La filmographie amazighe vient de s'enrichir d'une autre production. Loin de relever d'un travail proprement professionnel, Yir abrid ou Le retour de la peste – c'est l'intitulé de ce film d'une durée de 1h35mn – n'est néanmoins pas foncièrement amateur. Œuvre de Amezgun n Djerdjer, une association culturelle qui s'est presque exclusivement investie dans la pratique du quatrième art comme le décline clairement sa dénomination, la quatrième du genre après Ddigh d yir arfiq, Le rebelle et Une balle dans l'âme, ce film se veut en tout premier lieu, selon son réalisateur Mokrane Hammar, ce passionné des planches et de la pellicule, un autre acte de militance en faveur de la langue amazighe en particulier et de la culture amazighe en général. Lui qui n'a pas attendu une quelconque assistance des pouvoirs publics, non sans l'avoir à chaque fois sollicitée sous forme de demandes de subventions auprès de la Direction de wilaya de la culture, de l'APW de Tizi Ouzou et du HCA (Haut-Commissariat à l'amazighité), des sollicitations restées lettre morte, il n'a pas hésité encore une fois à mettre la main à la poche, sa propre poche et celles de ses plus proches collaborateurs, pour concrétiser ses projets dont les derniers en date. Des comédiens amateurs Le film a vu la participation de comédiens, pour la plupart amateurs, traînant, néanmoins, pour leur majorité, plusieurs années d'expérience, aux côtés du longiligne Usalas, l'acteur bien connu et lauréat de l'avant-dernier olivier d'Or du festival du film amazigh, qui a, volontiers, accepté de jouer, quoique petitement, à la special guest star. Il a été tourné en Kabylie (Ouacifs, Aït Bouaddou, Tizi Ouzou, Béjaïa) et même à Paris, où l'implication des populations locales a profondément marqué l'équipe de tournage, notamment à Agouni-Fourrou dont le réalisateur lui-même louera expressément l'hospitalité des habitants. Mais pourquoi ce titre qui fait directement penser à l'œuvre de Camus ? L'auteur du scénario, Djamal Laceb, explicite le choix. D'Albert Camus, nous avons gardé l'hommage et l'évocation, à travers certaines scènes où la société refuse d'admettre la présence de la peste ; la presse traite le phénomène sous l'aspect du fait divers, L'Eglise l'attribue à un châtiment de Dieu, les autorités étouffent toute information sur la maladie, affirmera-t-il tout de go. Notre interlocuteur finira par dire que dans le film, la peste est principalement la drogue, mais c'est aussi l'alcool, la télé, le banditisme, avant de déclarer avoir délibérément opté pour «le film choral», un genre artistique très difficile, un véritable exercice de style dans le cinéma qui raconte plusieurs histoires en même temps et à plusieurs nivaux de compréhension, expliquera encore cet enseignant des sciences physiques comme l'est son ami, le réalisateur Mokrane Hammar. Les effets de la drogue Et ces histoires simultanées mettent en scène Djamel qui décide d'une «hedda» à l'étranger, Arezki trafiquant de drogue, Hamid qui joue avec les esprits, Waâli qui est ravagé par le kif alors que Idir se consacre à la poésie et Jigu, l'universitaire, qui passe son temps à faire les cent pas au centre du village. Ce dernier, sous l'influence d'une drogue, que des malfaiteurs autour d'un feu lui feront prendre d'office, se voit médecin du village, prêt à faire face à une maladie : «la peste», une maladie transmise par les rats et qui ravage le village. Sa dulcinée Lila en est contaminée. Une fois réveillé sous les rayons de soleil, Jigu prend ses bagages pour sillonner la ville à la recherche d'un petit travail, faisant presque du porte-à-porte jusqu'à ce qu'il tombe sur une plaque sur la devanture d'une porte où on peut lire : «Psychologue A. Lila…». Serait-ce sa bien aimée? Seul le visionnage du film, à l'aise chez-soi vous permettra de le savoir. Ce qui est possible en acquérant ce dernier-né chez le disquaire du coin, puisque disponible en DVD par la grâce de la maison d'édition Ciné Kabyle basée à Aïn El Hammam. Il sera aussi projeté, en début d'après-midi d'aujourd'hui, en avant-première, à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Le film prendra part aussi, du 4 au 10 mai prochain, à la troisième édition du Festival Issn n'ourgh du film amazigh à Agadir, sous l'instigation de l'association culturelle éponyme.