Cela dure depuis plusieurs semaines, chaque jeudi soir, les quartiers résidentiels de Hydra se retrouvent dans une autre dimension. Et pour cause, des matches opposant de petits virtuoses se tiennent devant des tribunes archicombles. L'Algérie sera championne du monde en football ! Pour beaucoup de nos compatriotes juste le penser, c'est déjà un blasphème, l'écrire et le dire c'est carrément de la folie. Pourtant, cette “fanfaronnade” nous l'avons bien entendue ces derniers temps et à plusieurs reprises. Pas d'une seule personne ou de deux qu'on pourra mettre dans la catégorie des “marginaux” mais plutôt des centaines, voire des milliers entre ceux qui le crient haut et fort et d'autres qui au moins acquiescent de la tête. Ils forment une “secte” qui n'a pas un seul gourou mais plutôt 16 dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 12 ans. Ces seize sont reconnaissables à leurs pieds nus. Chaque jeudi, tous se retrouvent du côté de Hydra dans un rituel qui transforme les alentours du lieu de “culte” en véritable fourmilière à la grande surprise des riverains et particulièrement des papiches de Sidi Yahia (le néo-quartier branché d'Alger). Comment ne pas être étonné lorsque vous voyez des jeunes venant de plusieurs quartiers de la capitale (il y a même ceux qui viennent de La Casbah à pied) sortant des ruelles de Hydra et se dirigeant tous à vive allure vers le stade. En plus, ils ont un signe distinctif : un carton qu'ils portent à la main. Un “matériel” bien important puisque c'est pour s'asseoir dessus dans les gradins. Pour ceux qui sont encore dans le flou, il faut savoir que depuis la première lettre de cet écrit, on ne parle que d'un seul sujet : l'académie de football du club de Paradou. Des bambins de 12 ans sont en train de devenir un véritable phénomène de société au grand bonheur de leurs nombreux fans. Une lueur qui vient éclairer un tant soit peu les tristes jours dans lesquels baignent les Algériens depuis belle lurette. Leurs matches d'exhibition suscitent de plus en plus de curieux et à ce rythme-là, même le stade du 5-Juillet ne leur suffira sûrement pas. Les jeudis de l'espoir Ainsi, et cela dure depuis plusieurs semaines, chaque jeudi soir, les quartiers résidentiels de Hydra sont totalement dans une autre dimension. Les matches des petits virtuoses se déroulent chaque fois devant des tribunes archicombles. À l'instar de beaucoup d'Algérois, le 22 janvier dernier, on est allé les voir à l'œuvre. À 18h45, on était déjà du côté du quartier du Paradou. Pour arriver au stade, soit à quelques centaines de mètres, il nous a fallu près de 45 minutes. Après avoir subi un embouteillage monstre, nous avons tout le mal du monde à trouver une place pour se garer. En rentrant au stade, nous étions déjà ahuris devant l'ambiance des grands matches qui y régnait. Les gens étaient très serrés dans les tribunes et ce n'est pas à cause du froid glacial de la soirée. Malheureusement, on avait déjà raté la première mi-temps de cette empoignade entre l'Académie et les cadets du CRB (âgés entre 15 et 16 ans). Ce n'était pas la peine de demander le score puisque nombreux parmi ceux qui étaient dans les tribunes le donnaient en criant aux retardataires tout en ajoutant : “Ratitou ya yamakoum !” (vous avez raté). 3 à 1 s'est donc terminée la première période en faveur des Académiciens. Les trente minutes de la seconde période furent un véritable spectacle. Ceux qui venaient de voir le terne match juste quelque heures avant entre les “grands” du CRB et du MCA pour le compte des 16es de finale de la Coupe d'Algérie (gagné par le CRB par les tirs au but après un terne zéro à zéro) n'arrêtaient pas de faire des commentaires du genre : “Les vrais footballeurs sont ici et pas chez les seniors de Mickey”. Tout à fait compréhensible lorsqu'on voit le jeu de l'Académie sur le terrain, véritable régal pour les yeux. Fluide, sans déchet, discipliné et en plus avec un talent incroyable, ces petits de 30 kilos, tout en nageant dans leurs grands maillots, donnaient un véritable spectacle aux chanceux présents. La partie s'est terminée par le score sans appel de 7 buts à 1. La performance est d'autant à signaler que les vainqueurs se sont permis de rater trois penalties et qu'ils ont joué sans souliers ni bas, et surtout sans… gardien de but. De leur côté, les fans dans les tribunes lançaient des fumigènes et des feux d'artifice à chaque but nous rappelant les plus beaux moments du stade du 5-Juillet. Parmi les spectateurs, il n'y avait pas seulement des jeunes. On a remarqué la présence de plusieurs adultes accompagnés de leurs enfants, ce qui est devenu presque “inchoufable” dans nos stades depuis plusieurs années. Krimou, la cinquantaine, est l'un d'eux. À la fin de la rencontre, il semblait encore dans les nuages ; apparemment, il n'arrivait pas à croire à ce qu'il venait d'assister. Il nous a dit presque en chuchotant : “Finalement dans ce pays, il y a de l'espoir”, alors qu'a côté de lui, son fils d'une dizaine d'années, Idir, commentait encore des actions du match. De son côté, Mohamed, la trentaine, faisait des éloges presque en criant : “Ce sont tous des grands joueurs et surtout ce satané numéro 8, un véritable maestro. On m'a d'ailleurs dit que Arsenal l'a contacté ; il le mérite amplement”. Pour Krimou, l'espoir peut se concrétiser : “Avec cette équipe, on peut aller très loin. C'est notre future sélection nationale et on peut même gagner la Coupe du monde. On ne va même pas attendre qu'ils soient seniors. Ils