Fellag, c'est toujours le pitre contre le pire. Pour vous en convaincre davantage, allez le voir à Paris, dès le 11 septembre, au Théâtre champ-élyséen du Rond-point. Il y jouera, comme il le fait depuis plus d'un an, un chef doublement toqué qui cuisine des «Petits chocs de civilisation». Un marmiton du one man show qui mitonne un couscous culturel, préparé pour faire entrechoquer et interagir culture française et culture algérienne. Bouillon de cultures fait d'une addition de grains de semoule, de légumes variés, d'épices chaudes et de viandes en sauce. Le tout, émulsionné pour mieux concilier Saucisse et merguez, France et Algérie, Orient et Occident, Islam craint et Chrétienté craintive, l'amour et la haine, xénophiles français et xénophobes gaulois. Après le mémorable «Tous les Algériens sont des mécaniciens», joué par une doublette artistique en fusion sur les planches et couple d'harmonie et de spiritualité en ville, Mohamed Fellag revient seul au théâtre. Avec sa toque de chef cuisinier de l'humour franco-algérien épicé, dont il a concocté, comme d'habitude, les recettes piquantes, il assaisonne de truculence et de gentille férocité travers de porcs gaulois et côtelettes de mouton halal. Bien aidé en cela par la subtilité de la mise en scène de la discrète Marianne Epin, qui a mis son sel de Guérande pour relever la sauce du couscous. Ça vous donne alors un opus mitonné aux petits oignons. D'habitude, Mohand Said, Fellag de son nom et de son renom, jetait un regard sans concessions sur les travers de la société algérienne. Cette fois-ci, il franchit un cap en scrutant, avec une douce méchanceté, la méfiance, la défiance, les peurs xénophobes, mais aussi le dépit amoureux des Français. Et, comme pour les siens, les armes utilisées sont les mêmes : dérision subversive et humour corrosif. Et ça part dans tous les sens pour faire sens. Pour mieux expliquer, sans le dire explicitement, pourquoi c'est ton rejet de Français pour le mien d'Algérien, ta souffrance pour la mienne et ta peur qui vaut bien la mienne ou qui l'explique ! Après un prélude où il rappelle ses premiers pas en France au moment de l'attentat du RER parisien de Saint-Michel, Fellag prépare en direct son couscous. La semoule adoucie par la vapeur est un prétexte à des variations sur les thèmes de l'immigration maghrébine, le ramadhan, l'épicier arabe du coin, le visa, le vieillissement de la population française, le halal, l'alcool, les prières publiques musulmanes, le racisme et même le réchauffement climatique. Dans ce seul-en-scène, Fellag, cuisinier-conférencier sur des planches transformées en cooking-show, extrapole et délire sur la géopolitique de la haine et la géographie de l'amour. Dans ce cours singulier de cuisine particulière, comme toujours, l'absurde le dispute au burlesque. «Petits chocs des civilisations», comme l'indique l'adjectif même de la petitesse, est un bel optimisme gourmand qui conjure, en l'exorcisant, le fameux grand choc des civilisations. Car, comme le dit Fellag, «quand l'appétit va, tout va». Surtout que le rire, quand il est franc, n'a pas d'accent : il est algérien, il est français, et il peut être aussi franco-algérien. Après tout, cet one man show a été élaboré pour démentir les Cassandres qui prévoyaient depuis des lustres le choc de l'andouillette triple A et de la merguez épicée. Mais que de chemin parcouru pour le préparer ! Au départ, un texte écrit en 2002 pour montrer «comment réussir un bon petit couscous», joué au théâtre par un acteur français. Ce qui était déjà un mariage de raison, à défaut de devenir une union d'amour franco-algérienne. Ensuite, un sondage sur le couscous, consacré plat préféré des Français. Et, tels des légumes croquants sur la semoule de blé dur, cette idée saugrenue d'apéro géant saucisse-pinard en 2010, pour contrer les prières de rue débordantes de musulmans dans le quartier parisien de la Goutte d'Or. Et cette autre idée, tout aussi farfelue, d'un apéritif halal et thé à la menthe, grandeur nature et à même la rue, conçu comme une réplique du mouton musulman au cochon chrétien ! Deux gouttes d'eau qui allaient faire déborder le vase de la tolérance. L'italien Dario Fo n'était alors pas loin de la Goutte d'or et l'Algérien Fellag aussi qui veut toujours faire conjoindre les cultures antagoniques ! Et c'est alors la fraternité retrouvée entre les goûts et les couleurs, les frontières et les peuples à travers ces «Petits chocs de cultures»… au théâtre. Rire fraternel qui fait rire les Autres. Qui rit avec eux. Rit de lui-même, jamais des Autres, encore moins contre eux. Traits d'humour et d'amour. Fellag, finalement, c'est «Le dernier chameau» qui joue la comédie en «Costume blanc couleur glace à la noix de coco», sans jamais être « Le Fils de l'amertume». Chez lui, c'est toujours «Les aventures de Tchop», le «Délirium», sans perte de fil avec son «Djurdjurassik bled», car Mohamed Said Fellag sait «Ce que le jour doit à la nuit» entre Français et Algériens. «L'allumeur de rêves berbères» est encore plus, dans sa tête, «Le Mécano du vendredi» à Alger, sublimé par le poète de «La Rue de la petite daurade», à Paris. N. K.