Un mode de gouvernance étouffant comprime le pays. Débarrassée, par la contrainte et le marchandage, de toute contestation, la voie est libre à l'exercice de l'autocratie. Ce qui est bon pour le régime est bon pour le peuple. C'est à peine si une argumentation de pure forme accompagne les sentences autoritaires qui s'abattent sur le pays. Le pouvoir a confisqué les espaces politique et médiatique à son usage exclusif. Faute de moyens, l'opposition est astreinte au silence. Et, à moins de venir clamer son soutien au régime, elle n'a plus de voie pour se faire entendre. La société est, elle, délaissée. Peu importunés par un Etat qui n'applique la loi que pour harceler les personnes et les forces qui sont hostiles au pouvoir, les citoyens vaquent à leurs égoïstes occupations qui dans le trabendo, qui dans le taxi clandestin, qui dans l'activité non déclarée, qui dans l'enseignement à domicile, qui dans le commerce de trottoir ou d'entrée d'immeuble. “Hannini nhannik” (f… moi la paix ; je te f… la paix) semblent se répondre pouvoir et peuple dans un tacite pacte de non-agression. C'est peut-être cela “la paix revenue”, dont on nous rebat les oreilles, cette espèce de concorde pour “l'anarchie des braves”. Les pouvoirs publics ne descendent pas dans la rue et la rue ne va pas vers les institutions. Il n'y a pas d'Etat pour qu'il n'y ait pas d'opposition. Etrange et funèbre modus vivendi où l'on troque la responsabilité contre la citoyenneté, l'intérêt général contre le sauve-qui-peut. La justice se réserve aux empêcheurs de gouverner en rond et en particulier aux journalistes qui ne se sont pas encore adaptés à l'air du temps. Si bien d'ailleurs que le rituel du mardi, jour choisi pour enrôler les affaires de presse, n'est pas sans rappeler le macabre “mardi noir” qu'on avait observé dans les années 1992-1995. Même la coalition politique, qui “soutient” le pouvoir au lieu de l'exercer, subit le diktat du cercle décideur : les “indus élus” des Assemblées communales et de wilaya de Kabylie hésitent à appliquer la fetwa de leur illégitimité et ils sont menacés de dissolution par décret ; les députés songeraient à amender la loi sur les hydrocarbures et on les menace de dissolution de leur Assemblée nationale “s'ils changeaient la moindre virgule” au projet du gouvernement. Le diktat qui décrète l'irrégularité d'un élu est le même que celui qui a légitimé son statut pendant deux ans. La sentence ainsi lancée, sans argument de droit, pour accabler des élus dont on a besoin de se débarrasser ressemble, par son arbitraire, à la sentence qui a légitimé des élus malgré un vote qui n'a pas eu lieu. Le fait du prince ne corrige pas le fait du prince ; il le confirme. Et confirme, par là même, la nature d'un régime. M. H.