La réunion du comité des 22, qui a constitué un tournant historique dans le processus de préparation de la lutte armée, le 1er novembre 1954, était une initiative née de la détermination d'un noyau de militants représentatif du peuple algérien de s'affranchir du joug colonial pour aboutir enfin à l'indépendance nationale. Quelles que furent les divergences rapportées sur la période charnière ayant précédé et abouti au déclenchement de la lutte armée, un fait demeure unanimement rapporté par les historiens: celui de la détermination" de tout un peuple, base et élite, de se libérer de l'oppression coloniale. C'est qu'en dépit des multiples divisions ayant émaillé à l'époque l'action politique, le souci d'unicité des rangs autour de l'objectif suprême de l'indépendance avait alors tout transcendé. Il faut ainsi remonter au moins jusqu'à la période comprise entre 1945 et 1946, marquée par des dissensions au sein du Parti du Peuple algérien (PPA), pour confirmer le souci qui animait la majorité des militants de faire fi des divergences d'opinions et des prétentions de leadership. "La question de la violence dont avait parlé Messali Hadj en 1924 et 1925 avait été enterrée", témoignait récemment à l'APS, l'un des derniers survivants du Groupe des 22, Amar Benaouda. Pour cet acteur précieux de l'histoire de l'Algérie révolutionnaire, la création du Mouvement du Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) répondait à ce souci de faire renaitre "l'esprit militantiste" qui avait déserté les rangs du PPA. Une situation qui avait révolté Mohamed Belouizdad, l'incitant à créer en 1947, l'Organisation Secrète (OS), a-t-il rappelé. M. Benaouda, qui estime que l'OS incarnait tout à la fois "l'action et la formation militaires dans les techniques de la guérilla", revient sur les circonstances de dissolution de cette organisation avec son lot d'arrestations, d'emprisonnements et de condamnations à mort. "C'est en prison que nous nous sommes connus, une amitié et une fraternité sont nées entre les militants de Oued Zenati, de Constantine, de Annaba, de Skikda et d'autres. La prison s'est finalement transformée en un carrefour de connaissances", commente ce moudjahid, insistant sur la notion de "solidarité" que créent les causes communes. C'est ce qui a permis à Mohamed Boudiaf, Brahim Chergui, Didouche Mourad, Mohamed Boussouf et Habachi Abdesslem de demeurer en contact après la dissolution de l'OS et de constituer le premier noyau du fameux Groupe des 22. Ceci, dans un contexte marqué par de nouvelles scissions au sein du MTLD, affaibli par une implosion entre Messalistes et Centralistes. C'est ce nouveau facteur de tension qui fut à l'origine d'une autre tentative de resserrement des rangs : la création en mars 1954 du Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (Crua). Les dirigeants déjà cités, auxquels se sont joints Rabah Bitat et Lakhdar Bentobal, avaient alors décidé de réagir face à cette situation car "convaincus que la désunion des rangs au sein du MTLD n'allait pas servir la cause de la révolution algérienne et qu'il serait difficile de recréer une synergie autour d'un parti comme ce fut le cas pour le PPA qui avait réussi à avoir la confiance du peuple", ajoute M. Benaouda. En premier lieu, ce furent les "hors la loi" et les condamnés à mort, comme Bentobal, Zighout, Ben M'Hidi, Boudiaf, Didouche Mourad, ainsi que Benaouda qui avaient été contactés pour la réunion du 25 juin 1954 au domicile de Elias Derriche au ex-Clos Salembier (Alger). Benaouda prête au propriétaire de cette demeure historique un "grand courage", dès lors qu'il avait pris d'énormes risques alors qu'il n'avait aucun lien avec la Révolution "ni de prés, ni de loin". Le 22ème membre du Groupe c'était lui alors qu'il n'avait aucunement pris part au conclave, ni concerné par ses décisions. "Nous, nous savions ou nous allions contrairement à lui qui ignorait même que nous étions condamnés à mort", tient-il à ajouter, notant que l'objectif de la réunion était de "réunifier les rangs du parti afin de libérer le pays". La réunion historique des 22 Durant ce conclave historique, Mohamed Boudiaf et Mustapha Benboulaid avaient pris la parole pour, entre autres, assurer que les Aurès étaient "suffisamment dotés en armes pour soutenir d'autres régions", selon les témoignages. La "détermination" pour libérer le pays était telle que la question de la désignation de celui qui dirigera la révolution, problématique au départ, avait fini par être résolue à travers l'élection d'une direction collégiale, mettant un terme au "duel" Boudiaf-Benboulaid. Lors de la même réunion, l'idée de l'action armée était ainsi suffisamment mûre pour donner lieu à la déclaration du 1er Novembre, même si cette date n'a pas été arrêtée à ce moment-là, si ce n'est le principe que cela doit se passer dans les six mois tout au plus. Le moudjahid Mohamed Mechati, également membre des 22, décédé en juin dernier, soutient, dans une de ses déclarations à la presse, que "le mot d'ordre" de la lutte armée avait été adopté à "l'unanimité" par le groupe historique. L'une des premières décisions prises à l'issue de cette réunion avait été le découpage de l'Algérie en cinq zones, les Aurès, confiée à Mustapha Ben Boulaïd, le Nord-Constantinois à Didouche Mourad, la Kabylie, à Krim Belkacem et Amar Ouamrane, Alger et l'Algérois à Rabah Bitat et enfin, l'Oranais à Larbi Ben M'Hidi. Mohamed Boudiaf était, quant à lui, chargé de la coordination entre les zones. Un fait mérite, par ailleurs, d'être réaffirmé: les 22 architectes de la révolution, tous des anciens de l'OS, étaient en majorité des jeunes peu ou mal connus à l'intérieur et à l'extérieur car ils activaient dans la clandestinité. "La volonté et l'amour de la patrie étaient les véritables secrets du succès de la révolution (...) Nous avons encore foi en l'Algérie comme une seule nation. Les différences doivent être des facteurs d'enrichissement et de force qu'il faut exploiter exclusivement dans l'intérêt du pays", déclarait à la presse Abdelkader Lamoudi, un autre membre des 22 encore en vie.