation. Or � quoi reconna�t-on cette tare collective ? La question a cess� d��tre du ressort exclusif de la science sociale appel�e � �tablir des diagnostics. Elle est d�sormais sur toutes les l�vres et alimente les discussions dans tous les �caf�s de commerce � du pays. C�est parce qu�elle est troublante et qu�elle illustre leur d�sarroi que les Alg�riens se la posent les uns aux autres. D�boussol�s par l�inqualifiable m�diocrit� du personnel politique, ils comprennent mal qu�on veuille encore les traiter comme des veaux. De cette r�sistance passive, ils en ont tir� la conclusion ravageuse que, ce que l�on nomme �Etat� est pr�cis�ment l�ennemi de la soci�t� ! Cette id�e, fonci�rement dangereuse, a fait son chemin dans l�opinion et a m�me commenc� � �tre partag�e par des cercles de caciques hostiles aux actuels dirigeants. Ceux qui, d�s 1999, anticipaient sur la d�sillusion mena�ant le pays ne croyaient pas si peu dire. Dix ann�es plus tard, celui-ci est dans le d�senchantement total. Guett� par le d�litement, dont la cause premi�re est la subornation de ses institutions, l�Etat est en train de sombrer � force d��tre manipul� au profit d�un clan. Sans retenue aucune, le pouvoir entretient cette psychose en ignorant et l�opinion de la soci�t� et les avis alarmants de la classe politique. Par calcul, il a adopt� la posture de l�indiff�rence pour faire accroire que ceux qui travaillent � l�effondrement de l�Etat et � l�affaiblissement de la souverainet� nationale sont ceux qui, au nom de l�alternance codifi�e, organisent l�instabilit�. Ainsi, au nom du �salut� r�publicain, il sera dit que la reconduction du m�me homme � la t�te de l�Etat suffit � donner � celui-ci une architecture fiable. En d�pit de son caract�re mensonger et accusateur, cet argument, ayant justifi� le coup de force constitutionnel du 12 novembre, n�a suscit� que de rares r�actions et encore moins provoqu� un mouvement concert� de r�sistance de la part de la classe politique. Une attente insatisfaite qui conforte la soci�t� dans son refus de consid�rer les politiciens comme leurs m�diateurs. Jamais, avant cette date, le cr�dit des partis ne fut d�mon�tis�. En effet, quand une soci�t� d�couvre qu�elle est nettement plus en avance que ses �lites, que croyons-nous qu�elle fasse si ce n�est qu�elle s�en d�tourne et cherche par elle-m�me � se donner les moyens de se d�fendre. Plus grave que le foss� qui la s�pare du pouvoir, la trahison des chapelles pr�nant le changement sans s�y impliquer dans le combat ne finira-t-elle pas par donner quelques raisons aux autocrates en place ? Autrement dit, Bouteflika et le panel des partis rentiers sont en train de gagner leur pari sous le regard dubitatif d�une soci�t� d�sormais r�fractaire � tout ce qui s�apparente � l�engagement et aux actes civiques. En connaissance de cause, les Alg�riens vont plus souvent que d�habitude se d�tourner des messes �lectorales. Pour avoir essuy� tant de d�ceptions, ils seraient m�me dispos�s mentalement � donner un ch�que en blanc au r�gime tout en sachant que leur monnaie de singe n�obligera en aucune mani�re celui-ci � se pencher sur leur condition. C�est donc cela une soci�t� clochardis�e. Que les �garements de ses dirigeants en soient les coupables principaux, cela ne doit pas �pargner ses faux avocats que l�on appelle les partis de l�opposition. Solidairement, le pouvoir et son suppos� antidote portent l�enti�re responsabilit� de la faillite g�n�rale. La d�mocratie alg�rienne, qui s�appr�te � d�poser son bilan, le fera en d�mystifiant l�ensemble de l�establishment. Cette mythologie surfaite dont on en a fait un pan de notre histoire politique et a qui l�on a attribu� la gen�se de nos conqu�tes d�mocratiques. A partir d�avril 2009, ce pays entamera le cycle in�dit du sultanisme pl�biscitaire. Octobre 1988 ne sera, alors, qu�une parenth�se qu�il fallait fermer un jour.