Il fait froid et la loubia n'est pas suffisante au réchauffement des ventres et des cœurs. Au prix où elle est proposée, elle n'est même plus évidente. C'est vrai qu'elle est un peu moins touchée que les lentilles par l'envolée qui a touché les légumes secs, mais elle a quand même été touchée. Elle est incontestablement la reine des jours de glaciation. Elle tient chaud, elle descend plutôt bien, elle fait descendre beaucoup de pain et elle aurait pu être pas chère. Les enfants s'en plaignent, ne comprennent pas comment une " telle horreur " puisse avoir autant de succès, mais ils sont habitués à avaler les couleuvres de leurs parents. Alors, par force, par pitié ou à l'usure, ils avaleront encore une assiettée. Et mine de rien, ça tient drôlement chaud, même si les bambins ne croient pas un traitre mot aux vertus nutritives et thermique du fayot. En fait ils ne croient qu'au seul argument, celui que ni le père ni la mère n'osent leur faire valoir pour gouter à la soupe : c'est pas cher et ça remplit la panse. Les grands savent être hypocrites. D'abord en se convaincant eux même qu'une loubia épicée à perdre haleine vaut tous les plats de riches. Personne n'aime vraiment la loubia sans viande mais tout le monde fait semblant d'en raffoler. Le froid ne fait qu'aider à avaler la pilule. Et faire gober le mensonge. Les pauvres ne cherchent pas le roi de la loubia quand ils ont les moyens de se payer un bon repas. Les rois de la loubia sont une invention de l'esprit, un empire factice dont les soldats de plombs sont les faux ingrédients rares et le doigté un tour de passe- passe cache-misère. A loubia n'est pas le plat du pauvre parce que tout appartient aux riches. Ce sont eux qui savent la rendre mangeable en… l'enrichissant. Tous les trente six du mois, ils peuvent bien aller se frotter à la misère des autres en allant dans une gargote chercher une assiette fumante d'exotisme, de mauvaise conscience et de mauvaise foi. Puis se retirer dans leurs appartements, roter leurs gaz, leurs dégouts et leurs souvenirs d'anciens pauvres. La loubia aurait pu être bonne si on ne l'avait pas criminellement entourée de discours savant, si on n'en avait pas fait une piètre consolation face à la détresse et un pèlerinage d'évasion pour des âmes étranglées par le faste. Le fayot ne réchauffe aucun cœur, elle remplit seulement des ventres vétustes et entretient un mythe mensonger. Il fait froid et la loubia épicée n'y est pour rien. Plus grave, elle n'y peut presque plus rien. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir