Quelques mois après la répression qui s'est abattue sur l'OS au printemps 1950, des responsables ayant échappé à la police ont proposé au parti la reconstitution de l'Organisation spéciale suivant une nouvelle conception. Dans un écrit, Mohamed Boudiaf rapporte que la direction du MTLD ne répondit pas à cette proposition. Celle-ci décida par contre de dissoudre l'OS et offrit à certains des responsables recherchés des réintégrations et des affectations au sein du parti ; à titre d'exemple, Aït Ahmed se retrouva au Caire, Boudiaf à Paris, Didouche à Boghari. Mais, les rescapés de l'OS, Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Benaouda, Bentobbal, Ben Abdelmalek, Didouche, Mechati, Souïdani, Zighoud n'entendaient pas baisser les bras. Ils s'engagèrent à reprendre les choses en main, d'autant qu'au cours de l'année 1953, la direction du PPA-MTLD s'était scindée en deux tendances antagoniques, messalistes d'un côté, centralistes de l'autre. Une situation qui pouvait mettre en danger le fruit de trente années de lutte et de militantisme contre l'occupation française. Création du Crua Devant la confusion qui régnait, suite à la scission au sein du PPA-MTLD, quatre anciens dirigeants de l'OS – Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M'hidi et Bitat – ont tenu des réunions avec deux centralistes. Les messalistes s'étaient exclus d'eux-mêmes. Le but était d'essayer de sauver le parti de la dérive. Ces rencontres aboutirent à la création du Comité révolutionnaire d'unité et d'action (Crua). Le comité composé de deux anciens de l'OS et de deux centralistes vit le jour le 23 mars 1954. Une proclamation fixant les objectifs visés par le Crua a été diffusée à travers un bulletin intérieur, "Le Patriote". Toujours selon Boudiaf, certains centralistes donnaient l'impression de "tergiverser", estimant que le passage à l'action armée était prématuré. Dès lors, des cadres de l'OS se mirent à sillonner le pays pour reprendre contact avec les anciens militants de l'OS disséminés à travers tout le territoire national. Les quatre dirigeants cités plus haut, auxquels s'est joint Didouche Mourad, convinrent – parce que le temps pressait – de se réunir pour poser les problèmes de l'action à mener et de la mise en place d'une structure de suivi. Réunion des 22 – Constitution du Comité des 6 Le 25 juin 1954, selon Boudiaf, se sont réunis, au Clos Salembier (El-Madania, Alger), 22 anciens responsables de l'organisation spéciale. La plupart d'entre eux étaient recherchés par la police française, mais ils avaient maintenu des contacts avec d'anciens membres de l'OS. La séance était présidée par Ben Boulaid, Boudiaf devait présenter un rapport sur les réunions tenues antérieurement. Les points inscrits à l'ordre du jour étaient principalement les suivants : Historique de l'OS depuis sa création jusqu'à sa dissolution Bilan de la répression et attitude de la direction du parti La crise du PPA-MTLD et ses conséquences Insurrections en Tunisie et au Maroc, que faut-il faire ? La motion adoptée par les 22 proclamait entre autres, de Sauver le mouvement révolutionnaire algérien de la "débâcle" Déclencher la lutte armée dans les moindres délais, seul moyen pour dépasser les luttes intestines et libérer l'Algérie Charger le responsable national, qui sortira du vote de l'assemblée, de mettre sur pied une direction qui aura pour tâche d'appliquer les décisions de la motion adoptée. Ensuite, fut formé le Comité des 6, comprenant Boudiaf, Ben Boulaid, Ben M'hidi, Bitat, Didouche et Krim ; il était chargé de mettre en application la résolution des 22, qui préconisait : De regrouper les anciens de l'OS et les intégrer dans une nouvelle structure. De reprendre l'instruction militaire à partir des anciennes brochures de l'OS D'organiser des stages de formation en explosifs et de fabrication de bombes ainsi que des exercices pour assurer, autant que possible, un bon départ de l'insurrection. Ultimes décisions avant l'étincelle du 1er Novembre Après de