Du simple allume-cigare au moteur complet, tout est disponible à quelques kilomètres au sud de Draâ Ben Khedda, sur la route de Boghni. Un immense cimetière pour voitures, la «casse» comme elle est appelée, où tout se vend. Tous les jours, des centaines de clients arpentent la route à la recherche d'une pièce mécanique. A des prix souvent supérieurs à ceux du neuf. Seuls les vendeurs connaissent le secret de ces prix (fixés selon la tête du client) et… la provenance des pièces tant recherchées. De part et d'autre de cette route qui longe les orangeraies situées le long de l'oued Bougdoura, un des affluents de l'oued Sébaou, l'activité agricole n'est que de la poudre aux yeux. La vraie richesse, ici, c'est la casse automobile, et tous les riverains de la route ont en fait un commerce juteux, dont la renommée dépasse les limites de la wilaya de Tizi Ouzou. On y vient de partout et, surtout, le commerce de voitures accidentées s'est étendu à tout le nord du pays. D'un simple coup de téléphone, un véhicule accidenté (et réformé par son assureur) est acheté. Les réseaux de rabatteurs sont partout présents car ils prélèvent une commission sur chaque véhicule accidenté vendu. Des filières impossibles à remonter Selon la marque et la valeur réelle sur le marché, le prix de la carcasse se situe entre 10 et 50 millions de centimes, selon l'état des pièces «nobles» (moteur, portière, vitres, mécanismes divers). Sans le démonter, il est exposé sur l'aire réservée à cet effet le long de la route de Boghni, des box clôturés où chaque «concessionnaire» exerce son activité. Les clients sont servis sur la base de ce qu'ils cherchent : une fois le prix négocié, la pièce en question est démontée devant lui, sauf pour les accessoires. Cette précaution vise à rassurer, vu le nombre d'arnaques dont ont été victimes nombre d'automobilistes. Le moteur intact d'un véhicule neuf accidenté n'est jamais vendu en pièces mais d'un seul bloc car c'est là que se fait l'essentiel du bénéfice. Là s'arrête le côté cour de cette activité qui fait courir des centaines de personnes. La mauvaise réputation sur l'origine des pièces avec la multiplication du nombre de voitures volées et jamais retrouvées a joué dans le milieu. «C'est pour cela qu'on ne démonte pas le véhicule qui garde même son immatriculation jusqu'à ce qu'il soit entièrement vendu en pièces», nous dit un vendeur du coin, spécialisé dans la voiture asiatique. Mais le commerce de pièces volées ne se fait pas au grand jour. Tout un réseau est derrière, de manière à ne laisser aucune trace qui puisse permettre de remonter la filière du vol de voitures. Mais l'immensité des lieux (plus de 4 kilomètres de long de part et d'autre de la route) ne permet aucun contrôle sur les milliers de carcasses de toutes marques. La technique trouvée est de stocker les pièces rares et introuvables dans des hangars situés loin de là et la transaction n'aura lieu qu'une fois le prix de vente convenu, généralement assez élevé si le client insiste pour avoir la pièce à tout prix. Y aurait-il une connexion entre les réseaux de voleurs et ces marchands de pièces qui activent dans la plus complète illégalité ? Certains commerçants réfutent l'accusation : «Nous avons les papiers des voitures accidentées et les PV des assurances qui les déclarent irréparables», se défend l'un d'eux, connu sur la place pour avoir un large réseau de vendeurs de véhicules. L'héritage du monopole d'Etat Les statistiques des différents services de sécurité placent la wilaya de Tizi Ouzou parmi celles figurant en tête de peloton en termes de vols de véhicules (25 au moins en 2008) ainsi que celles où le trafic de documents de voitures est le plus répandu, avec des affaires en justice où plusieurs individus, dont des fonctionnaires indélicats, sont poursuivis. Mais qu'est ce qui a fait de ce marché «sauvage», non réglementé et surtout où aucune pièce n'a, logiquement, aucune traçabilité, une destination pour des milliers d'automobilistes alors que les magasins de pièces détachées neuves et les concessionnaires de dizaines de marques ont pignon sur rue ? Les prix ? La qualité ? «Les deux à la fois», nous dit un vendeur, expliquant que pour le prix du neuf, les clients préfèrent se rabattre sur la casse. Une explication qui ne tient pas la route, pour une raison toute simple : il suffit de demander le prix d'une pièce très recherchée et la sentence s'abattra immédiatement : c'est le prix du neuf ! Combien coûte le collecteur d'admission d'une voiture x (pièce très recherchée par les propriétaires de cette marque de voiture asiatique fabriquée en plastique dur ? «J'en ai un d'une voiture accidentée année 2006 et je vous le céderai à 22 000 DA», nous déclare un vendeur. Surprise : la même pièce est vendue par le concessionnaire local de cette marque à 19 000 DA ! C'est là tout le secret de la profession : on joue sur la peur des clients de se voir obligés d'acheter cher dans un magasin une pièce qui est là, disponible, et qui a un peu fait ses preuves. C'est en quelque sorte le réflexe des années de pénurie, du monopole de Sonacome sur la pièce détachée qui est reproduit de manière inconsciente et exploité, avec l'art et la manière, par ces mécaniciens d'un nouveau genre. Leur chiffre d'affaires annuel en fait foi.