Comment lutter contreles discriminations sans renier le sacro-saint principe constitutionnel du peuple indivisible ? Vingt-six ans après la «marche des beurs pour l'égalité», la France n'en finit pas de s'interroger sur la place de ses «minorités visibles» dans la société. Et, surtout, de soumettre à examen les meilleurs moyens d'y parvenir. Au gré des colloques et des meetings électoraux, l'Hexagone débat de l'invisibilité de pans entiers des siens, enfants de l'immigration sudiste, dans le paysage de la République. Grandes écoles sans banlieusards, écrans télé pas tout à fait aux couleurs de la France, costume de patron de grande entreprise trop grand pour Mohamed ou Camara, écharpe tricolore de maire monopolisée par Paul et Pierre. Seuls le Stade de France et les autres arènes footballistiques de l'Hexagone font exception à la règle. Au fil des saisons, des dizaines de Karim Benzema crèvent l'écran. A l'image de Zidane, auquel le conseil d'administration du groupe Danone déroule le tapis rouge, ils s'imposent, récompensés par la «grande école» du ballon rond qu'est la banlieue. A défaut de se préparer à l'ENA, à Normal Sup ou aux écoles d'ingénieur, les quartiers d'outre-périphérique ouvrent les portes de Lyon FC, de l'OM ou du PSG, premières escales avant Arsenal, Barcelone ou le Real. En dépit de sa récurrence, le débat au ton de plus en plus accusateur pèche par inefficacité. Le peu d'avancée dans ce registre en atteste. Certes, des nominations - dont certaines spectaculaires et à forte portée symbolique - font entrer un beur ou un black sous les ors de la République. Mais tout compte fait, le nombre de «promus» demeure dérisoire aux yeux de politiques et de spécialistes. Tempérant les termes d'un débat de plus en plus chargé, d'aucuns opposent la volonté d'une France «qui change» en la matière. A l'appui de leur profession de foi, ils rappellent quelques mesures - jugées «fortes» - depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Au premier rang desquelles la révision à la hausse du nombre de «beurs» siégeant au gouvernement. Et, plus encore, la nomination d'une Maghrébine, la garde des Sceaux Rachida Dati à la tête d'un ministère régalien. Ou l'entrée de Nacer Ouadah, ex-préfet d'origine algérienne du département de l'Aude, au sein de l'équipe «Renseignement» de l'Elysée. Ou, plus récemment, la désignation d'un autre Franco-Algérien, le chef d'entreprise Yazid Sabeg, au poste de commissaire à la diversité. L'idée américaine de «positive action» chère à Sarkozy Sabeg est un exemple par excellence du mérite. Fils d'un ouvrier venu de Guelma au soir des années quarante, il a pu surmonter les contraintes socioéconomiques propres aux familles modestes et a emprunté les chemins de la promotion et de la réussite. En connaissance de cause, il a fait de la lutte contre les «discriminations» un des objectifs majeurs de son engagement quotidien. Sa «success story» ne l'a guère détourné. Coauteur d'un livre sur le sujet (1), il a épousé, très tôt, l'idée américaine de «positive action», chère à Sarkozy. Adepte d'une politique de quotas à l'américaine, le successeur de Jacques Chirac a fait précisément appel à Sabeg pour faire avancer les choses. Exposé aux querelles partisanes et confronté au principe constitutionnel interdisant toute statistique ethnique, le débat à du mal à cheminer. A peine installé dans ses fonctions aux prérogatives de «ministre», le chef d'entreprise franco-algérien n'a pas fait mystère de sa recette. Lutter contre les discriminations suppose, à ses yeux, quelques préalables, dont la mesure de la diversité et des discriminations. Dans un premier temps, il était question qu'il soumette lui-même des propositions à l'Elysée. Mais, à la dernière minute, il a préféré confier la tâche à une mission d'experts dirigée par le directeur général de l'Institut d'études démographiques (INED), François Héran. La création du poste de commissaire à la Diversité au sein du gouvernement Fillon a libéré à nouveau la parole sur les discriminations. Il y a une dizaine de jours, la Mairie de Paris dirigée par le socialiste Bertrand Delanoë avait organisé un colloque scientifique autour du fait discriminatoire au miroir de l'histoire coloniale. Sous le thème «Décolonisons les imaginaires. Dépasser nos héritages pour combattre les discriminations raciales», plusieurs historiens, hommes politiques et militants associatifs avaient confronté leurs points de vue. Adjointe au maire de Paris chargée des droits de l'homme et de la lutte contre les discriminations, la réalisatrice franco-algérienne Yamina Benguigui avait plaidé, à l'occasion, pour accentuer la pression sur les entreprises fermées aux beurs et aux blacks. «Je milite pour que les députés parisiens, toutes tendances confondues, déposent une proposition de loi afin d'inscrire dans les critères d'attribution des marchés publics, des obligations quantifiées en matière de lutte contre les discriminations», a-t-elle déclaré à la presse à l'issue du colloque. Salim Kettani
(1) Yazid et Yacine Sabeg : Discrimination positive. Pourquoi la France ne peut y échapper. Editions Calmann-Lévy. 2004