multiples réunions et contacts, y compris avec la délégation extérieure, le Comité des 6 fixa, pour la nuit du 1er Novembre 1954, la date du déclenchement de la lutte armée. En quelques mois, il avait travaillé d'arrache-pied pour constituer les premiers commandos, les former et les armer. Il fut procédé aussi à la détermination des limites géographiques des six wilayas retenues et à la désignation des responsables à la tête de celle-ci, ce sont : - Ben Boulaid pour les Aurès et l'Est constantinois - Didouche, assisté de Zighoud pour le Nord Constantinois ; - Krim, assisté d'Ouamrane pour la Kabylie ; - Bitat, assisté de Souidani pour le reste de l'ex-département d'Alger ; - Ben M'hidi, assisté de Ben Abdelmalek ou Boussouf pour l'Oranie. La 6e Wilaya n'existait alors que sur le papier, elle couvrira le sud du pays Quant à Boudiaf, il fut chargé de rejoindre la délégation extérieure pour porter des documents et obtenir armes et munitions pour les maquis. Boudiaf souligne dans ses écrits que des tentatives d'achat d'armes par intermédiaire d'un Marocain ont échoué et qu'aucune arme, dit-il, n'est entrée au pays avant le 1er novembre, seule la wilaya des Aurès disposait d'un stock d'environ 300 armes achetées en Libye par Ben Boulaid et ses adjoints de l'OS en 1948. Les militants des autres wilayas se sont débrouillés quelques armes individuelles. La Déclaration du 1er Novembre, acte fondateur de la révolution, proclamait en substance : "La lutte pour l'indépendance nationale La restauration de l'état algérien souverain, démocratique et social Le respect de toutes les libertés fondamentales, sans distinction de races ni de confessions..." à noter que cette proclamation a été imprimée sur ronéo en plusieurs centaines d'exemplaires, au village Ighil Imoula, w. de Tizi Ouzou, sous la direction de Zamoum Ali auquel Krim Belkacem avait confié le manuscrit. Le travail de formation et de sensibilisation accompli par les premiers éléments de l'OS a débouché ainsi sur la mobilisation de centaines de militants pleins de foi et d'enthousiasme, qui, à partir des Aurès et de la Kabylie, allumèrent l'étincelle dans la nuit du 1er Novembre 1954. Le feu s'étend ensuite à tout le territoire algérien. Conclusion Les rappels ci-dessus montrent que "l'organisation spéciale OS" et les éléments qu'elle avait formé ont joué un rôle indéniable dans la préparation de l'héroïque combat qui a commencé le 1er novembre 1954. Combat soutenu par tout le peuple algérien qui a enduré des douleurs, des souffrances et des sacrifices jusqu'à la proclamation de l'indépendance en juillet 1962. Il est néanmoins à déplorer que l'épisode de l'OS est ignoré de la plupart des Algériens. Il est vrai que pendant deux décennies au moins, l'œuvre de l'OS a été complètement occultée. La presse écrite et audiovisuelle n'en parlait pas, les manuels d'histoire non plus. Il a fallu attendre les débuts des années 1980 pour que l'éminent historien Mahfoud Kaddache donne des détails sur l'OS, dans son ouvrage en deux tomes, "Histoire du nationalisme algérien", ed. SNED 1980. Par la suite, l'hebdomadaire "Algérie Actualité" du 4/10 juillet 1985 avait édité un numéro spécial sur l'OS, mais, sur l'ordre d'on ne sait qui, il a été retiré rapidement des kiosques. Il demeure que même de nos jours, "l'organisation spéciale" est méconnue. Elle a pourtant existé. Pendant plus de deux ans, elle a réussi, dans le secret le plus absolu, à mettre sur place des structures et des hommes qui ont formé des centaines de militants, artisans et précurseurs de l'événement ô combien historique du 1er Novembre 1954. Si cette modeste contribution peut aider à connaître au moins partiellement ce que fut "l'OS", on s'en réjouira. Alger Juillet 2012 Asselah Ramdane – Ancien du PPA-MTLD puis de l'OS. Cadre supérieur des P et T en retraite Sources : "Mémoires d'un combattant" de H. Aït Ahmed. Ed.Bouchène Alger 1983 La préparation du Premier novembre 1954 de M. Boudiaf - Dar El-Khalil. Mémoires de l'auteur de ce résumé.