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CHRONIQUE D�UN TERRIEN
La grande harba (XVIII) Par Ma�mar FARAH [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 10 - 2009

Le chef des tangos, le BPB, nous propose de jouer une partie de football contre sa formation. Si nous gagnons, nous sommes libres. Si nous perdons, c�est Ali le boucher qui s�occupera de nous�
Il y avait foule au stade de San Z�ro de Yakouren. Situ� dans une clairi�re domin�e par la gu�rite de surveillance des tangos, il n�a pas de tribune. Ni de gradins d�ailleurs. Une petite et fragile cl�ture entoure le terrain dont la forme rappelle tout sauf un rectangle. En guise de tribune d�honneur, on avait install� une vieille moissonneuse-batteuse, souvenir de l��poque glorieuse de l�ancienne Alg�rie du XXe si�cle, du temps o� ces engins, sortis de l�usine de Bel-Abb�s, faisaient la fiert� des fellahs et du pays. L��t� venu, on pouvait les voir partout : c�est gr�ce � elles que les r�coltes de bl� pouvaient atteindre des records. Mais personne n�en parlait. Dans l�Alg�rie d�avant la �grande harba�, devenue un d�potoir de tous les produits mal faits de la plan�te, on avait toujours la pr�f�rence pour tout ce qui venait de l��tranger. Mais personne ne disait aux g�n�rations montantes que le bl� alg�rien, tout le bl� alg�rien, �tait moissonn� par des machines alg�riennes. Et les tracteurs ? Mettez devant un agriculteur toutes sortes de tracteurs et dites-lui de choisir. Il vous dira : �Moi, je pr�f�re le Cirta, le Deutz de Constantine !� Je ne fais pas de la d�magogie, c��tait �a l�Alg�rie, avant que les trabendistes ne viennent tout casser, mais, dans l�esprit de nos fellahs, rien ne pourra remplacer les machines agricoles de Bel-Abb�s et de Constantine. On raconte que les Chinois ont ramen� avec eux des engins sophistiqu�s de l�usine de Bricou Lage, situ�e dans la vall�e de Shanghai. Mais d�s qu�ils ont vu le Deutz de Cirta, ils ont eu le coup de foudre, � tel point que leur po�te en vogue, un certain Bouedjema� Chang, �crivait :
�Mon c�ur en balade
Du Royaume du milieu
A la ville de Jade
Cirta entre terre et cieux
J�aime tes nuits blanches Tes ponts, tes bazars
J�aime quand tu d�hanches
Comme un tracteur hagard
J�aime de Bel-Abb�s
La gare, les places
Mon c�ur elles blessent
Vivent tes �Kla�s !�
Mes pens�es, vagabondes, erraient dans les entrailles de l�Alg�rie d�avant que j�aimais follement. Partout o� j�allais, je rencontrais des gens joyeux, heureux de vivre. Maintenant, ils sont tous loin. Il n�y a que des Chinois r�p�t�s � l�infini. Ils sont bien. Mais ils ont leurs cultures, leurs us et coutumes. En Alg�rie africaine, il y avait aussi beaucoup d�autres nationalit�s. Les gouvernants aiment les ouvriers chinois, pakistanais, malaisiens, turcs, �gyptiens, etc. Mais d�s qu�ils entendent parler d�un Alg�rien revenu de Sard�lie, ils lui font la chasse. Mes pens�es sont rappel�es � l�ordre par Mouh Dribble Tout, notre entra�neur. C�est un Oujdi venu en Alg�rie il y a tr�s longtemps, dans le cadre de la coop�ration entre les minist�res des coups bas des deux pays. Il a aim� Yakouren et il y est rest�. Pourquoi l�avoir choisi au d�triment du buveur de Jack Daniel�s qui partait pourtant favori avec son exp�rience de plongeur � la buvette du Stade de Reims ? Il faut dire que nous n�avions rien � voir avec cette d�cision. Le BPB tenait toujours sa �mahchchoucha � � port�e de main et nous ne voulions pas subir le sort des deux arbitres et du pauvre supporter. Aussi, quand il nous annon�a que notre �quipe allait �tre driv�e par ce Mouh Dribble Tout, nous accept�mes sans broncher. D�ailleurs Mouh �tait c�l�bre dans toute la contr�e : il dribblait effectivement tout ! Ses adversaires dans les matches, et m�me ses co�quipiers. En ville, il dribblait les passants, les voitures, les lampadaires. A la maison, il