peuvent déjà penser à gagner la Coupe du monde des moins de 21 ans”. Au même moment, les jeunes sortaient du stade en scandant un slogan qu'on a souvent entendu pendant le match : “Taâlamou ! Taâlamou ! Eh ! Eh ! Eh !” (Apprenez ! Apprenez !). Pour éviter les épisodes de Zidane, Benzema… Alors, de quoi s'agit-il vraiment ? Est-ce aussi stupéfiant que ça ? Est-ce un miracle sur ces lieux non saints ? Tout simplement, il s'agit d'une institution, l'Académie JMG, les initiales de son fondateur, Jean-Marc Guillou. Un ex-international français (il était capitaine de la sélection de son pays lors de la Coupe du monde de 1978 en Argentine) qui depuis plusieurs années est en train de se faire un nom à travers le monde entier. Il a créé son académie en 1994 et elle est implantée dans plusieurs pays, que ce soit en Afrique ou en Asie. Pour avoir une idée sur ses résultats jusqu'ici, il suffit de vous donner quelques noms issus de celle-ci et qui font maintenant le bonheur de plusieurs grands clubs européens : Yaya Touré du FC Barcelone (Espagne), son frère Kolo de Arsenal (Angleterre), les Ivoiriens Kalou de Chelsea (Angleterre), Eboué de Arsenal, et bien d'autres stars du ballon rond. Cette académie est en Algérie depuis 2006 après avoir signé un partenariat exclusif avec le club du Paradou Athlétic Club (PAC), sociétaire de la division II et créé il y a même pas…17 ans. Olivier Guillou, neveu de JMG, est le responsable de la section d'Alger de l'Académie. Nous l'avons rencontré il y a une dizaine de jours à la fin d'une rencontre que ses joueurs ont gagné face aux cadets du MCA (4 à 2) : “Ces 16 joueurs nous les avons sélectionnés sur près de 20 000 enfants à travers tout le territoire national”, nous avait-il affirmé, en précisant qu'ils sont ensemble depuis fin 2006. Il nous indiquera que les 16 ont signé des contrats de trois ans renouvelables “3 plus 3” sans toutefois nous donner plus de détails. Il ne nous dira rien sur cette information (que nous a refilée un proche de la direction du club) selon laquelle il est noté dans le contrat que les joueurs ne pourront pas porter un autre maillot que celui de la sélection algérienne. Face à celui que les petits maestros appellent coach, nous ne pouvions nous empêcher de lui poser des questions qui étaient sur les lèvres de beaucoup de curieux. Elles concernent essentiellement deux points : pourquoi les faire jouer pieds nus et pourquoi jouer sans gardien de but. Pour Olivier Guillou, les réponses étaient claires et nettes : “Ce sont des garçons de 30 kilos, leur ajouter des souliers, des bas et des protège-tibias, cela va beaucoup les alourdir. En plus ce n'est qu'ici que c'est surprenant. En Afrique, c'est tout à fait normal que les joueurs de leur âge jouent pieds nus. D'ailleurs, je demande à chaque fois aux équipes adverses que nous rencontrons ici de jouer eux aussi pieds nus mais c'est toujours un non catégorique que je reçois”. Concernant le fait de jouer sans goal, il dira : “C'est un poste très sensible et on ne peut pas former des jeunes de cet âge à ce poste. On ne sait pas comment va grandir l'enfant et quelle taille il va avoir et c'est pourquoi on a préféré ne pas en former”, mais il ajoutera tout de même : “On va peut-être ramener des gardiens de but dans quelques années”. Malgré le fait de jouer sans gardien de but et pieds nus (mais souvent avec des gants lorsqu'il fait froid) l'Académie a gagné presque tous ses matches avec des scores plus proches de ceux du handball que du foot. D'ailleurs, et on n'a pas pu le confirmer, il y aurait même des clubs qui auraient refusé de jouer contre l'Académie par peur de l'humiliation. Depuis le début de ses matches d'exhibition, l'Académie n'aurait perdu qu'un seul match contre les cadets du CSC, il y a de cela près de trois semaines, “mais cet adversaire avait totalement fermé le jeu en jouant très dur et même leurs buts c'étaient par des tirs de loin profitant de l'absence de gardien”, nous dira dépité Mohamed qui était présent ce jour-là en nous précisant : “Cela nous a vraiment navrés surtout qu'à la fin de la rencontre les joueurs de l'Académie étaient en train de pleurer”. Pour le régime de vie des 16, leur coach nous informera qu'ils vivent ensemble 24h/24h. “C'est comme une fratrie. Ils font presque tout ensemble”, nous dira-t-il. Les 16 crèchent dans une villa à Baba Hassen et s'entraînent deux fois par jour. En parallèle au football, ils poursuivent leurs études selon le programme scolaire officiel avec des enseignants “à domicile”. Olivier Guillou nous annoncera qu'en septembre prochain, il va y avoir une autre vague de joueurs de 10 à 12 ans qui seront sélectionnés. “On n'a pas de limite dans le nombre. L'actuelle équipe en renferme 16, dans la prochaine, si on en trouve même 40 qui vont répondre à nos critères, alors on va les prendre tous”. L'extrapolation inévitable Au-delà du côté footballistique qui certainement intéresse plus d'un, il y a un autre aspect beaucoup plus vaste que beaucoup parmi ceux qui sont venus admirer les petits joueurs ont maintes fois observé. Il s'agit des notions de formation, de travail avec des résultats palpables, et surtout de la conception d'un avenir prometteur pour l'Algérie. Beaucoup n'ont pas cessé de réfléchir à voix haute en extrapolant ce qu'ils voyaient sur le terrain sur la situation générale du pays : “Ceux qui doivent avoir des académies de formation ne sont pas seulement les clubs de football, mais aussi toutes les entreprises et institutions du pays”. S. K.