Il fait beau mais Tahar n'a que faire du beau temps. Y a-t-il une différence entre un soleil radieux et un sale temps ? Tahar n'a pas de réponse pour plein de raisons dont la plus importante est qu'il est toujours difficile d'avoir la réponse à une question qu'on ne s'est jamais posée. Des sales temps, Tahar en a connus. Dans tous les sens du terme. Ça n'a pas tellement changé mais il se dit que le pire est derrière lui. C'est d'ailleurs juste une façon de parler, histoire de faire de temps en temps comme tout le monde et avoir une formule prête à l'emploi. Un leitmotiv du rot, de l'éternuement, du soupir, des levers difficiles et des couchers-contraintes. Dans son enfance, enfin appelons-la ainsi, Tahar n'a pas vraiment souffert du froid puisque le hasard des transhumances a fait qu'il naisse et vive près de la mer. Ses parents n'étaient ni riches ni pauvres, ils… étaient. Son père bossait quelque part, assurait le pain, le lait et la loubia que sa mère préparaient dans la cuisine lézardée mais toujours chaleureuse. C'est important d'avoir chaud dans une cuisine lézardée et désertée par les relents de viande. Même squattée par l'infernal trio en alternance inventé par le génial Fellag : loubia-couscousmacaronis. Couscous-macaronis-loubia. Macaronis-loubia-couscous… Et ça recommence, comme toujours. Depuis toujours, il en a été ainsi, dans cette maison. Tahar n'a jamais cherché à savoir depuis quand et comment ses parents, à moins que ce ne soit les grands-parents ont atterri dans cet appartement d'un immeuble qui a dû offrir des moments plus confortables à ses occupants. De ces temps immémoriaux, la bâtisse porte d'ailleurs encore les «stigmates» : une cheminée dans la salle à manger reléguée au rang de curieuse vieillerie ornementale, une épave d'ascenseur dont beaucoup d'enfants ne connaissent pas la fonction qui a été la sienne et des chambres de bonnes devenues des… appartements à part entière. Tahar sait que c'est «leur maison», c'est tout. Et qu'il soit dans cette maison, à sa périphérie immédiate ou dans tout ce qui fait son espace d'évolution, il n'y a pas de place pour l'angoisse du mauvais temps, ni pour l'euphorie du soleil radieux. Les saisons n'ont pas d'emprise sur sa vie partagée entre l'ennui et l'ennui. Comme tout le monde, il lui arrive de dire comme tout le monde dans un long soupir, qu'il fait beau. Mais ça s'arrête toujours là. Il ne se promène pas, il est trop basané comme ça pour vouloir bronzer, il a avalé trop de sandwiches sur d'inhumaines aires de jeu pour rêver de pique-nique. Il a connu plus d'épines que de pétales pour se découvrir une âme bucolique. Il fait beau et ça ne le fait même pas sourire. Ça le fait plutôt rire, alors il le fait intérieurement en se posant quelques questions existentielles. Si le soleil est pour tous, pourquoi il n'est pas le même pour tout le monde ? Pourquoi on se plaint autant de la sécheresse que de la pluie ? Pourquoi on souffle dans les mains pour les réchauffer et dans la loubia pour la refroidir ? Pourquoi la neige terrorise les pauvres et fait jubiler les riches ? Il fait beau et Tahar n'attend pas de réponse. Il n'attend rien, après les questions, il va continuer à s'ennuyer. Parce qu'il ne veut pas bronzer sur un rocher, il ne veut pas se promener à pied et il n'a ni chaud ni froid. Au fait, le beau temps, c'est pourquoi faire ?