Les jours de neige, de pluie, de vent de soleil et de rien du tout, il ne se passe rien dans cette bourgade sans passé, sans avenir. Ici, personne ne se souvient de quelque chose qui vaille vraiment la peine d'être racontée. Personne non plus ne pense à ce qui va se passer dans l'avenir, et pour cause, il n'y a pas d'avenir. Il ne manquerait plus que ça, d'ailleurs. Heureusement qu'il y a la mort, pour mettre un peu d'ambiance dans la vie à l'arrêt des villageois. Le problème est que ça ne fait pas vraiment un évènement, tellement il y a des gens qui meurent. On meurt de vieillesse, on meurt d'accidents – ici, il n'y a ni routes ni voitures, mais on peut toujours tomber d'un arbre ou d'un toit –, on meurt de maladies dont on ne connaît pas le nom, on meurt d'ennui, on meurt de sa belle mort, même si c'est tout de même moche de mourir. Le laurier vert, ici, on ne l'utilise pas en cuisine. Pour plein de raisons, mais d'abord parce qu'il n'y a pas de cuisine. Ici, il y a la galette et le couscous. D'ailleurs, tout le monde a deux mots à dire à Fellag qui présente l'alternance entre le couscous, la loubia et les macaronis comme une misère vécue dans son enfance de misère. Ici, les pattes et les haricots, c'est des festins de rois dont on ne rêve même pas. D'ailleurs, on rêve pas tellement, ici. Pour beaucoup de raisons, mais d'abord parce qu'on dort très peu. Ici, le réveil éveillé est dans le meilleur des cas une philosophie trop savante, donc compliquée. Le laurier vert, on en fait des lits de mort. C'est connu, ceux qui n'ont pas de cuisine s'occupent bien de leurs morts. Quelques heures avant chaque enterrement, un groupe d'adolescent est mobilisé pour aller couper des branches de laurier vert qui pousse sur les parois pierreuses de la montagne, toute proche. Ils les ramènent au cimetière ou de vieux grabataires qui ne servent plus à rien arrachent les feuilles en dissertant sur la mort. Ça leur arrive même de rigoler en se chambrant, l'un disant à l'autre que le prochain enterrement sera le sien. Ici, il n'y a que la mort, autant en rire alors. Aux veillées funèbres, il y a toujours du couscous, parfois avec de la viande, comme dans les fêtes. Maintenant les choses ont changé, beaucoup changé. Les optimistes disent que c'est en bien, les pessimistes que c'est en mal et les «péptimistes» s'en foutent royalement. Les «trois» de Fellag sont devenus des repas du pauvre, il y a des pâtisseries aux veillées funèbres et on a appris à mettre du laurier vert dans la marmite. Déclassé, errant, laminé par la vie, sans famille et sans perspective, Djilali a quitté le village pour squatter un coin de marché de la ville la plus proche. Tous les vendredi, il va voir le patron d'un restaurant et lui demande un «couscous sans problème». C'est-à-dire sans viande et gratuit. Le rapport de cette «chute» avec le reste du texte ? Aucune, tout est délire.