T�kout, 12 mars 2010. L�atmosph�re est lourde et charg�e. D�habitude, les importantes chutes de pluie apaisent les esprits. Mais cette-fois-ci, il n�en est rien. H�las ! La mort r�de et fauche des vies chaque semaine, parfois chaque jour. La silicose terrasse sans distinction d��ge, m�me si les jeunes figurent en t�te de ce triste et lugubre tableau des victimes. Le malheur ne vient pas seul, la mort aussi. Les tailleurs de pierres qui ne sont plus de ce monde, au nombre de 50, ont laiss� derri�re eux femmes et enfants. Au total, 27 veuves et plus de 50 orphelins. Aucune veuve ne d�passe la trentaine. Le 12 mars dernier, on a appris que 8 nouveaux cas se sont d�clar�s. Ces malades, dont 2 dans un �tat grave, sont alit�s. Les familles sont en deuil. Les T�koutis comptent leurs morts, avec un terrible sentiment d�impuissance, mais aussi de d�sespoir et de col�re. Ceux que nous avons rencontr�s, des parents de malades ou de d�funts, nous ont dit n�attendre plus rien. Ils se disent eux-m�mes au bord du tr�pas. Et ces derniers d�expliquer : �Nous avons trop attendu ; on continue de nous gaver de tables rondes, de portes ouvertes et autres journ�es d��tude ; des m�decins et sp�cialistes sont venus de Batna et d�Alger, et le repr�sentant du ministre de la Sant� a fait le d�placement � T�kout ; les derniers arriv�s sont les gens de la t�l�vision, mais rien, absolument rien n�a chang�. Aucune am�lioration de la situation n�est enregistr�e. Notre revendication principale, � savoir le classement de la silicose en tant que maladie professionnelle, pour que les familles de tailleurs de pierres b�n�ficient du droit au capital d�c�s, reste lettre morte. A croire que nous appartenons � un autre Etat !� Le maire de la petite ville de T�kout, M. Benchouri Messaoud, tente un discours plut�t diplomatique, profession et obligation de r�serve obligent. Mais les mots trahiront cet �quilibre. Il nous dira � ce sujet : �En tant que maire, je fais de mon mieux pour aider aussi bien les malades que leurs familles, car il faut comprendre qu�� un stade avanc� de la maladie, les patients sont totalement d�pendants de leur milieu familial : branchement de la bouteille d�oxyg�ne ou mise en marche de l�appareil d�oxyg�nation. Dans une d�cision unanime au niveau de l�APC, nous avons accord� la priorit� au recrutement, dans le cadre du dispositif du filet social, aux familles ayant un membre souffrant de silicose. Nous sommes en train de nous battre pour cr�er un num�ro d�assurance pour les malades. Nous leur achetons certains m�dicaments et nous rechargeons, � chaque fois que c�est possible, les bouteilles d�oxyg�ne des malades. Certes, �a ne r�gle pas le probl�me. Mais notre objectif, c�est d�all�ger leurs souffrances, nous n�avons pas la pr�tention de faire plus. Nous demandons souvent aux journalistes qui viennent � T�kout de nous aider, de ne pas rechercher le sensationnel. Il y va de la vie et de l�honneur des gens.� Pour pouvoir rendre visite � un malade alit� qui habite � quelques kilom�tres de T�kout, � Chenaoura, une petite agglom�ration, Malik, fonctionnaire � la mairie, se porte volontaire, ainsi qu�un cousin proche du malade. Chez son oncle � Chenaoura, Noureddine Selami, 36 ans, nous attendait, en d�pit de ses souffrances, le sourire aux l�vres. Noureddine nous informe qu�il a taill� la pierre pendant 6 ans, un peu partout, comme tous les tailleurs de pierres de T�kout. A Alger, Batna, Tajnent� C�est lors d�une consultation m�dicale � Alger, en l�an 2000, suite � des douleurs au thorax, que Noureddine a appris qu�il souffrait de silicose, �aghoubar� comme disent les jeunes de T�kout, en parlant de cette maladie. En d�pit du diagnostic, il a repris le travail de taille de la pierre, pour pouvoir r�pondre aux besoins de sa famille, nombreuse, qu�il a laiss�e � T�kout, alors qu�il s�est install� provisoirement � Alger. On apprend que des donateurs, ainsi que la mairie de T�kout, s�occupent du remplissage des bouteilles d�oxyg�ne ainsi que de l�achat de l�appareillage n�cessaire. �Nous n�avons pas peur de mourir, mais c�est � l�id�e de laisser des veuves et des orphelins que nous vivons le cauchemar !� Ce sont les premiers mots lanc�s par un jeune tailleur de pierres qui a accept� de nous parler pour exprimer son ras-le-bol. En plus de la maladie qui fait des ravages, s�ajoute la suspicion. Des id�es du Moyen Age, nous dit Farid Aksses, 25 ans, qui totalise 10 ann�es de travail dans ce cr�neau. Farid n�en est pas fier, mais il ne s�en cache pas. Il nous explique que sans ce travail, il serait d�pendant, et il n�aurait jamais pu se marier. Dans un chaoui croustillant il nous explique que T�kout est un cul-de-sac. Les visiteurs autant que les habitants, prennent la m�me route� Histoire d�expliquer qu�il n�y a qu�une seule voie. Il faut alors aller ailleurs pour gagner son pain. Et comme les jeunes du village ne connaissent g�n�ralement aucun autre m�tier que celui de tailler des pierres, ils sont condamn�s. Entre d�ception et col�re, Farid ne comprend pas pourquoi, en d�pit de tous les appels de d�tresse lanc�s, de la cinquantaine de d�c�s et des centaines de malades, aucun signe des tutelles, c'est-�-dire minist�res du Travail et de la Sant�, n�est l� pour signifier au moins une �tude des dossiers ou des prises en charge. L�indemnisation reste un r�ve, les veuves n�ont que leurs familles pour leur venir en aide, elles vivent dans la mis�re. Dans les caf�s ou dans les modestes gargotes, o� nous avons rencontr� des citoyens de T�kout, le sentiment est le m�me. Et la m�me phrase revient : �Nous sommes moins alg�riens que d�autres. Nous sommes loin d�Alger, loin de la maison de la Presse. Si les personnes �g�es ne parlent point, elles n�en pensent pas moins. On fait actuellement circuler une p�tition pour demander au pr�sident de la R�publique d�intervenir, car les exp�riences du pass� ont prouv� leurs limites et leur inefficacit�.