L'attaque de la caserne des spahis, au cœur de Batna, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, est sans doute la plus importante, sinon la plus audacieuse, menée par l'un des groupes de combattants armés quelques heures auparavant à Dechrat Ouled Moussa, en présence de Mostefa Benboulaïd. Ce minuscule hameau de montagne n'était pas situé bien loin d'Arris, chef-lieu de la commune mixte de l'Aurès et lieu de naissance de Mostefa Benboulaïd. C'est pourquoi, soutiennent aujourd'hui des témoins rencontrés par l'APS, les autorités coloniales ont compris, dès la levée du jour, que le "coup" venait d'Arris et de sa région. C'est ce qu'attestent trois témoins et acteurs de cette opération, Belkacem Kadri, Mohamed Benamor Biouche et Lakhdar Oucif Benmessaoud : "Dès que l'alerte a été donnée, des détachements militaires se sont empressé de boucler les issues de la ville en concentrant des forces sur la sortie est, sur l'axe Batna-Lambèse-Arris. Ils s'étaient positionnés au lieu-dit Djer Ouled Aadi où ils ont abandonné les véhicules pour ratisser toute la zone dans l'espoir de découvrir des indices signalant le passage des moudjahidine", racontent-ils. Les mêmes témoins ajoutent qu'une fois arrivés vers midi à Markounda, au croisement des routes d'Arris et de Khenchela, les soldats français voient arriver des renforts armés prendre la direction d'Arris. "Nous sommes restés cachés sur les hauteurs de Tazoult pendant de longues heures, observant les mouvements de l'ennemi", affirment ces témoins qui restent parmi les rares moudjahidine de cette première attaque d'envergure de la "nuit de la Toussaint". Biouche se souvient qu'immédiatement après cet assaut éclair, son groupe s'était replié "sans même savoir qu'il avait fait deux ou trois morts parmi les sentinelles de la caserne". Ils rejoignirent, au terme de ce repli, Mohamed Bennadji et Mohamed Belbar à l'endroit où se trouve actuellement le lycée Salah Eddine El Ayoubi (moins d'un kilomètre du portail de la caserne, ndlr). Ils étaient avec trois autres moudjahidine, en poste pour donner un coup de main en cas de nécessité. Poursuivant son récit, le même témoin ajoute que le mot de passe était "Khaled-Okba". Le groupe, réuni de nouveau après l'opération, disparait dans la nuit pour ne distinguer les premières lueurs de l'aube qu'une fois arrivé au refuge aménagé sur les hauteurs de Tazoult, l'ex-Lambèse. L'objectif de l'attaque était de défier le colonisateur par un coup d'éclat, affirment Biouche et ses compagnons, soixante ans après cette nuit. Leurs souvenirs sont intacts en dépit de l'âge et, parfois, de la maladie (ils abordent leur quatre-vingt-dixième anniversaire). Le groupe auteur de cette action était étranger à la ville. Certains n'y avaient jamais mis les pieds, d'autres n'avaient même jamais quitté leurs montagnes. "Nous étions mus et guidés par l'amour de la patrie, la foi en notre cause", affirme le vieux Biouche, le poing serré, revivant la même émotion ressentie pendant cette nuit qui demeurera, dit-il, "une porte tout en lumière vers une nouvelle étape de l'histoire de la nation algérienne". Choisis par Benboulaïd lui-même, qui les avait triés sur le volet pour l'attaque des positions ennemies à Batna, les trois témoins affirment à l'APS que leur mémoire a laissé "la place la plus vive" à cet évènement dont ils se souviennent dans les moindres détails, comme si cela datait d'hier. Un groupe composé de 14 moudjahidine était dirigé par Lakhdar Ben Ali Baazi. Sa première mission était d'atteindre la poudrière, muni de bombes artisanales préparées par Belaiche Benbelkacem. Il était une heure du matin lorsque le groupe des premiers combattants de l'ALN arriva près de Batna. Il devra marcher encore deux kilomètres pour atteindre l'objectif de l'attaque. Le groupe s'est ensuite scindé en deux, le premier détachement était formé de cinq hommes, à leur tête Nadji Benmohamed, qui n'entra pas dans la ville, tandis que le deuxième était constitué de neuf membres dirigés par Baazi Ali Benlakhdar et Biouche. Les neuf moudjahidine furent surpris de ne pas apercevoir le guide qui devait les attendre à l'endroit appelé "la fontaine des spahis", à proximité de la piscine avoisinant le Nadi. Ils décident alors de passer à l'action car il était déjà tard. Biouche se souvient qu'ils s'approchèrent par la droite du portail de la caserne. La sentinelle qui les avait repérés depuis la guérite, n'a pas bougé, pensant sans doute qu'il s'agissait de camarades, l'habillement militaire des assaillants ressemblant suffisamment, à la faveur de la nuit, à l'uniforme des spahis. A cet instant, des salves des coups de feu tirés les moudjahidine déchirent le voile de silence qui enveloppait la ville. Les moudjahidine, auteur de cette action héroïque, avaient dans l'esprit que leurs coups de feu s'ajoutaient aux milliers d'autres qui retentissaient à travers de nombreux points répartis sur tout le territoire national. L'heure du combat final pour l'indépendance nationale, depuis que les premiers résistants à la colonisation tombèrent en 1830, venait de sonner.