Deux jeunes boivent du rouge. Ils se battent. L'un deux est au vert, il rit jaune dans le noir. ébahie et charmée, madame la présidente reste cependant vigilante et concentrée : comme d'habitude, elle est là assise derrière cinq grosses piles de chemises de plus de vingt-huit unités chacune. Une justice en gros qui entre dans le détail atterrit sans aucun doute dans la justice expéditive. Et encore, nous assistons à des audiences présidées par des «saintes» genres Derbouchi Salima digne héritière morale des Megari, Aït Hamlet et autres, Yamina Guerfi, Benyazzar et plus près de nous Hassiba Ramli, Fella Ghezloune et autres Sofia Ouhida... Et pour ne pas changer, cette grande dame de la justice veut avoir sous ses yeux tous les éléments du dossier pour entreprendre la marche dans la recherche de la vérité de cette affaire dominée par un détenu pas facile à écouter... Au fin fond de cette minuscule et inhospitalière salle d'audiences du tribunal de Bir Mourad Raïs, dont «l'exécutant» devrait rougir pour avoir monté une aussi moche bâtisse, Saloua Derbouchi, la présidente du pénal du samedi, invite prestement l'inculpé principal à aller de suite droit aux faits : «Alors, que s'est-il passé le 21 du mois ?» La mine délivrée du stress de la noire journée du mercredi 21 mars 2009, Kamel A., un récidiviste en matière de coups et blessures à l'aide d'une arme blanche, dit : «A vrai dire, madame la présidente, cette fois-ci, c'est moi la victime...» «Arrêtez, arrêtez inculpé, le tribunal a devant lui un détenu inculpé de coups et blessures, et même si la victime est absente, nous avons sous les yeux le P. V. d'audition. Alors on y va ?», précise la magistrate. L'ado baisse la tête et soudain s'effondre en pleurs. «J'ai été l'objet de demandes indécentes, c'est pour cela que j'ai eu cette réaction que je...» «Stop ! Stop ! Arrêtez. Encore une fois, le tribunal veut la version correcte, pas celle qu'on vous a soufflée durant votre court séjour dans le carré des détenus. Nous ne permettrons plus d'écarts de votre part et c'est dans votre intérêt. Respectez l'audience et l'assistance», menace sans sourciller Derbouchi qui va réussir le miracle : «Oui madame la présidente. Je vais vous dire la vérité. Nous avions bu deux bouteilles de vin et après...» «Vous aviez dit quatre bouteilles devant monsieur le procureur», rectifie la juge. «Oui, c'est ça : deux bouteilles chacun.» «Là, c'est mieux. Vous commencez à être plus lucide et le tribunal en tient compte sur-le-champ. Continuez !» Kamel A. relève la tête et va entamer un monologue car, sachant que n'étant pas assisté par un avocat, étant issu d'une famille démunie, il a su que seule la vérité allait le servir. «Je disais donc qu'après avoir bien bu, la victime a commencé à m'insulter. Je lui ai répondu. Mais lorsque Lotfi, cette victime, avait évoqué ma mère en termes abjects, je lui ai sauté dessus en lui balançant des coups de tête et je...» «Là aussi, vous sélectionnez vos réponses. Parlez-nous du couteau plutôt», insiste la présidente qui va être définitivement fixée par l'ultime réponse de Kamel A. «Ce n'était pas une lame, mais un morceau d'acier de cerceau que j'ai ramassé du port la veille.» «Alors, c'est très bien. Ce n'était pas un couteau mais un morceau de cerceau.» «Madame le procureur, vos demandes S.V.P», lâche la présidente qui avait déjà commencé à griffonner le début du dispositif : «Deux ans ferme», dit Akila Bouacha, la représentante du ministère public. Cela a suffi pour que la juge décide sur le siège d'infliger une peine de prison ferme d'un an à Kamel A. que la statut de récidiviste de bagarreur notoire n'a pas aidé.