dribblait femme et enfants. On raconte que lors d�une visite pr�sidentielle, il fut rattrap� � la derni�re minute par les services de s�curit�. Il voulait dribbler le chef d�Etat en visite dans la r�gion. Depuis, d�s qu�une personnalit� �tait annonc�e, on le ligotait. Avant le match, Mouh nous donna deux instructions : attaquer tous et d�fendre tous. Je lui fis remarquer que nous n�avions pas la condition physique pour pratiquer une telle tactique qui demandait beaucoup d�efforts, il me r�pondit que �a n�avait rien � voir et qu�il fallait attaquer tous et d�fendre tous. L�arri�re central lui demanda ce qu�il devait faire si un joueur adverse se pr�sentait seul face � lui. �Attaquez tous et d�fendez tous.� Autant dire que ce type parlait pour ne rien dire. D�s que nous f�mes loin du banc de touche, le pied-noir nous rassembla pour nous donner quelques conseils : �Ce Mouh Dribble Tout est le plus mauvais coach de la plan�te. Laissez tomber ce ridicule. �Attaquez tous et d�fendez tous�. Pratiquons le 2-2-2-2-2.� Et nous nous lan��mes dans la partie, sous la direction d�un arbitre qui avait choisi un pyjama ray� comme tenue officielle. Le BPB avait pris place sur la moissonneuse- batteuse, � c�t� de l�ancien maire FIS, d�un ancien moudjahid de la guerre d�Afghanistan et de quelques notables chinois. Il y avait aussi Mama Grilou, de son vrai nom Mutsi Bouchi, une Japonaise mari�e � un Chinois d�c�d�, depuis peu, des suites d�une forte absorption de Viagra. Mama Grilou �tait une fervente supportrice de l��quipe des tangos. Elle la suivait dans tous ses d�placements � travers le pays. Elle nous regardait comme des chats gris, car elle avait en horreur les chats gris. On lui pr�ta des lunettes qui nous transformaient en chats noirs. Et encore� Elle avait convoqu� l�arbitre et lui avait donn� des instructions tr�s claires : les tangos devaient gagner. Elle lui rappela que les r�gles de l�honn�tet� et de l�impartialit� �taient le produit d�une mentalit� n�o-bourgeoise issue d�une conception erron�e de la lutte des classes en p�riode post-mondialisation ; ce qui voulait dire, en mots plus simples : �Si cette bande de tar�s l�emporte, dis adieu � ton extrait de naissance !� Sur ce, le m�me arbitre fut convoqu� par le BPB qui lui rappela les vertus cardinales de l�arbitrage � plus de 1 000 m d�altitude : �Les tangos doivent gagner en cas de victoire. S�ils perdent, ils sont gagnants. S�ils font match nul, un lancer d�une pi�ce de dinar-yuan les d�signera comme gagnants puisque les deux faces de cette monnaie sont des piles !� En fait, je crois que la mamie et le chef des barbus en faisaient trop� pour rien ! Nous partions d�favoris�s face � l��quipe des tangos. Nous allions perdre le plus sportivement du monde. Ce n��tait donc pas la peine de terroriser ce poltron d�arbitre dont le corps fondit au milieu du pyjama ray�. En face de nous, il y avait onze gaillards dont le plus petit devant mesurer 1m 85 ! En plus, ce n��tait pas de la chair molle. Ils �taient muscl�s comme Hulk lorsqu�il se mettait au vert ! L�arbitre donna le coup d�envoi. D�s que le pied-noir entra en possession du ballon, au milieu du rond central, l�arbitre d�signa le point de penalty. Il annon�ait clairement la couleur. Le buveur de Jack Daniel�s rousp�ta et demanda des �claircissements au �referee �. Ce dernier sortit son carton jaune et dit au pied-noir : �Il ne faut pas remettre en cause les d�cisions justes et courageuses de l�arbitre. Ce penalty est r�glementaire. As-tu lu l�alin�a 4 de l�article 36 ?
- Non ! Qu�est-ce qu�il dit ?
- Lorsque l�arbitre sent l�ail chez le possesseur de ballon, il accorde automatiquement un penalty � l�adversaire.
- Mais je n�ai pas mang� d�ail depuis le dernier repas � l�auberge du ma�tre des monts Kunlun � B�ja�a !
(A suivre)


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