Dix heures de travail par jour, des fois plus et des fois moins, des tonnes de sable chargés à la pelle et des moyens de récupération aléatoires pour, en fin de compte, pouvoir empocher le pactole, c'est-à-dire quelques centaines de dinars. C'est le quotidien des centaines de jeunes qui ont fait de l'oued Sébaou leur unique employeur et de son lit sablonneux la source de leurs revenus. De Boubhir, en amont, jusqu'à la région de Baghlia, en aval, en passant par Tamda, Oued Aïssi, Sidi Naâmane, Draâ Ben Khedda, Tadmaït, c'est un interminable chantier à ciel ouvert qui active, de jour et, parfois, de nuit. Les outils de travail sont rudimentaires : un sommier métallique récupéré dans une décharge, une pelle «et une bonne paires de biceps», ajoute Mourad, 27 ans, un ancien dans le «métier». Comme lui, des dizaines de jeunes ont pris possession de leurs périmètres respectifs, des concessions fictives que personne ne leur a accordées mais qui délimitent le champ d'action de chacun. Les zones sablonneuses sont les plus recherchées car pauvres en limon que refusent les clients, des auto-constructeurs qui ne regardent pas sur la qualité mais sur le prix d'achat d'une «remorque», unité de mesure en vigueur : de la plus petite, type Toyota ou remorque de tracteur agricole, au 10 ou 20 t. Rétrochargeuses contre coups de pelle Chaque matin, parfois aux premières lueurs du jour par temps clément, c'est la corvée incessante : cribler le sable en jetant pelletée après pelletée à travers le grillage du sommier métallique et constituer un stock que viendront acheter les clients dans la journée. «Pour faire vite, il faut que le camion ne s'immobilise que pour le chargement, nous explique Mourad, mais cela peut prendre beaucoup de temps.» Des solutions sont trouvées au fil de la pratique : louer un chargeur pour faire vite. Combien de camions par jour ? Salah, un gaillard de 24 ans, voisin de Mourad, estime la quantité au nombre de commandes : «Quelques petites remorques ou un gros semi-remorque dans la journée, ce qui n'est pas rien», avance-t-il, se gardant bien de trahir le moindre «secret professionnel» sur les quantités servies. Et les risques ? «Aucun», s'aventurent nos deux interlocuteurs puisque «la gendarmerie ne fait plus de descente dans la région, et lorsqu'elle le fait, nous ne risquons rien sauf la perte de nos sommiers, ce qui est rien par rapport à ceux qui ont des engins de chargement qui sont mis en fourrière lors de ces descentes». D'autres «sasseurs» accourent vers le groupe. Hocine, 24 ans dont «4 ans de boîte» fait figure d'ancien. Ses études n'ont pas dépassé le seuil du collège et celui du lycée pour les autres. Le chômage a fait d'eux des «forcenés du sable». «C'est mieux que d'être manœuvre ou, pire, ne rien faire. On se fait un peu d'argent et on passe le temps», lance-t-il. Un peu d'argent ? Les exemples de ceux qui, en bas de l'échelle de l'exploitation du sable de l'oued Sébaou, ont fait fortune ne sont donc que pure affabulation. «Non, répondent en chœur nos vaillants "sasseurs", beaucoup s'en sont sortis et ont acheté qui un chargeur sur pneus, qui un camion ou simplement une voiture. Le sable rapporte et beaucoup. Il suffit de savoir où le mettre.» Tout le long de l'oued Sébaou, sur des dizaines de kilomètres, ces centaines de chercheurs de sable des temps nouveaux ont tous en commun la volonté de s'en sortir face à un chômage qui frappe de plein fouet cette catégorie sans diplôme. Même les longues explications sur la protection de la nappe phréatique située sous le cours d'eau est vaine. «Nous prenons notre part de ce sable qui va vers plusieurs destinations, vendu par des personnes qui ont fait fortune. Nous ne dérangeons personne, et si un jour nous sommes obligés de jeter nos pelles, alors nous redeviendrons ce qu'on avait été avant : des chômeurs tout simplement», raisonne Mourad, notre interlocuteur qui avoue que l'idée de quitter les lieux un jour lui est venue à l'esprit. «Mais pas avant d'avoir fait fortune», précise-t-il.