A l'heure o� tout le monde arabe se plaignait de la chert� du mouton de l'A�d, les agences de presse ont r�percut� cette information �tonnante: un kamikaze musulman co�te 2000 dollars environ. Sous le titre �Le musulman � vil prix�, le quotidien saoudien �pilogue sur le cas du jeune terroriste pakistanais qui a surv�cu aux attentats de Bombay. Ce kamikaze a r�v�l� que l'organisation qui l'a enr�l� a vers� � son p�re la somme de 300 000 roupies pakistanaises, soit l'�quivalent de 2000 dollars US. A comparer avec le prix du mouton sur les march�s des pays arabes et musulmans. De ce c�t�-ci, l'A�d 2008 n'a pas d�rog� � la r�gle: les Alg�riens se sont encore saign�s aux quatre veines pour sacrifier au rituel du massacre annuel du cheptel. Il n'y avait qu'� voir les mines d�confites de nos concitoyens au lendemain de cet A�d des sacrifices. Les jours suivant les f�tes sont douloureux, en effet, et pas seulement � cause de digestions difficiles. L'Alg�rien ne sait pas cacher sa mauvaise humeur, m�me quand il est sous l'effet de l'exaltation religieuse. Or, c'est sous le signe de la ferveur religieuse qu'on s'est ligu� pour lui soutirer le peu d'argent qu'il poss�d(ait)e. Ce qui ne devait �tre au d�part que la comm�moration symbolique du sacrifice d'Abraham est devenu, par glissements successifs, obligation religieuse stricte. Malheur au voisin chez qui on n'entend pas distinctement le b�lement du mouton de l'A�d. Dans leur course effr�n�e au respect des apparences, les Alg�riens en oublient les mis�res du quotidien et leur sous-alimentation chronique. Ils en sont arriv�s � se rationner toute l'ann�e en viande pour pouvoir en manger le seul jour de l'A�d. Oubli�s la pi�t� et le don de soi, par prog�niture interpos�e, du Patriarche ! Hors, l'observance du rite de l'�gorgement, auquel les enfants sont instamment convi�s, il ne reste que des estomacs trop longtemps, trop souvent, sevr�s. En une seule journ�e, les Alg�riens au z�le religieux incomparable oublient leurs r�criminations contre la vie trop ch�re, la viande inabordable. Le mouton du sacrifice rejoint le hidjab et le kamis sur la table des lois du nouvel Islam, tel que le veulent les nouveaux p�res fondateurs, � la t�te de l'Etat populiste et fondamentaliste. L'Etat, qui a renonc� � lutter contre la vie ch�re, soutient, quand il ne les suscite pas, les actions de �solidarit� ovine�. Il ne s'agit pas de pr�server le cheptel, et donc de stabiliser le march�, mais de donner aux plus d�munis la possibilit� d'�gorger et de se gaver de mouton. Comme le p�trole baisse de plus en plus (1) et que les Alg�riens n'ont pas attendu la crise mondiale pour s'appauvrir, il leur restera toujours l'alternative du �kebch ezzawali�. C'est d'ailleurs cette id�e du �mouton du pauvre� que de jeunes Egyptiens ont exploit�e sur le site Face-Book, devenu par la force des choses le principal m�dia d'opposition en Egypte. Ces jeunes se sont donn� le nom de �Al-Mawkoussine�, ce qui signifie �Les rat�s� en dialectal �gyptien et ils animent habituellement un r�seau de soutien aux ch�meurs et aux exclus du syst�me �ducatif �gyptien. Pour l'A�d, ils ont lanc� l'op�ration �Un mouton pour chaque lamin� (2) visant � recueillir des fonds pour l'achat de 7000 moutons. Quant aux marchands, toujours plus malins, ils ont eu recours � la vente � cr�dit pour �couler leurs moutons de plus en plus chers chaque ann�e. Le quotidien londonien Al-Qudsse fait l'�cho de la satisfaction des maquignons devant le succ�s de ces ventes � temp�rament. Le quotidien pr�cise que l'Egypte a �gorg� l'ann�e derni�re, � la m�me occasion, plus de 250 000 t�tes de moutons. Cette ann�e, le mufti d'Al-Azhar a demand� � ses concitoyens d'envoyer leurs moutons aux Palestiniens de Gaza, lamin�s eux aussi par le blocus impos� conjointement par Isra�l et par le Hamas. Les dirigeants du Hamas, qui �tendent leur poigne de fer � l'enclave de Gaza, y sont all�s un peu fort cette fois-ci en emp�chant des p�lerins de se rendre sur les Lieux Saints. Le pr�sident palestinien en a profit� pour faire de la surench�re religieuse, assimilant les responsables du Hamas aux �M�cr�ants de Kore�che� et aux Karmates. Frapper � droite, frapper � gauche: le pr�sident Abbas qui a fait cette d�claration � son arriv�e en terre sainte, n'a pas oubli� les le�ons de ses professeurs alg�riens. Il a d� en rencontrer d'ailleurs, sur son chemin de p�lerin puisqu'il est d�sormais �tabli que nos dirigeants sont � la pi�t� ce que l'abeille est aux fleurs. Il est donc tout � fait naturel que l'Etat-providence pratique � l'�gard de ses employ�s et cadres, une solidarit� religieuse de bon aloi. En les envoyant en p�lerinage, sur ses deniers propres, aussi propres que s'ils �taient les n�tres, l'Etat ne fait qu'agir conform�ment � sa mission de redistribution de la rente. Ce qui n'est pas, admettons- le, tr�s compatible avec les prescriptions divines en mati�re de p�lerinage ou de sacrifice. Mais qui craint aujourd'hui les foudres divines ? M�me ceux qui les brandissent comme formules incantatoires n'envisagent l'intervention divine qu'en termes de retomb�es �lectorales. A condition, toutefois, que toutes les conditions soient remplies, et aussi bien remplies que les urnes, au moment du choix du peuple. Trop occup�s � lorgner sur le mouton de l'A�d et sur les bousculades en terre sainte, nous avons failli rater cette information lumineuse, c'est le cas de le dire, qui nous vient d'Europe. L'Union europ�enne vient, en effet, de fixer le calendrier de fin de vie des vieilles lampes � incandescence. Ces lampes traditionnelles devront toutes avoir disparu au 1er septembre 2012. Ainsi, les foyers europ�ens devront progressivement s'�quiper de lampes dites �nouvelle g�n�ration� qui consomment cinq fois moins d'�lectricit� que celles utilis�es actuellement. Question : que feront-ils de leurs vieilles lampes ? La r�ponse, vous l'avez d�j�, ils vont nous les revendre � bas prix. Autre question lancinante: en 2012, nous aurons toujours nos vieilles lampes, d�clinantes mais �mettant encore de faibles lueurs. Nos vieilles lampes, ainsi que celles du monde arabe, ne sont pas recyclables, ni solubles dans des solutions d�mocratiques. Et puis, vu leurs �tats de service, qui acceptera de nous les acheter ? O� trouverons- nous des repreneurs plus malheureux que nous ? Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de nos vieilles lampes ? Dans l'accord d'association que nous n�gocions actuellement avec l'UE, il serait possible d'inclure une clause concernant nos vieilles lampes. Seulement, il n'est pas s�r que le pays puisse �tre en mesure de n�gocier quoi que ce soit � la lumi�re de nos vieilles lampes. A. H. (1) Le langage du pouvoir est de moins en moins clair. Il y a quelques semaines, on nous disait qu'un baril de p�trole au-dessous de 70 dollars serait catastrophique pour nous. Aujourd'hui, il plonge vers les 40 dollars et on nous dit que nous avons de quoi lutter contre la temp�te en attendant de toucher le rivage. Le navire Alg�rie aurait-il un double gouvernail, � l'instar du double langage de ses officiers de bord ? (2) En Egypte, on ne se contente pas d'�tre pauvre, on est �methoune�, c'est-�-dire litt�ralement �cras�, lamin� par la pauvret�. Et je vois la meule qui se dirige r�solument et droit sur nous.